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De loin en loin

Ressentis, engagements, appropriations, révoltes, doutes, certitudes, réflexions…
Un peu de littérature aussi, de philosophie, d’écriture s’il se peut, de poésie.
Et de musique, on en a tellement besoin !
C’est dans cette approximative petite lucarne que verront le jour, périodiquement,
mais irrégulièrement sans doute, mes humeurs pas toujours égales.
Et s’il se pouvait que vienne y réagir l’une ou l’autre intelligence,
je ferai le trajet de n’en être pas peureux.

Belle découverte à vous !

Chronique pour faire taire le silence (2)

Partages Posted on 7 mars 2021 8 h 00 min

C’est dimanche aujourd’hui.
Mozart. Concerto 23 pour piano. Maurizio Pollini. Karl Bohm.
Ça fait un bien fou. Le mouvement lent surtout. Joué si lentement.

Douche.
Bruit de la douche qui interdit que Mozart encore

Silence perturbé.
Puis.

Cette réflexion après avoir entendu les ‘flash infos” à la radio :

Ce (ou cette) Covid fait transpirer de nous tout notre égocentrisme.
Tout arrimés que nous sommes aux seules infos qui directement nous concernent
(et qui ne sont le plus souvent que de ternes statistiques à partager autour de la machine à café),
nous acceptons sans renâcler l’idée que le monde, là où son cœur bat encore,
n’est que celui, ne peut être que celui, dans lequel,
géographiquement, socialement, culturellement,
nous vivons.

Les Migrants ?
On n’en parle soudain (depuis un an quand même) quasiment plus !
Ils faisaient la une de tous les journaux !
Ils ont disparu ?
À votre avis ?
Non !
Comment font-ils face à cette supplémentaire détresse qu’est cette pandémie ?

Comment peut-on continuer à les aider ?
Ça arracherait la gueule des “rédactions” de nous en parler ?
Pas vendeur ? Non, pas vendeur.
Mais surtout “Hors préoccupations”.
C’est dire.

La journée commence mal.
Même si Mozart…

On continue malgré tout ?
On continue.
La suite de notre récit anonyme (3/11)



LA MÉCANIQUE DES LETTRES
un homme de lettres anonyme.

3.

La Poste, un service public qui marche bien. Le courrier arrive à temps, des fois les colis se perdent (mais pas souvent), les timbres sont à un prix raisonnable, le facteur passe tous les jours, en général il connaît les gens, on peut discuter, etc. Mais… Mais. Il y a deux ans, en Une du journal : « La Poste remplacera un départ à la retraite sur trois. Dans les prochaines années, il y aura 4000 embauches pour 12000 départs à la retraite. » L’époque est aux privatisations : couper en morceaux les entreprises publiques et vendre les parties bénéficiaires au secteur privé. Au prix souvent, d’une dégradation de la qualité de service et de nombreux drames humains.

Octobre 2010, le gouvernement annonce le changement de statut de La Poste : de service public, elle devient une entreprise à capital majoritairement détenu par l’État. Postiers, militants de gauche, maires de petites communes, syndicalistes, tout le monde se mobilise pour organiser un référendum symbolique pour protester contre cette étape de la privatisation. Un an avant déjà, il y a eu un mouvement de grève national. Mal préparé par les syndicats, les postiers ne l’ont guère suivi. Dans mon bureau on était dégoûtés : ça avait bien pris dans le département. Dans le bureau, même les CDD étaient en grève, au grand dam de nos chefs (« Quand même, c’est pas pour ça qu’on les a embauchés, tu comprends. »), on était prêts à continuer, mais au niveau national ça n’avait pas suivi, alors après quelques jours, même les acharnés ont repris le boulot, la tête basse, sachant que la bataille était perdue.

C’est pourtant une belle connerie que de laisser se privatiser cette belle institution (et je ne suis pas enclin à dire du bien de beaucoup d’institutions).


À demain ?



Chronique pour faire taire le silence… (1)

Partages Posted on 6 mars 2021 8 h 00 min

Rien de bien particulier aujourd’hui sinon cet ennui qui guette…
Bistrots, restos, théâtres, musées, en berne.
No Jazz today.

On continue ?
La suite de notre récit anonyme (2/11)


LA MÉCANIQUE DES LETTRES
un homme de lettres anonyme.


2.

La Poste, c’est là où je travaille depuis cinq ans. Pas tout le temps : trois à quatre mois par an, en CDD. Ça me va bien, j’y vais quand j’en ai besoin et le reste du temps je fais ma vie. Ces trois mois-là, je bosse en ville, à vélo, et je suis « rouleur », ça veut dire que je n’ai pas de tournée attitrée. Parfois je distribue le même quartier un mois d’affilée, d’autres fois je fais trois tournées différentes dans la semaine. Là c’est sport, surtout quand les chefs oublient de me mettre une « doublure », un facteur qui connaît la tournée pour me montrer le premier jour. Moi ça me va comme ça, je suis jeune, je n’ai pas encore (trop) mal au dos, partir à l’aventure ça me convient. D’autant que le matin, pour rattraper le temps que je perds à trier une tournée que je ne connais pas, je suis dispensé de « TG » De quoi ? La journée du facteur, on peut la diviser en quatre parties.

D’abord, le matin, à 7h, le TG, pour Tri Général. Un camion livre toutes les lettres qui son destinées au bureau, qui ont toutes le même code postal, par exemple 52330 (Colombey-les-deux-églises) ou 75014 (Paris XIVème). Les lettres sont triées par les facteurs, celle-là elle est pour la tournée à Robert, celle-là pour la tournée à Martine. 

8h environ, chaque facteur trie sa tournée avec les lettres du TG et celles des caissettes pré-triées par les machines. « Il trie sa tournée », ça veut dire qu’il met les lettres dans l’ordre de la tournée, 2, 4, 6 rue Machin, puis rue Truc, debout dace à un casier en métal. Ça s’appelle les mises en cases. Certains commencent par rentrer les grandes lettres, d’autres les petites, d’autres les journaux; habitudes personnelles. Dans le tri de la tournée, il faut aussi enlever les lettres des gens qui ont déménagé et qui ont demandé à ce que leur courrier les suive. Et ça, c’est laborieux, il faut reprendre les lettres une à une en vérifiant les noms (sauf quand on connaît la tournée par cœur : alors ces noms on les connaît et on retire les lettres directement lors de la mise en cases).

9 ou 10h, on part en tournée, en vélo, en scooter ou en voiture, on distribue le courrier dans les boîtes et les recommandés en mains propres. Et pour finir, on rentre au bureau « rendre des comptes », ramener les recommandés non distribués et le courrier dont les destinataires ont déménagé. Alors, c’est la fin. Dans mon bureau ça veut dire midi ou treize heures selon les jours, et on peut aller manger.

Donc, moi, le boulot que je ne fais pas c’est le tri général, parce que j’en ai assez à trier avec la tournée que je ne connais pas. Je mets deux fois plus de temps qu’un facteur titulaire, surtout les premiers jours. Et parfois j’ai besoin d’aide : quand on ne connaît pas la tournée on est écrasé de travail, car tous les réflexes de la tournée on ne les a pas. On va lentement. On ne connaît pas les noms, on ne trouve pas les cases, il faut tout classer et reclasser en se servant des listes; au risque de galérer dans la rue si on a mal préparé le courrier au bureau. Alors, pendant que les autres font le TG, moi je commence déjà à trier ma tournée.

Mais, vous allez me dire, comment tu peux trier ta tournée si le TG n’est pas terminé ? Quel courrier tu peux mettre en cases ? C’est simple : il y a le courrier pré-trié par les machines. C’est du courrier qui ne passe pas au TG, parce que l’adresse a été libellée bien proprement et qu’au centre de tri une machine à lecture optique a placé la lettre dans la caissette correspondant à ma tournée. Et ces caissettes-là arrivent le matin, avant le début du tri. Donc le petit CDD a de quoi s’occuper pendant que ses collègues « passent au TG ». L’innovation épatante d’il y a deux-trois ans, c’était le « TPD+ » : non seulement les caissettes oranges qu’on reçoit sont triées par tournées, mais en plus le courrier est classé dans l’ordre de la tournée. 2, 4, 6 rue Machin, puis rue Truc, etc. C’est beaucoup plus rapide à trier, et il n’est pas besoin de connaître la tournée par cœur depuis seize ans pour la rentrer correctement.



La suite, demain.



Passer entre les doutes

Partages Posted on 5 mars 2021 15 h 42 min

Je ne sais pas vous, mais moi je ne sais plus très bien où on en est.
Je me sens comme un peu fatigué.
“Un peu, beaucoup, passionnément” comme on chantonnait quand on était mômes.
Ça se terminait par “pas du tout”, dans un éclat de rire…
et ça parlait, en effeuillant une marguerite, innocemment d’amour d’enfance,
comme seuls les mômes peuvent le faire.

Mais aujourd’hui…
pas vraiment envie de rire aujourd’hui.
Ni un peu ni à la folie.
En fait, pas du tout.

Parce que quoi, depuis le début de cette histoire de grippette devenue une pandémie sans fin,
on nous dit tout et son contraire
avec l’assurance de ceux qui ont la situation bien en main…
Enfin, quand je dis qu’on nous dit tout et son contraire,
je parle, vous l’aurez compris, du “pouvoir”, des “autorités”, de “ceux qui nous dirigent”
et pour qui nous sommes, c’est évident, tous présumés coupables.
Sinon, pourquoi s’acharner à jouer du bâton, à agiter les punitions,
les amendes, les restrictions, les menaces ?

Coupables donc aux yeux de nos “dirigeants”.
Coupables de ne pas respecter les sacro-saints gestes barrières.
Coupables de faire la nique aux jauges.
Coupables d’organiser des apéros clandestins,
de demander qu’on rouvre les restos, les bistrots, les musées.
Coupables d’avoir besoin de sortir, de ne pas aimer vivre sans vivre,
de réclamer de pouvoir aller se faire une toile, “en vrai”, pas à la téloche.

D’ailleurs, parlons-en de leur téloche.
On ne voit pas beaucoup s’agiter de masques sur les plateaux des émissions de variétés.
On y voit quelques imbéciles démasqués, toujours les mêmes, toujours si heureux d’être là
(les Bruel, les Vianey, les Obispo, et j’en passe – que du talent à l’état pur, j’vous jure),
se congratuler, se serrer la pogne, s’embrasser.
Mais bon, tout ça se fait sous les ors du Palais de Versailles,
et c’est financé par le service public.
À croire que ça change tout.
Sans doute.

Mais que les théâtres, les musées, les salles de concerts puissent,
avec des protocoles sanitaires pourtant hyper sécurisés, rouvrir,
il ne saurait en être question.
Pourquoi ?
Donnez du pain au peuple, pas des brioches !
Entre la carotte d’une vie qui ressemble à la vie
et le bâton pour faire peur à ceux qu’il prend pour des cons,
le pouvoir (“on”) a choisi.
Et tant pis si le nombre de victimes de dépression en arrive à dépasser
celui de victimes virales de la pandémie…
On ne le saura que plus tard.

Mieux vaut pour le pouvoir l’ennui
qui est selon Cholodenko
le désir privé du désir de se réaliser
Il y arrivera, il nous y mène.
Nous pourrions en crever.

Sauf à tenter de passer entre les doutes.
Ou à s’en révolter.


Mais je n’étais pas venu pour râler.
L’humeur maussade a dépassé mes envies.

Je voulais vous proposer, en ces temps de “couvre-nuit”, une petite lecture
qui aura, selon vos envies, à voir ou non avec l’air néo-libéral du temps :

C’est un texte, signé d’un homme de lettres anonyme.
Je vous le propose en onze très courts épisodes quotidiens à partir d’aujourd’hui…
Il n’est pas interdit, une fois tombé le couvre-nuit, d’y réagir !

Voici :


LA MÉCANIQUE DES LETTRES

1.

On ne regardait plus les pendules, jamais. On était payés à la tâche, c’est-à-dire qu’on avait une certaine quantité de courrier – variable selon les jours – à distribuer, et qu’une fois ces sacs triés et distribués dans les boîtes aux lettres, on pouvait partir, rentrer chez nous ou aller au bar. Alors, on en avait passé des heures dans les troquets, au Télégraphe ou à La Piscine. Tous ces vélos jaunes garés sur le trottoir et tous ces uniformes qui picolaient des demis à onze heures du matin. Et les repas à trois euros à la cantine, le restaurant inter-entreprises La Poste-France Télécom. Et les collègues qui n’allaient pas à la cantine et qui restaient à picoler au Télégraphe, parce que les coups en terrasse avec les copains c’est ça qui leur permettait de tenir. Alors ils restaient là, et on les retrouvait au même endroit une heure après. Et les pauses-cafés dans la nuit et le froid, déjà la pause alors qu’il n’était que huit heures du matin et qu’il caillait, on se mettait un peu à l’abri pour fumer une cigarette. Et la découverte des nouveaux quartiers, les rues qu’on n’avait jamais prises avant et qu’on explorait méthodiquement, boîte aux lettres par boîte aux lettres, maison par maison, immeuble par immeuble, jusqu’à les connaître par cœur. Et la dame folle qui nous poursuivait dans les rues chaque matin pour savoir si elle avait du courrier, et on savait très bien qu’elle n’en recevait jamais. Et les après-midis perdus à dormir quatre heures quand on s’était allongé pour une sieste de vingt minutes, mais la fatigue accumulée avait pris le dessus. Cotonneux, jusqu’au soir. Et les collègues sympas qui déboulaient de nulle part pour nous aider à finir la distribution d’une tournée qu’on ne connaissait pas; on croyait être là encore pour une heure et avec leur aide en quinze minutes c’était bouclé. Et les blagues les plus lourdes de la Terre, qu’on finissait par en rire d’entendre les mêmes mots tous les matins. Et d’être touché par l’humanité de ces collègues, qui étaient aussi les plus humains de la Terre. Et les chefs qui mettaient la pression sur les CDD la veille des jours de grève, leur disant de bien venir le lendemain sous des prétextes fantasques. Les chefs, les mêmes, un an plus tard, qui partaient en dépression ou qui se faisaient muter dans un autre bureau sans prévenir personne ni dire au revoir; épuisés de jouer leur rôle de fusibles dans le grand jeu de la privatisation postale.


Demain, la suite.


Pour le reste :
un document intéressant, venu de Belgique.

Puis, sa critique dans Libération :



Souvenez-vous demain…

Partages Posted on 20 janvier 2021 14 h 59 min


Retrouvé ceci dans mes informatiques tiroirs…




C’était Reiser, il y a quarante ans.


Sans commentaire.



L’horreur à la puissance flics

Partages Posted on 19 janvier 2021 15 h 50 min

La vérité, c’est comme les chaussettes, ça se retrousse.
Il y a un endroit et un envers, mais on peut s’accommoder de l’un comme de l’autre.
Tout juste une petite gène – pour la vérité, pas pour les chaussettes.
Et encore.

Ainsi, quand je parle, ici ou ailleurs, des violences policières.

Globalement, une réaction : “T’es qu’un anti-flics”.

Ben non, je suis un “anti-violences” !
On me dit : “C’est pareil !

Et, dans ce presque syllogisme-là, se niche,
hors toute l’humeur de la non-réflexion,
ce qui peut apparaître comme une “vérité en creux”,
c’est-à-dire que parler flics, c’est inévitablement parler violence(s).
Mais, entendons-nous bien : violence(s) légitime(s).

Parce qu’on apprend vite qu’aux yeux de certains, comme aux yeux de l’État,
il y a, oui, une violence légitime; du moins est-elle déclarée telle.
On croit rêver, on cauchemarde.
Il y aurait donc, par ailleurs et de manière induite,
dans ce que j’appellerai ici une sorte d’inconscient collectif,
une relation de fait évidente entre le flic et la violence (par nature illégitime !)

Dont acte.

Précision avant d’entrer dans le vif du sujet :
Je ne parle pas ici seulement des “Flics Robocops” surarmés et, on le devine, sur-entraînés, non !
Je parle ici de la “gentille” petite flicaille de tous les jours,
celle qu’on croise un peu plus que souvent dans le métro, sur les places publiques, partout.
Celle qui est censée sous venir en aide, ne l’oublions pas.
Un béret ou un képi, pas un casque; une allure presque bonhomme, pas va-t-en-guerre. Vous voyez ?

Je relaie aujourd’hui, comme la chose parfois m’arrive,
un article paru ce jour dans Libération.
Recopié (pardon, Libé !) parce que, réservé aux abonnés,
il ne pourrait être par tous lisible sur un simple clic sur un lien.
Retranscrit sans correction et sans remords (ça va sans dire, mais.)


Alors, voici :




Interpellée par la police, elle perd son enfant et demande justice

Contrôlée parce qu’elle ne portait pas son masque, Débora A. a ensuite essuyé une violente interpellation. Alors qu’elle criait être enceinte, une policière l’aurait plaquée à plusieurs reprises contre un mur.
Quelques jours plus tard, elle accouchait d’un enfant mort-né.

Visage enfantin abrité sous un fichu à carreaux, Débora A., 23 ans, peine à trouver les mots. Parfois, les questions des journalistes butent même sur un silence pesant. Son avocat, Vincent Brengarth, avait prévenu : «C’est la première fois que ma cliente rencontre des médias, elle souffre encore énormément des suites de son histoire. La cicatrisation ne fait que commencer.»

Le 10 décembre, à 17 h 25, la jeune femme se rend avec une amie et sa cousine, Céline H., au centre commercial Arc-en-Ciel de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), pour retirer une commande chez un traiteur asiatique. Débora A., née au Brésil en 1997, est alors enceinte depuis quatre mois et demi de son premier enfant. Alors qu’elles se dirigent vers la sortie, les trois femmes tombent sur un équipage de police. Débora A. et sa cousine, qui ne portent pas leurs masques, sont alors sommées par un fonctionnaire, «de façon bienveillante», de le mettre rapidement sur leurs visages. La jeune femme dit s’être exécutée.

Pourtant, le contrôle va dégénérer avec l’arrivée de la brigadière-cheffe B. Selon Débora A., «la policière est d’emblée très agressive, et lance « Y’en a marre des jeunes qui ne portent pas leurs masques »». La fonctionnaire décide de procéder à un contrôle d’identité, et de verbaliser les jeunes femmes pour non-port du masque de protection dans un établissement recevant du public. Amendes en main, elles reprennent leur chemin.

Contusion lombaire et métorragies

Mais soudain la brigadière-cheffe B. les rattrape brusquement. La policière croit percevoir des insultes à son encontre, alors que jeunes femmes disent seulement avoir plaisanté entre elles, à voix haute. Afin de menotter Céline H., la fonctionnaire saisit ses poignets et la projette au sol, aidée par plusieurs collègues. Paniquée, Débora A. explique que sa cousine a des points de suture sur le crâne, mais se voit à son tour bousculée. La brigadière-cheffe B. l’aurait même poussée violemment contre un mur à trois reprises, malgré les cris de la jeune femme annonçant être enceinte. Débora A. a été ensuite de nouveau secouée, invitée à s’excuser, et placée en garde à vue. Elle ne ressortira du commissariat de Sarcelles qu’à 21 h 30, munie d’une convocation devant le tribunal pour outrage sur la brigadière-cheffe B., audiencée le 6 juillet prochain.

Pour Débora A., le cauchemar ne fait pourtant que commencer. Dans la nuit, la jeune femme est prise de vives douleurs au ventre. Instinctivement, elle les relie aux événements violents de l’après-midi, puisque son gynécologue, vu la semaine précédente, l’avait assuré que sa grossesse se passait sans difficulté. Le 11 décembre, elle enchaîne les rendez-vous chez le généraliste, le gynécologue, et se présente, finalement, aux urgences de la maternité du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), qui constatent «une contusion lombaire et des métorragies». Debora A. est invitée à rentrer chez elle, à se reposer, et se voit délivrer une interruption temporaire de travail (ITT) de 8 jours.

La nuit suivante, les douleurs abdominales s’intensifient. Le 12, la jeune brésilienne est admise au sein de la maternité du Blanc-Mesnil. Selon la plainte avec constitution de partie civile déposée par son avocat, Vincent Brengarth, pour «violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par personne dépositaire de l’autorité publique», les praticiens notent «que la poche des eaux est descendue dans le vagin», et «la présence d’une ecchymose au niveau de la fosse lombaire gauche d’environ 7 cm de longueur et 3 cm de largeur». Après de nouvelles dégradations de sa santé, Débora A. accouche d’un enfant sans vie, le 21 décembre, à 14 h 44.

«Le lien de causalité est chronologiquement cohérent»

Durant son hospitalisation, la jeune femme a signalé les faits sur la plateforme de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), ouverte aux citoyens. Après le décès de son fœtus, elle triple son action d’une plainte à la gendarmerie de Montmorency (Val-d’Oise) et d’une lettre avec accusé de réception au parquet du tribunal judiciaire de Pontoise, si bien qu’une enquête préliminaire, confiée à l’IGPN, est aujourd’hui ouverte dans cette juridiction. «Le lien de causalité entre les violences commises le 10 décembre et le décès de l’enfant de ma cliente est chronologiquement cohérent. Il y a même une réelle présomption de culpabilité, estime Vincent Brengarth. Je précise que Débora A., mais aussi plusieurs autres acteurs de la scène, ont bien énoncé aux policiers au moment des faits qu’elle était enceinte. C’est pourquoi nous avons décidé de nous constituer partie civile en ajoutant « ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente » à la qualification pénale des violences, pour que le foetus soit pris en compte [cette qualification est par ailleurs de nature criminelle et non plus délictuelle, ndlr] En appui de son récit, la jeune femme montre aussi aux gendarmes de Montmorency des photos d’elle le jour des faits. Sur le récépissé du dépôt de plainte, ils inscrivent : «Nous constatons que son ventre est bien sorti.»

Contactée par Libération, la police nationale confirme l’existence du contrôle et affirme «qu’aucun coup n’a été porté à la plaignante». Selon une source proche de l’enquête, des témoins directs de la scène tarderaient à répondre aux sollicitations de l’IGPN, afin d’apporter des témoignages et éléments plus précis sur la scène. Un contretemps qui s’expliquerait par la présence d’au moins un témoin-clé parti à l’étranger, mais qui devrait revenir d’ici peu. A ce stade, aucune enquête administrative n’a été ouverte par les autorités.

Meurtrie, Débora A. conserve de sa garde à vue une phrase qui la hante. Avant d’être relâchée, un policier, penaud, lui a glissé : «C’est une rivalité entre femmes.» Aujourd’hui, elle demande «justice pour sa fille». Et exige qu’une autopsie médico-légale soit pratiquée sur le corps de son enfant.

(article signé par Willy Le Devin)

Dessin : Wolinski


Sans commentaire ?
Sans commentaire, si ce n’est celui que nous inspirerait la plus élémentaire des réflexions.
Mais est-il seulement possible d’encore réfléchir sereinement à la violence ordinaire des flics
dès lors qu’elle est banalisée par un pouvoir qui en est le distrait commanditaire
en même temps (en même temps !) que le malhonnête, furieux et menaçant négateur ?

La réponse, cette fois – pardonnez – est dans la question.


À bientôt ?



The end

Partages Posted on 11 janvier 2021 17 h 01 min

Bis repetita.

Sauf que ce n’est plus seulement un espoir.

Pourtant, rien n’est réglé.

À suivre !



Les vœux, les insupportables vœux.

Partages Posted on 4 janvier 2021 20 h 44 min

Je ne sais pas vous, mais moi,
ces vœux tout faits, tout frais, tout prêts,
quand viennent ce qu’on appelle les fêtes,
et qu’on a un peu peur de n’être pas heureux,
même quand il n’y aurait pas de quoi
(être heureux, mais avoir peur, oui)
ça me fait réfléchir à cette sombre cochonnerie
qu’on nous sert en guise d’espoir.
Le ça ira mieux demain,
pour étouffer le questionnement de soi.

On connaît.
Chez nos médecins,
comme chez nos dirigeants (ce mot!),
la formule a des odeurs de suffisance.
Les uns comme les autres “soignent” à coups de promesses,
ceux dont ils se foutent bien,
quitte à se faire applaudir par eux
à vingt heures piles quelques soirs,
ou lors d’élections une fois tous les cinq ans.

Et on applaudit (enfin, certains…)
Ça s’appelle l’espoir, l’espoir donné,
parce que ça ne mange pas de pain, l’espoir,
quand on le promet à ceux qui en ont besoin.
Je me trompe ?

Alors, les vœux, ceux que nous faisons,
à date marquée…
Vous voyez à quels vœux je fais ici allusion.

On les lit.
On en reçoit par entières panades.
L’informatique ignorance de qui nous sommes est ainsi faite.
Mais on reçoit des vœux.
Générés par des robots.
D’algorithmiques souhaits nous parviennent.
Et il arrive que nous ne les détestions pas !
C’est ce comble-là, sans doute, qu’on appelle l’espoir.
On devrait en avoir honte.


C’est dire ma réticence dès lors qu’il s’agit des “Bonne année”.
Les “Bonne santé”, n’en parlons pas,
ce serait d’un plus mauvais goût encore.

Et pourtant.
Je découvre aujourd’hui – non, c’était hier – les vœux de mon amie Gaëlle Boissonnard,
dont j’ai parfois relayé ici, certaines beautés.

Je vous les propose à découvrir, vous aussi, en cliquant sur le visuel ci-dessous. C’est sur son blog.

De quoi transcender les souhaits, de quoi raviver un peu d’espoir pas encore désabusé.
Même s’il ne s’écrit pas en rose…
Des vœux responsables, en quelque sorte.

Merci à elle.


À bientôt ?



Ploum, ploum, ploum…

Partages Posted on 30 décembre 2020 21 h 49 min

(Pour retrouver les “chabriennes” rêvasseries, faites une recherche “Chabre
dans le menu “Empreintes” de la colonne de droite)



Paroles de flic

Et ceci ? Posted on 19 décembre 2020 10 h 00 min

Lu ceci, dans mon Libé quotidien.
La lettre ouverte d’un flic.


Quoi ? ce blog se fait le relais des paroles d’un flic ?
Mais où va-t-on ?


Lisons plutôt.
Loin de moi l’idée de voler au secours d’un pandore.
Simplement, il me semble que sont dites là quelques petites choses qui donnent à réfléchir.

Bonne lecture à vous.




Je suis flic et j’ai des choses à vous dire…

J’exerce la profession de gardien de la paix depuis une quinzaine d’années. Gardien de la paix, à la base, c’est le flic en bleu que les citadins peuvent croiser en de multiples occasions. Je pourrais être celui qui contrôle l’identité d’un jeune dans le métro, celui qui fait la circulation, celui que vous appelez parce que la dispute est devenue violente, celui qui vient constater des dégâts ou faire cesser une infraction, parfois aussi celui qui accompagne une manifestation, ou participe à la répression d’une émeute, répond au 17 pour vous secourir, vous rassure, vous empêche, vous énerve ou vous sauve… Le flic de base en somme, banalement au service d’une institution aux missions multiples et à la réputation exécrable, à tort et à raison.

J’ai des différentes choses à dire à certaines catégories d’entre vous.

A mes collègues, je voudrais dire qu’il ne faut pas oublier que policier, c’est notre métier, pas notre définition, pas notre identité. Ce n’est pas un camp, ni un sacerdoce. C’est un métier, un gagne-pain que vous avez choisi pour des raisons multiples mais qui n’a pas à devenir idéologique ou dogmatique.

Nous avons le droit de l’aimer pour ce qu’il comporte de dévouement, de courage, de profondeur dans l’immersion sociale. Nous avons aussi le droit de le détester lorsque nous subissons ses revers, la haine de certains, la suspicion de beaucoup, l’instrumentalisation de quelques-uns, la bêtise humaine omniprésente. Nous avons aussi le droit de revendiquer un minimum de qualité de vie et de sécurité au travail, certes.

Mais au final, on nous donne un salaire pour accomplir une mission définie par la collectivité. Nous sommes légitimes et compétents pour exécuter ces tâches, et peut-être avons-nous une expertise pour aider à concevoir nos missions, mais nous restons des exécutants.

Quand la tenue et le flingue sont au vestiaire, nous sommes aussi des citoyens, et nous avons alors comme tout le monde, ni plus ni moins que tout le monde, le droit de participer aux choix collectifs qui deviendront un jour nos missions. Vous et moi ne sommes pas légitimes pour autre chose que pour cela, c’est un métier, pas un mandat, respectons ça et cessons d’avoir des revendications en forme de programme politique. Nos revendications doivent être tournées vers les décideurs, pas vers les citoyens, donc, amis syndicalistes, calmez-vous !

Si vous ne vous sentez pas capables de rester neutres, parce que votre idéologie personnelle, votre éthique ou vos sensibilités politiques deviennent irrépressibles, pensez bien avant de parler qu’en vous entendant on pensera nous entendre tous, et que certains d’entre nous ne l’acceptent pas, et préférez la démission si le mal est trop profond !

A ceux qui pensent que je suis leur ennemi, et qui valident le premier «A» du célèbre graffiti [référence au graffiti ACAB, «All cops are bastards» en français «tous les policiers sont des bâtards», ndlr] je dirais ceci : les fonctionnaires quels qu’ils soient sont peut-être la seule cible accessible du pouvoir que vous souhaitez affronter, mais sachez que les coups que nous recevons ne se répercutent pas sur vos cibles, que notre loyauté envers les institutions est un rempart contre l’arbitraire et qu’un policier illégitimement violent est un délinquant, pas un porte-parole, et que si notre profession nous déshumanise à vos yeux, vos injures ont le même effet que les causes que vous pensez combattre.

Aux rares personnes qui croient encore que nous sommes, ou devrions être, des héros, sachez que nous travaillons contre de l’argent et que nous ne sommes ni des militants, ni des activistes, ni des bénévoles associatifs. Nous avons peur souvent, nous échouons parfois, commettons des erreurs. Cela n’exclut pas l’abnégation dont certains d’entre nous parviennent à faire preuve, mais il n’est pas certains qu’il en faille plus pour être policier que pour tenir la caisse d’un hypermarché un samedi de décembre, vider les poubelles, enseigner, construire… Il est vrai que servir la collectivité est gratifiant, mais qui parmi les travailleurs divers et variés ne le fait pas ?

Aux femmes et aux hommes politiques présents et passés, je dirais que si le moindre d’entre vous avait la véritable intention de «réparer» le lien entre la population et sa police, il commencerait par expliquer que nous répondons à des ordres, à vos ordres donc ou, par l’intermédiaire d’une hiérarchie qui n’a que la fonction de vous traduire, à l’application de vos consignes et de vos stratégies. Il ne devrait pas être nécessaire d’approuver vos choix pour accepter le travail de la police.

Vous devriez donc vous lever et demander à être tenu pour responsable du résultat de vos politiques. Non pas que vous ayez à répondre du comportement déviant dont l’un d’entre nous peut ponctuellement se rendre coupable, mais vous êtes responsables par définition ! Du climat social qui génère les manifestations et les émeutes, du délitement d’une société qui ne comprend plus nos actions, de l’absurdité de notre organisation, de la faiblesse des réponses que vous apportez aux problèmes de certains et de la trop grande brutalité que vous réservez à ceux qui vous contestent. Je crois en la loyauté totale des fonctionnaires, et loyaux la plupart le sont, mais c’est à la démission que vous nous pousserez en nous instrumentalisant.

Aux journalistes je dirais, filmez-moi, photographiez-moi, parlez de moi, mais n’oubliez pas que vous observez des outils institutionnels, pas des miliciens idéologisés, et accessoirement des hommes et des femmes, pas des animaux de foire. Montrez vos images à nos juges, aux citoyens aussi pour qu’ils puissent juger des décisions de leurs représentants. Nous sommes nombreux à ne pas nous sentir agressés par votre travail, et nous regardons vos témoignages aussi, avec curiosité, stupéfaction, avec honte parfois, mais sachez que nous aussi jugeons les actes de nos collègues, avec une acuité professionnelle d’autant plus dure qu’elle n’ignore rien de la réalité. Nous devrions même participer, aider à votre travail.

A mes futurs collègues, vous qui aspirez à devenir flic, exercez-vous à souhaiter le calme et non l’action, appliquez-vous à ne pas vous couper de tout ce qui est extérieur à votre profession, et acceptez d’avance que votre opinion n’a aucun rôle à jouer dans votre future fonction. Apprenez bien les règles, les lois et les fondements démocratiques de notre société, appliquez les mieux que vos chefs. C’est à ces conditions que vous ne deviendrez pas l’instrument aveugle d’un pouvoir qui pourrait dériver, que vous ne deviendrez pas l’absurde connard que vous avez sans doute déjà croisé, que vous minimiserez vos chances de devenir une cible ou un symbole car aucun n’est acceptable, et que vous éviterez de venir grossir la rubrique des policiers morts pour rien, dans un vestiaire dégueulasse, un soir de déprime dans une ville loin de chez vous. Personne ne prendra ces responsabilités à votre place.

Il est possible d’être un policier consciencieux faute d’être irréprochable, loyal mais pas aveugle, serviable sans être corvéable, courageux mais pas suicidaire. J’essaye de faire cela, et il appartient à chacun d’entre nous de le faire.


Stéphane Romain, policier



Peut-être était-elle à 80 ans un danger pour des gendarmes armés jusqu’aux dents ?

Révoltes Posted on 10 décembre 2020 16 h 37 min

On s’en posera ironiquement la question.
Ironie adressée au(x) gendarme(s) assassin(s), non à Zineb Redouane, 80 ans donc,
défigurée, puis décédée à l’hôpital, des suites de ce qu’il n’est pas autorisé
aujourd’hui d’appeler une bavure, ni une violence policière,
mais qu’il est convenu de qualifier de “simple accident”.
Dégât collatéral, quoi. Dégagez, y’a rien à voir.

Retour, sans plus de commentaires, les images suffisant, sur les faits, ici :



À chacun de se faire une idée.
À chacun sans doute aussi, de choisir avec soin sa révolte.
À chacun de tenter de se poser les bonnes questions.

Tout cela est-il bien normal ?

Répondre à des questions qu’on ne me pose pas n’est pas mon objectif.
Interroger, m’interroger, c’est tout autre chose.



À bientôt ?




C’est qui, l’intrus ?

Et ceci ? Posted on 3 décembre 2020 17 h 14 min



Une photo. D’un lieu. Une fable à elle seule.
Et si le destin du prédateur était d’être tôt ou tard à son tour avalé ?

Photo Eric Tabuchi et Nelly Monnier



À cette visuelle fable, quelle morale ?
Il n’est pas interdit de s’en poser la question.



À bientôt ?



Et Macaron Premier de s’exclamer…

Révoltes Posted on 30 novembre 2020 18 h 02 min



Et Macaron Premier de s’exclamer, à de multiples reprises,
qu’il ne saurait être question de violences policières dans un État de droit,
qu’en prononcer même l’éventualité serait une insulte à cet État de droit…

Michel Zecler après qu’il a eu l’audace, un soir, de rentrer chez lui.



Il n’y en aurait donc pas chez nous, de violences policières ?
Pas dans notre belle France ?
Ou bien, dangereux syllogisme,
puisqu’il y en a (et de plus en plus nombreuses),
cette si belle France a-t-elle cessé d’être un État de droit ?

Il suffit de penser, de réfléchir, je veux dire…
Faire le compte des coups,
des gardés à vue,
des humiliés,
des blessés, des visés, des tués (oui !),
des roués de coups
parce que rien ou pas assez,
parce que trop noirs,
parce que pas d’accord,
trop opposés,
trop envie de vivre.

Il n’est peut-être pas inutile de se rappeler
que les autoritarismes naissent toujours
de l’éclat radieux du refus d’obéir à ce pour quoi ils ont été élus par ce peuple que,
soudainement, ils méprisent, et veulent écraser.
Et écrasent.

Jusqu’à quand ?

Quand une poignée de flics sur-armés s’en prennent à un homme
parce qu’il a le tort d’être cet homme-là (nègre et toutes ces sortes de choses),
on ne peut que se rendre compte que ces flics-là,
élevés dans le mépris des moindres considérations humaines et des lois,
font l’ignoble travail qu’on attend d’eux,
regardant en même temps le ciel et les cotes de popularités de leur(s) commanditaires
… qui montent, montent et montent encore.

À mesure que des femmes, des hommes morflent.
Jusqu’à quand ?



Sortir, rêver peut-être…

Chroniques volpiennes Posted on 24 novembre 2020 14 h 00 min

Tout semble glouglouter à hue et à dia
dans la caboche de Volp quand il se pose les questions
que les politiciens aimeraient qu’il ne se pose pas.
Qu’ils ont déclarées oiseuses, inutiles.
Mais par-dessus tout, anti républicaines…

Volp n’est pas coutumier de ce genre de questionnements. Mais là.

Décidé de sortir.
Profaner l’interdit, le confinement maudit.

Il dévale lentement les escaliers.
C’est dire s’il ne les dévale pas.
Simplement, il sort hors normes.
Comme un chat.
Qui ne demande pas d’autorisation
mais reste prudent.

Il sort, mais ne sait plus pourquoi.
Pas de Jazz au Bœuf indigo.
Interdit.
La Bouquinerie Dahlem est presque morte.
Et Simon itou.

Les gens passent la soirée chez leur télévision.

Rien à déclarer.
Va falloir être prudent,
même si ce n’est que pour se promener.

La dernière marche crisse
de l’escalier en bois.

La porte lentement gouvernaille
un peu à gauche
un fifrelin à droite,
et en silence s’ouvre.

Rien dans la rue.
Que son cœur qui bat.
C’est incroyable, ça !

Mais là, dans la lumière jaune d’un réverbère,
une rerspiration, un trait d’humour, un halètement,
un besoin de ne pas se soumettre,
une vie :

Et Volp, sourit.
Des hommes, des femmes, des enfants, des chats
vivent encore
et ironisent.
C’est bien, se dit-il.

Mais ce n’est pas gagné.



Dress Code

Et ceci ?, Révoltes Posted on 24 novembre 2020 13 h 48 min


Étrangement déguisés,
ces hommes qui ont
– comme il nous est dit –
pour mission de nous protéger, non ?

Lors d’une manifestation des gilets jaunes, dans le quartier de La Défense, le 8 avril 2019. Photo Émilie Royer


La question qui se pose,
c’est pourquoi vouloir obliger les rédactions des quelques journaux
qui tentent encore de nous informer
de flouter les visages de ces tendres gardiens de nos tranquillités ?

Pour ne pas qu’on les reconnaisse ?
Ils ne sont pas encore assez anonymes,
assez méconnaissables ?

On rêve !
Et puis, pourquoi ne reconnaîtrait-on pas nos héroïques bienfaiteurs
à l’heure où on aimerait tant les remercier ?

Mystère.
Ou alors je n’ai pas très bien compris…



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (30)

Partages Posted on 11 novembre 2020 8 h 25 min

Dernier épisode, aujourd’hui de ce feuilleton perrosien.
Bonne dernière (?) lecture !


Le paradis

T. est toujours couchée. Elle vomit. Elle fait du toboggan nostalgique. Moi, je fais les courses, je suis debout, je mange ce que je veux. J’ai été malade, déjà. Je suis déjà resté au lit plusieurs jours. Ça suffit pour devenir fou de l’existence, des gestes, des habitudes que les autres continuent de mener. Rien que d’entendre le bruit d’une conversation dans la chambre à côté, conversation debout, c’est affreux.



Le papier

Je me fais vieux. Écrire m’ennuie. Moins que de ne pas écrire. Alors je fais des manières. Je trouve préférable de travailler sur un certain papier cartonné, lisse, glacé. La plume va plus vite. Je suis allé à Quimper, aujourd’hui, pour trouver ce genre de papier. Oui. Malheureusement quadrillé, mais vert liquide, vert d’eau plus simplement. J’ai rangé le paquet dans un tiroir. Je n’oserai qu’avec peine l’attaquer. Ce que j’écris, en général, ne vaut pas si cher (400 francs). Mais il y a ce que je pense, sans le vouloir, ce qui me prend, comme ça, n’importe où. Si je suis à moto, je m’arrête, exactement comme si j’allais pisser. Le moindre bout de papier est bon. J’en retrouve des tas, dans mes poches, j’aurais envie de dire : à la fin de l’année. Puis le travail. Qui exige une autre attention. Une autre écriture. Curieux, l’écriture. Un critère. Je sais ce que vaut un texte d’après l’écriture. Si elle est illisible, c’est peut-être du meilleur, toutes proportions gardées. (Il est toujours question de moi.) Si elle est trop claire, trop nette, je me méfie. Odeur de suif. Quand les deux s’épousent, alors, oui, on peut y aller. C’est publiable. J’ai longtemps écrit, comme tout le monde, sans penser à la publication. Je n’imaginais pas la chose possible. Quoi, ces quelques lignes maladroitement orthographiées, il suffirait que je les tape à la machine pour qu’elles paraissent. Ô paresse, dirait je ne sais quel vicieux du calembour, qui m’agite. Et pourtant oui, paresse. Je suis resté de l’avis de Valéry. Montrer ce qu’on fait n’est pas honnête.



La mort

Je suis allé à Q. aujourd’hui. Pour rendre service à la crêpière, dont le fils est pensionnaire au Lycée. Rue Fréron, ou quelque chose dans le genre, je ne sais plus. Je ne connaissais pas cette rue. Amusante. Avec de vieilles maisons qui croulent sur le trottoir. Pas mal de plaques de cuivre. L’habitant. Notaire, avocat, médecin, je n’ai pas eu le temps de voir, j’étais à moto. Je suis revenu très vite. Il pleuvait. Je me disais : “Si ma chaine saute, et la chose est courante, la roue arrière se bloque, et c’est le dérapage, c’est la chute.” Réflexion courante. J’accélère, comme un imbécile. Je pense : “on verra bien”. La moindre descente est bonne pour affoler le compteur, d’ailleurs déréglé. Mais le vent est là. Pas la vitesse. Le vent. À partir de ce moment-là, je ne crois plus à la mort. Je me sens parallèle aux choses, qui bougent aussi, grâce au vent. Je me sens concerné par une complicité… cosmique, qui rend la mort inutile puis que tout l’est déjà, et s’en fout. Bref la mort, c’est d’y croire. On renaît. On la vexe ? On l’annule. Biens sûr que je vais mourir sous mon nom. Mais j’aurai vécu un peu. Assez pour savoir que c’est passionnant et terrible. Assez pour en être satisfait, quoique légèrement étonné. Persuadé de mourir à côté de la vie. Je n’aurai ni tout dit, ni tout pensé, ni tout vu. J’aurai fait l’impossible, avec les moyens du bord; Les misérables finissent, vingt sous en poche, par regarder le ciel, un arbre, un brin d’herbe. Un sourire. Il y a pas mal de temps que j’en suis là. Très heureux d’avoir saisi cela. Je suis au point vivant, qui ressemble au point mort comme une goutte ressemble à une autre, sur les fils télégraphiques. Elles se rejoignent, cependant. Forment une larme, un gros chagrin liquide, qui tombe par terre, dans l’indifférence générale.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà donc le terme de cette petite, mais à mes yeux très grande aventure,
tant me semble riche, sensible et bouleversante
la ligne qu’a suivie Georges Perros – je devrais dire qu’il a tracée, inventée.

Demain est un autre jour.


À bientôt ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (29)

Partages Posted on 10 novembre 2020 8 h 54 min

Perros, pénultième.
Quelques presque derniers frémissements de plume
pour nous accompagner dans l’interrogation de qui était Georges Perros.
Quand c’en sera fini, qui pour nous accompagner ?
Qui pour que nous cessions d’être en mauvaise compagnie,
comme avait dit Valéry que serait tout homme seul ?


Mélanie

C’est ma propriétaire. Elle a perdu son père, corps et biens en mer. Elle avait quatre ans. Sa mère est devenue aveugle à cinquante-huit ans. Elle l’a soignée. Vieille fille. Elle dit qu’elle est “blanche”. Un soir, elle m’a interdit de sortir, main au loquet : elle avait quelque chose d’important à me dire. Ça la faisait tanguer. Ça ne sortait pas facilement, elle craignait de m’avouer la chose. Se contentant d’un : “Si j’avais su, je ne vous aurais jamais pris chez moi. – Ah ! Pourquoi ?” L’entretien a duré deux heures. Enfin, elle y est allée bravement : “Eh bien voilà, on m’a dit que vous étiez un bohème.” Ouf ! Je l’ai rassurée. Lui ai demandé si elle connaissait le sens du mot. Non. J’ai ri un peu fort. Elle fut très vexée.
Elle se saoule très régulièrement. Elle veut travailler. Alors, certains soirs, elle va à la criée, titubant. On la renvoie, en la traitant d’ivrognesse. Elle l’avale mal. Le lendemain, elle vient me trouver : “Qu’est-ce qu’ils ont après moi, monsieur Georges. Allez donc savoir, je vous en prie. Je suis hardie, hein !” J’y vais. Je me trouve dans un bureau, face à un mareyeur, drôle d’espèce. Je viens demander ce qu’on a après Mélanie. On me répond qu’elle boit, que ça fait des dizaines d’années qu’elle boit, puis que pendant la guerre, avec les Allemands, ouais… Que c’est non pour le travail. Qu’on la connaît mieux que vous, monsieur, voyons… Je reviens. Je luis dis que c’est à causse de sa vue, très faible, qu’on la refuse. “Moi, ma vue, mais j’enfile d’un coup une épingle dans un fil ! Ça alors !” Bon. Elle veut travailler pour avoir sa sécurité sociale, si elle tombe malade. Discours. Je lui chuchote que moi aussi, il m’arrive de boire un coup, que ce n’est pas déshonorant, mais qu’il vaut mieux aller se coucher quand ça tourne. “Oui !” Elle ne boit que du lait, dit-elle. Si vous lui offrez un verre de vin, elle lève les bras au ciel : “Pour qui me prenez-vous !” Que faire ? j’en suis là. En attendant, je ne peux plus rien foutre.



Le vin

J’ai tendance à boire. Le soir surtout. Mais dès que je me lève, l’urgence liquide se fait sentir. D’où vient ? Cette sécheresse des lèvres, cet embarras du côté intestinal, c’est la séquelle toujours renouvelée, c’est l’impossibilité de s’arrêter. À vrai dire, je bois beaucoup. Du vin, de la bière, toutes les occasions sont bonnes. Ce n’est pas par plaisir. Dès que je me trouve devant un demi, ou un verre de vin, dans un café, l’ennui me prend. Un ennui voulu. Mais qui persiste. Qui ne m’oublie pas. Qui se venge. Exactement comme si mon corps m’en voulait de l’avoir traîné en maints endroits inintéressants. C’est ce que je ressens, très fort, chez les autres, quand je suis invité. Je paie mon écot, le langage est souverain, mais c’est une ride de plus. Pourtant, j’ai plaisir à sortir de mon trou. À parler. À voir des gens. Mais je maîtrise mal, je laisse trop de liberté au voyou qui s’impatiente en moi, qui ne se trouve bien nulle part, non par détestation d’autrui, mais par goût du vent, de la pluie, du beau temps. Bref, ce que je comprends bien, c’est l’oiseau, ce clochard éternel, qui vit en moi, coincé, ou attentif.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Dernier souffle de cette perrosienne déambulation, demain.
Il reste bien des choses à en découvrir.
Voyez, en cette sinistre période de confinement, votre libraire préféré.
Il vous fera connaître, bien mieux que moi, ces choses-là que nous a offertes Perros.
Les bons conseils ne viennent pas d’Amazonie
Ni la chaleur, ni le regard, ni la convivialité d’une librairie.
Ni la complicité.

À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (28)

Partages Posted on 9 novembre 2020 8 h 30 min

Encore du quotidien aujourd’hui.
Et de l’air, l’air de rien.



Le printemps

Aujourd’hui, c’est le printemps, oui. Je sens, en écrivant, que j’ai bu un peu trop. Le vin, ici, est très fort, douze ou treize degrés. Très africain du Nord.
Nous nous sommes un peu baladés, T. et moi, cet après-midi. Elle s’était levée, il faisait beau – le temps fait le beau, comme les chiens. Nous sommes un peu avancés sur les Plomarchs, d’où la baie tire une magnifique langue. Deux arbres en fleurs, ces maisons le unes sur les autres comme si elles se protégeaient – en fait elles se détestent – cette eau bleue, verte, noire, blanche, la mer, qui vient se reposer par ici – voir un peu ce qui s’y passe – et le soleil par-dessus cette espèce de forêt géométriquement légendaire derrière nous, bon, ça allait à peu près.
C’est le printemps. Dans l’air, je ne sais quels canons bénéfiques, qui lancent des obus fleuris. Tenons-nous en là.



Le flair

Il faut bien croire que nous avons une odeur, puisque les chiens nous suivent par le nez. Sinon, par quoi ? Chaque matin, je fais les courses, je l’emmène, je l’entraîne. Il me suit, en faisant beaucoup de gestes d’enthousiasme. Au marché, je le laisse. Il me laisse. Je le vois, de loin, s’occuper du derrière d’une demoiselle, ou d’un monsieur – on sait que les chiens n’y regardent pas de si près, malgré les apparences – à sa convenance. Je reviens à la maison. Il est là. Il m’attend, cul contre la porte, se léchant la chose essentielle. Je pense que c’est le flair qui le fait revenir chez lui. Si c’était autre chose il faudrait en conclure que les chiens sont plus intelligent que les hommes. Qu’ils sont passés par là. Qu’ils ont compris. Et du même coup, localisé leur intelligence. Point de mots. Du nez. Je serais assez de cet avis. Mais pour le moment, c’est le purgatoire.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Un peu court aujourd’hui, j’en conviens.
C’est comme ça, les perrosiennes marées.
Tantôt houleuses, tantôt si discrètes qu’on ne les entend pas… (enfin, j’exagère un peu.)

À demain quand même ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (27)

Partages Posted on 8 novembre 2020 14 h 59 min

On pense, en entamant tout ceci, à des virginités.
Incongruité cependant
que ce qui consiste à imaginer vierge
un homme qui regarde et dit.
Sans se leurrer, s’en laisser conter.


Soirée

L’envie de dessiner plutôt que d’écrire. L’envie de dessiner ce qu’on a envie d’écrire. Je mange, et dans ma distraction gastronomique, j’aperçois sur la table un visage, une forme possible, sans doute trace de casserole chaude. Je continue de manger, comme si je n’avais rien remarqué d’insolite. Mais mon regard est concerné, la petite bête commence à s’énerver. Bon, j’y vais. Chercher mon carnet, mon stylo. Et reprends la même place. Je fixe le même endroit. Mais ne retrouve plus du tout la même chose. J’étais parti pour dessiner. Et voilà qu’il me faut écrire que j’étais parti pour… Comme je n’aime pas mentir, oui, la forme, le visage, sont peu à peu revenus. Je me demande d’où ? Si je fait de passer d’une pièce à une autre est susceptible de bouleverser un monde aussi strict, autoritaire, déterminé, que celui des choses, ou des traces que laisse une casserole sur une table, à qui se fier ? J’avais d’abord pensé, en littérateur impénitent, que c’était l’œil d’Hölderlin qui soulevait la table. À bien regarder, observer, non. (On s’en doute.) C’est toujours un œil, certes, je n’ai pas menti sur ce point, mais celui d’Hölderlin, je crains que non. Au fait, c’est le nez qui m’étonne. Un nez possible. Résolument tracé, en noir. L’œil sensible aux teintes de la table, vaguement acajou, très nuancé. J’ai eu immédiatement envie d’ajouter : d’acajouter ! – ce sera tout pour aujourd’hui.
Une fois de plus, j’envie les peintres, qui peuvent exploiter l’absurde en toutes couleurs, j’allais dire : en toute tranquillités.



L’infirmière

Passé le plus clair – ou le plus obscur de mon temps, chez les docteurs de la ville. Madame qui tient, comme on dit, un café, et s’est toujours montrée extrêmement prévenante, m’avait conseillé Youinou. J’y suis allé hier, mais vraiment trop de monde. Y suis retourné aujourd’hui, vers trois heures. Salle d’attente funèbre, l’ampoule manque au bout du fil électrique, mais encore pas mal de monde. J’attends un peu, en lisant Combat puisque c’est jeudi et qu’il y a deux pages consacrées aux lettres. Comme d’habitude, lecture inutile. À force d’attendre, je me dis que T. doit s’impatienter. Je fonce chez un autre docteur, que Mme Lebrun, veuve, tenant un petit café où j’allais tous les matins boire un jus lors de mes précédents séjours (!) m’a recommandé. “Très bon accoucheur.” Bon. J’entre. Sonnerie. Puis silence. Où est la salle d’attente ? Cherche toujours. J’attends. Sort d’une porte – comment sortir d’une porte ? – un présumé malade, suivi, loquace, du présumé docteur. Il me voit. “C’est pour une consultation ? – Non, un renseignement. – Bon, allez vous asseoir.” Et hop, à nouveau entre quatre murs, avec ces curieux visages de futurs ou anciens ou présents malades, dont les mains saisissent fébrilement les monceaux d’âneries imagées accumulées sur la table. Je ne me sens pas très bien. Je me demande si je ne vais pas à mon tour tomber malade. Le docteur L. vient chercher un nouveau client. Il lui dit “entrez” de telle manière que pour le coup j’avale ma pipe. Dès qu’il a disparu, j’en fais autant, mais du côté de la rue. Une heure après, je suis dans la salle d’attente du docteur Youinou, premier nommé. Cinq personnes avant moi. Parmi lesquelles une maman qui berce son bébé, qui a peut-être une angine. “Avec ce temps, et ce brouillard, ce matin, vous avez vu ?” Bon. Mon tour arrive. “Ce n’est pas moi qui suis malade, c’est ma femme – extraordinaire de m’entendre prononcer ces mots ! – elle est enceinte, elle vomit, etc. – Oui, c’est pas drôle, on a bien assez d’embêtement comme ça.” Là-dessus, rapide auscultation de ma binette, ordonnance, et hop, chez le pharmacien. Où suppositoires. Et liquide vitaminé, donc, piqûres. Recherche d’une infirmière. On la trouve. Elle arrive. Entre soixante et soixante-dix ans. Elle boite. Elle a des rhumatismes. Assez éveillée, malgré l’heure. Elle en connaît un bout sur les fesses et les cris des malades. Elle me rejoint dans la cuisine où je fais chauffer de l’eau pour les seringues. Elle me dire que T. est enceinte – eh oui ! – elle se laisse dire qu’il y a pas mal de temps qu’elle a connu ça, et qu’on ne devrait pas se marier,; nous autres femmes, pour en arriver là. Je suis bien de son avis, quoique mâle. Piqûre faite – attention, criez, voilà, ce n’est rien – elle s’en va, boitillant, coiffe en tête. Elle revient demain matin, neuf heures. Il est temps d’aller se coucher.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Demain est un autre jour.
Il n’empêche qu’on puisse s’y trouver…

À demain, donc.





Cesser d’être en mauvaise compagnie… (26)

Partages Posted on 7 novembre 2020 13 h 12 min

Des textes en prise directe avec le quotidien, annonçais-je hier.
J’aurais dû préciser avec la pratique du quotidien.
Voici.


Les fleurs

Des fleurs sur ma table, donc je ne suis pas seul. J’y pensais cet après-midi. Je ne suis plus seul. J’étais allé faire des courses. Chercher des flocons d’avoine pour elle, qui est malade. Enceinte. Curieux. Je marchais dans des rues mille fois parcourue en état de solitude absolue, et me venait à l’esprit : “Quelqu’un m’attend, se demande ce que je fabrique, si je ne bois pas un coup avec les copains.” J’étais occupé, comme les Allemands occupèrent Paris pendant la guerre. Mais là, content de l’être. Je me sentais une responsabilité. C’est ce que l’homme a trouvé de mieux pour respirer convenablement. Et ce coup effectivement bu, je m’entendais dire : “Il faut que je rentre.” Ce qui et le comble pour un type qui a vécu seul jusqu’à trente-cinq ans. Pour un célibataire. Je suis donc rentré, j’ai fait la cuisine. J’ai consciencieusement jeté des cuillers de flocons d’avoine dans le lait en ébullition. Je lui ai porté la chose. Apporté. La propriétaire, Mélanie, est venue me demander si j’oserais parler pour elle à Auguste M., mareyeur, demain matin. On lui en veut, parce qu’elle boit. Dit-on, dit-elle. Je le sais mieux que personne. N’importe, j’irai à la criée demain matin, à la recherche de ce monsieur qui me demandera sans doute de quoi je me mêle.



La vaisselle

J’avais oublié. Mais depuis que T. est malade, couchée, je fais la cuisine. Et par suite, la vaisselle. Gestes de femme. Je comprends mieux les femmes, en essuyant une assiette. Je regarde par la fenêtre, le torchon dans les mains. Il n’y a pas, à proprement parler, regard. Mais distraction. Mais total no man’s land, ou, en l’occurence, no woman’s land. Je pense à tout et à rien, dans une espèce de vacance, de réalité complice du robinet, du gaz, du torchon plus ou moins mouillé. Je ne sais plus ce qui peut m’arriver. Les gens qui ont des bonnes oublient très vite ce phénomène. Faire la vaisselle des autres, ce doit être beaucoup plus intéressant. Je voulais dire : horrible, mais ce serait retomber dans le plus bas moralisme. Quant à s’occuper des enfants des autres, j’y perds un peu mon latin; J’ai eu pas mal d’amis à bonnes. Invité chez eux, il m’était extrêmement difficile de “m’intéresser” à cette jeune, ou vieille personne. À peine si j’osais demander le prénom, ou le village natal, de cet être ambigu qui servait et desservait, avec laquelle on était d’une politesse qui me paraissait exagérée. Je prenais une petite revanche en allant au water, via la cuisine. Là, je savais tout. La misère et l’espoir. Je savais mon impuissance. Et je rentrais dans la salle à manger, pour le dessert, vaguement malhonnête, oui, c’est le mot, d’avoir osé parler normalement à une personne normale. Pendant le pousse-café, au salon, tout en discutant littérature, avec passion, quelque chose en moi s’émouvait au contact gélatineux de ce que nous venions d’ingurgiter et que cette jeune ou vieille demoiselle essuyait.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà. C’en est terminé pour aujourd’hui.
Demain, la suite.

On s’y retrouve ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (25)

Partages Posted on 6 novembre 2020 11 h 47 min

On continue. Avec application.
On continue, mais on sait que la fin est proche de ce petit trajet
fait en compagnie de, et les yeux rivés sur, Georges Perros.
Dès demain, je vous proposerai des textes plus circonstanciés,
plus attachés à certaines circonstances de la vie. Plus concrets donc.
Un Perros toujours aussi lucide, vinaigré parfois. Plus quotidien cependant.

Retour à mon silence.



Ce qui est horrible chez les hommes politiques comme chez les flics, c’est qu’ils donnent l’impression d’avoir été fait pour ça.



On est jeune. Puis on n’est plus rien. On traîne sa jeunesse jusqu’à la mort de l’homme qu’on est devenu et qui n’est bon qu’à mourir, avec ses médailles de bon citoyen sur la poitrine. Le langage devrait faire le gué, le guet.
L’art, c’est la mort du jeune homme.


D’abord le tableau noir. Puis la page blanche. Et après ?



Pour tirer d’un homme ce qu’il a d’humain, il faut attendre sa mort. S’il en reste.



La politique, ce devrait être résister à tout ce qui risque de dégrader l’homme dans son milieu intégral – mon voisin d’abord – sans référence aucune. Autrement dit, il est à peu près interdit d’en faire pour devenir député. Mais d’en vivre. De vivre cette résistance, oui. Avec les inconvénients qui s’ensuivent. Car les choses étant ce qu’elles sont, il faut une sacrée distraction pour ne pas se laisser aller à être pour quelqu’un – belle illusion – dans le cours d’une histoire sans lieu précis, mais provocante. Comment ne pas adhérer à un “parti”, hors tout romantisme, toute “belle âme” ? Difficile. Voire douloureux. Mais il faut tenir le coup, quand le cœur n’y est pas. On ne mérite peut-être pas la “politique”. Comme on ne mérite pas la psychanalyse, qui nous rend plus, ou autrement, intéressants que nous ne sommes. Si nous le sommes, ce ne peut être par ce biais.



La santé, c’est ce qui sert à ne pas mourir chaque fois qu’on est gravement malade.



Dans le train. En face de moi, un gosse. Il est plus emmerdant que tous les voyageurs réunis. Mais c’est un gosse. Sinistre, sachant, etc., comme à peu près tous les gosses. J’en fus un. J’en ai trois. J’en fréquente beaucoup. Mais il tout de même moins emmerdant, insupportable, que le type qui est à côté de moi, qui lit… je regarde quoi mais le titre du canard m’échappe – qui lit donc, quoi qu’il en soit de sa lecture, une ânerie, à ne voir que les illustrations. Le gosse mange un petit beurre Lu. Il me regarde, avec des yeux énormes, parce qu’il a des lunettes à verres grossissants. Je lui souris, il me tire la langue. Son grand-père ne voit rien, il lit Le Monde, avec un de ces airs d’en avoir plusieurs ! Nous sommes entre Redon et Vannes.



Souvent, le plus souvent, ce que j’écris n’aurait de sens que non publié. Nous voilà bien !


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

C’est tout pour aujourd’hui (première semaine de confinement presque bouclée)…

À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (24)

Partages Posted on 5 novembre 2020 17 h 22 min

Georges Perros.
Je continue de me taire.
Perros, c’est le moins qu’on puisse dire, est moins mutique.
On l’écoute ?



Il était d’une intelligence supérieure à sa moyenne.



Il faut se cacher pour écrire. Parce qu’écrire nous met à poil. À nu. Écrire n’est pas présentable. (Mais pour certains, c’est le contraire. Ils se mettent sur leur trente et un. Finissent généralement l’épée à la hanche.



À qui le Christ a-t-il pu dire : “Méfiez-vous des hommes” ?



On ne devrait lire un poème qu’en braille. Avec les doigts.



Racine est intraduisible parce qu’il a très peu de poésie dans son œuvre. Mais traduisez Sophocle, Shakespeare comme un cochon, il en restera toujours quelque chose. L’essentiel. Celui de tout homme vivant, quel qu’il soit, quoi qu’il dise ou fasse.



Évidemment, je suis bien d’accord – avec qui ? –, il vaudrait mieux s’abstenir. Ne plus lire les journaux, ne plus écouter la radio, ne plus regarder la télévision. Oui. Et ne s’en tenir qu’à la célébration de ce, de ceux qu’on aime – nombreux –, ou se taire. Oui. Mais il y a des tiraillements, des couleuvres qui ne passent pas, des indignations, des envies, d’obscurs goûts d’être au courant, rien moins qu’électrique. Alors on passe d’une petite colère à une autre, d’un coup de pied dans le derrière du néant à un autre au monsieur qui gnagnatise derrière un micro. Tenez, ce matin, j’ouvre le poste, comme on dit. Cette voix, suffisante, délavée, je la connais. Elle émet des sons. La voix déplore le gris de l’œuvre d’Henri Thomas. À se demander si son propriétaire ne confond pas avec la sienne. Alors ça y est. La colère. Je tourne le bouton comme si j’appuyais sur une gâchette. Mais à quoi bon tuer vraiment un cadavre ?



À quoi m’auront servi, me servent encore, tous ces livres, dont quelques-uns ne m’ont plus quitté depuis connaissance faite, sinon à vivre ? On dit beaucoup de mal de la littérature. C’est un dérisoire tour de passe-passe. Sans évoquer tous les hommes et femmes qu’il n’ont eu qu’une ambition, celle d’être publiés, et qui, dès lors qu’ils ne le sont pas, ne cessent plus de cracher dans leur première soupe – disons tête – Io Io ! L’amusant, ce serait plutôt ce constat : les publiés meurent – littéralement – encore plus vite que ceux qui ne le sont pas. Les bibliothèques sont pleines de morts. Que personne ne lit, ne lira plus. D’où le fait d’être publié n’est pas suffisant pour satisfaire cette fameuse ambition. Je peux bien dire, pour ma part, que je n’ai été publié que par hasard. Après quoi il faut bien se montrer. On vous convoque. Venez montrer votre poire. Si ladite poire déplaît, gare à vous. À moins d’avoir un génie qui ne peut que manifester celui de votre premier lecteur – la fameuse découverte ! – , vous aurez grand mal à faire accepter votre second livre. Accepté par qui ? Voilà le problème. Les comités de lecture, c’est le pouvoir de l’intellect à l’état pur.



Comment un homme pourrait-il en représenter des milliers ?



Pas mal, pas mal, ce que vous faites. Mais faudrait toute de même lire Marx un jour. Hein ! Puis il y a la linguistique. Tic tic. Faudrait tout de même en passer par là. Comme nous. Pourquoi ne vous emmerdez-vous pas la vie ? Comme nous. Tant pis pour vous.


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (23)

Partages Posted on 4 novembre 2020 12 h 16 min

On continue. En silence.
Mais ça bout côté neurones et breloque.
Et conscience aussi, bien sûr.
Enfin, je dis ça…

Bonne lecture.



Il n’a jamais été question pour moi de m’enfermer dans la littérature, mais de confronter le peu que j’en ai dans la peau aux risques quotidien de m’en débarrasser. (En souhaitant, peut-être, qu’il en reste un peu du
peu !)



Ce que j’ai appris, c’est qu’il est plus difficile d’écrire simplement qu’hermétiquement. L’hermétique doit être absorbé par le simple. Hölderlin le savait. Et Artaud.



Arrangez ça comme vous voulez, la littérature c’est l’habitat de la solitude. Le désir. L’impatience.



Je lis les journaux, je me tiens au courant. J’écoute la radio. Je lis mes contemporains, même ceux qui ne seront jamais lus que par moi, et il y en a, il y en a ! Alors, ce qui pourrait me manquer, c’est l’“ambiance”, deux ou trois conversations dans un café. Où est la marge ? Retiré ? De quoi ? De qui ? On me parle du Centre Beaubourg, on me dit : “Il faut avoir vu ceci, entendu cela…” Non. Il y a énergie ou rien. Aussi bien dans une île, une prison, un hôpital. Le grave, c’est l’exil. Quitter ses amours, qui sont irrationnels. Je plains les Russes expulsés de leur pays. Un arbre russe ne ressemble pas à un arbre suisse, ou américain. Ne plus pouvoir parler sa langue, dans la rue, pour acheter du pain, oui, c’est dur. Ce doit l’être. On mâche le “peu qui reste”.



Le moment à partir duquel le désir de vivre touche au plus près l’envie de mourir, parce que c’en est trop des deux côtés. La vie et la morts flouées. L’homme moulé dans l’instant de cette découverte. Après quoi ! Nul mérite. Il faut recommencer. Mais, dans la poche, une certitude. La mort a bonne mine. On va l’aider, l’imbécile. Elle se croira toujours aussi triomphante que nos P.-D.G.



Je ne lis bien que quand j’éprouve le besoin, comme si j’étais dans le coma, de ne rien comprendre à l’immédiat du regard sur ces lignes qui vont à je ne sais quelle pêche dont je suis, pour le moment, exclu. Il me faut revenir, dans l’immédiat, sur ces lignes qui me viennent de si loin – que fabrique leur auteur, dans le même moment ? – et souvent bien sûr, il est déjà mort, autrement dit plus près que mes contemporains qui poursuivent leur aventure dieu sait comme, dieu sait où, et que de surprises ! Alors je relis sur place, je n’ai compris que la lettre; il me semble nécessaire, heureux, de revenir sur mes pas, pour mieux enregistrer la parole vouée au vent qui, dans l’instant, me passe, me traverse, perturbe, remet en branle mes cellules attentives.



C’est vrai qu’il est temps d’arrêter le progrès. On pense des hommes dits scientifiques ce qu’on pense des enfants turbulents : “Qu’est-ce qu’ils vont encore inventer ?” C’est vrai. Mais le pire est fait. On peut, entre nous, sans l’aide d’aucun dieu, faire sauter la baraque.



Je ne suis ni de droite ni de gauche. Je suis dans la merde. Ça ne porte pas toujours bonheur.



Je suis persuadé qu’on rencontre sa mort durant sa vie. Mais on ne la reconnaît pas. À peine risque-t-on d’en sentir le frisson. Souvent dans le regard d’autrui.


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà pour aujourd’hui, sixième jour de ce foutu reconfinement.
Belle journée à vous.

Et à demain ?



Des bouteilles à la mer quand on craint qu’il n’y ait plus de mers…

Et ceci ?, Révoltes Posted on 3 novembre 2020 16 h 12 min

03 novembre 2020.
Élection présidentielle américaine.
Un espoir. Sans commentaire.
Le commentaire est dans l’espoir…

Mon amie Gaëlle, m’adresse ceci, reçu d’une autre,
qui l’a sans doute reçu d’une autre encore….
Sûr qu’on ne sera pas les seuls.
Mais ça fait du bien.
Sauf à imaginer le pire, demain.
Et puis après…

Nous verrons.





Cesser d’être en mauvaise compagnie… (22)

Partages Posted on 3 novembre 2020 15 h 57 min

Il faut se taire.
Ou alors pouvoir parler autrement que pour ne rien dire
quand il s’agit de ces choses-là de littérature.
Et de Georges Perros en particulier.
Difficile.
Il se trouve que, lâcheté du confort,
j’ai annoncé vouloir me taire tout au long de ce périple
dénué, volontairement, de commentaires, voire d’indications.
On continue. On verra par la suite.



Je ne peux pas concevoir un homme sans cesse occupé de ce qu’il fait, a fait, va faire. Quoi qu’il fasse. L’homme m’est impensable qui n’éprouve pas, tous les jours, fût-ce un quart d’instant le vide, l’impossible à vivre. C’est ce quart d’instant qui me passionne. Qui a fait ma vie. Ce quart sans la moindre référence, le moindre souvenir, la moindre hérédité. Ni cruel ni pessimiste ni perceptible à qui que ce soit. C’est comme une douleur furtive qui vous traverse comme un avion passe un nuage. Il vaut mieux être seul quand elle se déclare. Tout de même. Parce que justement, quoi qu’on fasse à ce moment-là, on n’a qu’une envie, la suivre, cette douleur, voter pour elle. J’ai connu cela sur scène, quand je jouais des rôles un peu conséquents. Entre deux répliques, elle attaquait, sans méchanceté, elle ne savais pas ce que je fabriquais là. Mais c’en était fini de ma présence scénique. Je me trouvais tout à coup dans un monde bloqué, arrêté, une sorte de musée Grévin, rejeté – sans l’être – hors d’une figuration plus ou moins intéressante. Le non-sens absolu. Mais s’il n’y avait que le théâtre ! Ça continue, dans le plus retiré possible. Au moins là suis-je en mesure de voyager en toute tranquillité sur les ailes de cette douleurs, oh, disons de ce picotement quotidien qui traverse tous les instants, les uns après les autres, sans chronologie, de ce qu’il croit ma vie.



Le moment à partir duquel on ne peut plus dire sa vérité, parce qu’elle est insupportable. Inécoutable. Indécente. Pire que de faire l’amour dans la rue.



Il pleurait à froides larmes.



Qui écrit pour se sauver est foutu d’avance.



Je ne peux qu’envier les artistes que le temps parvient à envahir de telle sorte qu’un chantier se déclare, s’ouvre devant eux, et qu’un travail leur devient possible, leur permettant dès lors d’être occupés comme s’entendent à l’être un menuisier, un maçon, un bûcheron, etc.
L’enviable, c’est de métamorphoser son artisterie en artisanerie.
Reste… l’inspiration. mot difficile à prononcer, impossible à traduire, puisqu’il ne recouvre rien, le fait même de travailler l’annulant.



La nuit aussi donne des idées, pourquoi en faire des rêves, comme si les idées diurnes étaient plus achevées que celles du sommeil. Ces idées, parfois, nous échappent, on ne sait pourquoi. pendant qu’elles déroulent leur absolu, on pense qu’il faudrait les noter. Elles, et non les autres. Or, ce sont celles-là qu’on ne note pas, qui reviennent périodiquement, sans qu’on puisse jamais les retenir.



Non certes l’homme n’a pas en lui de quoi aimer trente-six fois. Ou c’est qu’il nomme amour une bien faible flammèche. Quand on a bien aimé, quand on a tout brûlé, il se fait un grand vide, une grande blessure à cicatriser par le temps. Mais qui ne voit que la vie est trop courte pour récidiver.



On demande une miette d’amour pour tous les jours. On nous en donne une tonne pour l’éternité, qui est la mort.



L’homme se fait réveiller par un portier qui passe la nuit à sa place.


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Mutisme d’après lecture avant de vous souhaiter
À demain !



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (21)

Partages Posted on 2 novembre 2020 20 h 40 min

Georges Perros, dernière ligne droite : Papiers collés (3)



Je suis plus sensible aux êtres quand j’y pense que quand je les vois. Tout ce qui s’ensuit… L’amour difficile.



Le geste humain plaqué sur le tremblement de l’air – du réel, comme l’ombre de l’homme sur un trottoir d’Hiroshima. La distance, entre le graffiti et la trace d’un passage, c’est dans la nuit qu’on la réduit, toute affaire cessante, tout désir rendu à sa bonne fatigue. Alors, une main tendue, une cigarette partagée, et le monde s’ouvre à nouveau, déduit du rien originel.



Réussir sa vie : Rimbaud.
Réussir dans la vie : tout le monde ou presque.



Le monde va peut-être finir par ressembler à ce que nous méritons. Aux hommes qui l’occupent. Le monde, non, la terre. Cette merveille mutilée. Ce jour-là – la réussite – les morts ressusciteront.



Si j’avais le temps, ah si j’avais le temps !” De quel temps s’agit-il ?



Je cherche un stylo. Il faudrait n’avoir jamais écrit autrement que pour affaires, urgences dérisoires, pour ne pas comprendre l’enfantillage qui consiste à se mettre en quête d’une plume, d’un papier, etc., susceptibles d’aider au travail de l’écriture désintéressée – ô combien ! Ainsi, pour ce qui est de la lecture, couper les pages d’un livres était un plaisir. On nous l’a enlevé aussi, celui-là. Écrire, lire, c’est se mettre en prison pour crime à commettre. Le crime étant peut-être, justement, de lire, d’écrire, hors d’un temps qui exige une autre présence humaine. C’est, de toute manière, quoi qu’on lise ou écrive, se retirer. Afin de mieux pénétrer, s’enfoncer, dans un espace qui rend compte, paradoxalement, de cette présence. Mais sans cesse remise en question. Bref, fourbir ses armes d’existence. À qui faire bien comprendre cette veille ?



Ce que je voudrais dire, sans cesse, est très simple. C’est qu’il y a, tous les jours, quelque chose qui interrompt l’aventure sociale, sentimentale, intellectuelle, qui laisse son homme en plan, stupéfait, quel qu’il soit, quoi qu’il fasse. Il faut remettre ses bottes.



Rien de plus rare à se manifester que le naturel.



Sûr que le progrès, aujourd’hui, c’est de faucher les mauvaises herbes.



Voir un vivant comme on le revoit quand on apprend sa mort. Difficile.



Je n’ai jamais payé la première tournée que pour m’en aller plus vite.


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

À demain ?





Cesser d’être en mauvaise compagnie… (20)

Partages Posted on 1 novembre 2020 13 h 39 min

Troisième jour de ce second (?) confinement…
Nous voilà aux deux tiers de notre perrosienne aventure.



La littérature, c’est ce que l’homme ne mérite pas. Ni l’auteur, ni le lecteur. Qu’il faille être original pour être entendu quand on dit le malheur ou l’horreur d’être et de devoir mourir, nous condamne à coup sûr. Mais on peut aussi ne lire que le journal. Là on est gorgé, comblé. Voilà ce qu’on mérite.



Il posait des réponses.



J’écris quand je sens que je passe par moi.



Le sens des réalités va contre le sens de la réalité.



Qu’il écrive à propos d’une pierre, d’un arbre, ou d’un de ses semblables, il est évident qu’un homme se vend. Plus il tend à écrire ou à détruire, plus il se dit. Notre époque a une sainte horreur de la psychologie à deux sous, mais n’en est pas sortie pour autant. La littérature est devenue un lieu privilégié de nettoyage en série, lieu dans lequel il est interdit de dire “Je” quand il s’agit de soi-même, comme si soi-même existait, et voulait, par là, se préserver. Mais raconter sa vie ou celle du voisin, mais dire je ou il, mais dire nous, comme il est de plus en plus amusant de le faire, n’avance pas à grand-chose. Nous sommes très liés à nous-mêmes et l’écriture n’est jamais qu’un moment – privilégié – de notre existence. Nous sommes très seuls à l’être.



Ce serait très bien, la littérature, si les lecteurs comprenaient un jour ce que c’est. Pas du tout. Un type qui écrit deux cents pages sur sa veulerie, sa saloperie, sa médiocrité, son néant, allez, on lui file le prix Goncourt. Quel talent ! Le type est content. Le talent sauve tout. D’où cette nuée de terribles, d’imbéciles heureux, qui couvrent les catalogues d’éditeurs grâce à la faculté de dire qu’ils n’existent pas. Si on savait lire, on serait stupéfait de l’aveu d’imbécilité de la plupart de nos auteurs actuels. Ils crient leur vide et on leur trouve du talent, voire autre chose. Tout ça, parce qu’on ne sait jamais. Si on loupait un Miller, un Genet, un Kafka, vous vous rendez compte ! Cette peur fait publier, rend publiable, 80% de notre littérature actuelle.



Il est bien évident que si n’importe quel écrivain au travail se disait qu’il fait de la littérature, il enverrait tout promener, lui avec. D’où il n’y a littérature qu’à partir du moment ou l’autre regarde ce qu’il a écrit et y trouve de quoi nourrir ce regard. C’est le trajet écrivain-lecteur qu’on appelle littérature. J’ajouterai que lorsqu’on ne trouve rien à regarder, à lire, on dit aussi : c’est de la littérature. terme qui sert deux maîtres à la fois. Mais on ne s’y trompe pas longtemps.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire



Voilà pour ce dimanche.
On entre dès demain dans la quatrième et dernière semaine de cette série.
Vous en serez ?

À demain, alors.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (19)

Partages Posted on 31 octobre 2020 12 h 12 min

Deuxième jour de “re-confinement”.
Et dans cette adversité, Georges Perros. À lire, à (re)découvrir.
Étape dix-neuf. Vous suivez ?



Qu’est-ce qu’un homme qui n’arrête pas d’écrire ? Qui refuse délibérément tout ce qui pourrait faire obstacle à ce qui appelle son œuvre . L’amour de la littérature vaut les autres amours. S’il ne s’y mêle aucune impossibilité majeure, à quoi bon aimer ? Un amour absolu n’a aucune sens. On ne peut aimer absolument que le rien. Sinon, on transige. On montre ses plaies pour détourner l’attention de ce rien, pour cacher ce que tout homme, dans sa vie, a fait de vil, de mesquin, d’ambitieux. Nous sommes tous, ou à peu près, des damnés apprivoisés, des salauds plus ou moins salauds. Mais la moindre distraction fait sauter le couvercle. Avoir connaissance de cela, malgré le mutisme général, est un cas de solitude. Car il y a des choses auxquelles on ne peut faire aucun mal. Des éléments. Le ciel, la mer. Se colleter avec, c’est jurer qu’on renonce au mal “humain”, sans pour autant renoncer à l’amitié, voire à l’amour. Ambigu ? Difficile. Mais pas impossible, j’espère.



Quelle chance avait Socrate de ne pas avoir à lire Platon ! Ces gens plus intelligents que nous n’avaient pratiquement rien à lire. Nous, plutôt faibles, sommes écrasés. D’où le besoin de s’affranchir d’une culture terrifiante, en lui volant dans les plumes, ou en l’ignorant totalement.



Nous pourrions tous nous suicider, parce qu’il n’y a rien à attendre, et que nous sommes des êtres d’attente, incapables d’aucun progrès, à partir de cette légère prise de conscience à la poésie, sans pour autant nous délivrer du sous-monde, qui vomit du péché en ivrogne absolu.



Moins je mens, plus je rougis.



Il y a le suicide. Ces n’est pas mal. Mais on aurait dû penser à son contraire.



On apprend que X, qui a écrit ce matin même une lettre d’injures, ouverte, à Z, dîne ce soir chez ce dernier. C’est beau, l’intelligence démocratique. Tout le monde fait joujou. Sacrée Marianne.



Dimanche

Repos des ruelles silence
Tout le village agenouillé
Avale sa prière et pense
Aux gros gâteaux du pâtissier
Dans un coin l’enfant se demande
Pourquoi diable Dieu se coucha
Le septième jour ô limande
Où glisse l’ennui d’être là.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Demain, nous serons aux deux tiers de notre périple.

Belle journée confinée à vous !



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (18)

Partages Posted on 30 octobre 2020 13 h 49 min

Bribes et morceaux de Georges Perros.
18ème étape.



Bach. On déchiffre Bach. Il ne demande qu’à être déchiffré. Je rentre dans son ordre. Je rentrerais aussi bien dans celui du méconnu Czerny; Bach me permet de faire des gammes, et me donne autre chose, qui ne ressort pas de l’“interprétation”. En un mot, il me re-pose. Ce n’est pas rien. Il me fait, d’un coup, retourner à l’école. Bach chante toujours, mais sans que son chant ressemble jamais à un ruisseau, un orage, ou une goutte d’eau. Bach ne ressemble à rien. Et quand on est gorgé d’humain, je veux dire de ruisseau, d’orage, etc. que “soulagement” de se faire entendre, peu importe de quelle heureuse manière, ce qui ne ressemble à rien, et cependant existe. Les moments d’amour pour Bach sont rares. Plus rares que ceux qu’on peut éprouver pour Schubert, Schumann… Ce qui me retient chez Bach, dans ces moments-là, c’est qu’il se met à ma portée, le mot est trop juste, que je peux en profiter, qu’il est à ma mesure, malgré tout ce qui, si évidemment, nous sépare. Je le retrouve dans le Petit Livre pour A. Magdalena, très difficile malgré les apparences. Mais très jouable. Bach est bon, voilà. Il nous veut du bien. Sans pour autant tomber dans le prosélytisme. Rarissime. Un homme qui se veut bon rend généralement les autres méchants. De quoi je me mêle ! Couru d’avance. Mais Bach croit en dieu comme il est infiniment rare qu’on y croie. Il y croit parce qu’il travaille, qu’il acquiesce au labeur quotidien. Au point peut-être exagéré de faire pas mal de gosses. Qu’il a su élever, nous le savons. La musique, pour lui, devant être comme le folklore du bon Dieu, une gymnastique gracieuse et grave, glorifiant l’absent. Aujourd’hui, certes, c’est le contraire. (Pas pour tout le monde, n’oublions pas Stravinsky, Messiaen.) L’absence se fait par trop sentir. Merde à l’absent. Mais ça ne va pas mieux pour autant. Plutôt pire.



Ne pas vouloir l’ennui. On peut très bien laisser tomber. Accepter les scènes avec sa femme, avec les hommes. Mais c’est donner trop de chance au diable. Qui envahit tout. Apparemment rien de changé. Mais l’homme, à l’heure du repas dépliera sa feuille de chou, ou ne sera tout simplement pas là. Un rendez-vous important. (Le sens des affaires vient souvent de ce qu‘on s’ennuie chez soi.) Mais madame sera “triste”, et quand les femmes se mettent à l’être, à vouloir l’être, inutile d’insister. Le susdit diable n’y retrouverait pas sa culotte. Alors il y a piétinement. Nous somme mariés, toutes les femmes, hors la nôtre, nous paraissent désirables. Dans le même temps, tous nous sommes cités en exemple. Ceux qui aident leur femme, font la cuisine, s’occupent de bébé, etc. Laissez-vous faire, d’un côté comme de l’autre, et voilà, c’est fini, le sortilège a triomphé, la mort n’a plus qu’à prendre. À quel saint se vouer pour éviter ce “pire” ? Aucun. Il y a en nous une zone de solitude jamais saturée. Mais vite vexée. Humiliée. À nous d’en garder la discrétion sournoise. Elle a toujours le nez à la fenêtre, la moindre de nos défaillances ne lui échappe pas. On compte sur elle, sur son pardon. Jusqu’au jour où plus rien qu’un sale visage dans la glace, qu’un corps mou, incapable de réagir, de résister, d’aller par-delà. Quand nous en sommes réduits à nous-mêmes, c’est misère. Je n’en finirai pas ce soir mais c’est déjà le matin, je vais me coucher.



Il est aussi sot de vouloir savoir ce que représente un tableau que de vouloir voir la tête d’un poète.



L’ennui chez l’homme célèbre, c’est qu’il se prend pour ce qu’il est devenu, non pour ce qu’il est resté.



On ne compte plus les gens qui écrivent comme Stendhal. Par bonheur, Stendhal n’écrivait pas comme eux.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Peut-être pas suffisant pour occuper un peu ce premier jour de “re-confinement”…
On continue demain.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (17)

Partages Posted on 29 octobre 2020 15 h 23 min

La promenade n’est pas finie. Georges Perros a beau avoir peu édité, il laisse un concentré de perles dont nous ne sommes pas à bout.
Bonne découverte à vous.



Les gens célèbres se plaignent de l’être, de ne plus pouvoir travailler comme bon leur semblait. Moi, je suis tranquille. J’ai, ou plutôt on a publié deux livres sous mon nom qui n’ont eu aucun retentissement susceptible de perturber ce qu’il faut bien appeler ma vie. Je comprends l’embarras de la gloire. Et quand on publie, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Au sens propre comme au sens figuré. Aucun journaliste n’est venu me demander ce que je pensais de l’existence de Dieu, de la mienne, voire de la sienne. Je n’y vois pas d’inconvénient. Il arrive que je me trouve en état d’écriture. Et qu’on m’y trouve. Mais me lit qui veut. Et me publie. J’en suis bien content. Très touché. Mais l’oublie assez vite. Reste l’amitié. Inoubliable. C’est pour qu’elle le reste que j’ai foutu le camp.



Je viens d’écrire ce qui précède dans la cuisine. Comme ça. Je devais sortir, puis un programme musical à la radio m’a retenu. Alors j’ai sorti mon carnet. Les gosses dorment. Tania repeint, si j’ose dire, le parquet de la pièce du fond. Je me suis trouvé seul, à nouveau, état privilégié qui n’a rien à voir avec la solitude d’errance. Dès que l’envie d’écrire prend un homme, il n’est plus seul puisqu’il peut dire qu’il l’est. Il n’est plus malheureux puisqu’il peut dire qu’il l’est. Pouvoir dire est un bonheur, un sauvetage. Bouche bâillonnée, écriture interdite, voilà le plus grand malheur. Après quoi, on donne à parler, à écrire pour renouveler, ensemencer à nouveau le malheur à l’état pur, qui n’est ni vrai ni faux, mais terrible à imaginer. Lisez le journal, les moindres nouvelles, et votre journée est foutue. Il faudrait je ne sais quel formidable génie pour oser se croire quoi que ce soit quant aux autres grâce à l’écriture. On a beaucoup parlé de ces choses. Ceux qui les ont trouvées légères sont bien légers. Les autres, un peu lourds. Entre les deux, on se faufile.
Je suis sorti. Puis rentré. J’étais bien parti pour écrire, ce soir. Je ne saurai jamais ce que j’aurais écrit si j’avais continué, au lieu de sortir. C’est pourtant qu’il m’intéressait d’être, là où celui qui écrivait a cessé, là où celui qui a écrit se retrouve. Là ?
En fait, je me demande pourquoi l’homme s’arrête, et surtout peut-être, revient là où il s’est arrêté. Un homme normal ne se demande-t-il pas tous les jours et nuits s’il a vraiment commencé ? S’il va donc vraiment finir ? Naissance et mort ne nous appartiennent d’aucune manière. La vie reste spectaculaire. On nous regarde vivre. Qui, on ? Quoi, là ? Oh ma doué.



Il disait tout bas ce qu’il pensait tout haut.



À l’école, si l’instituteur n’effaçait pas complètement le tableau noir, le bout de craie négligée me rendait malade tout le reste du jour.



C’est fou ce que j’ai comme lacunes ! Et tout ce que je sais ne me sert à rien. À rien. J’ai l’air d’un vrai con dès que n’importe quelle conversation s’élève un peu. Surtout si le sujet m’est bien connu. Familier. Dès qu’on le ressuscite devant moi, je l’oublie. Tout ce que j’ai fait, écrit, lu, rien ne me reste. J’oublie tout. Parlez-moi donc de mon demain. Parlez-moi d’amour.



Quand mon chien me voit tout nu, il ne me reconnaît pas.



Il lui arrivait de répondre : “Excusez-moi, je ne pourrai pas venir vous voir la semaine prochaine. Je serai malade.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Demain, oui.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (16)

Partages Posted on 28 octobre 2020 15 h 57 min

Deuxième quinzaine de notre portrait en creux de Georges Perros, au départ de notes, de pensées diverses, d’enregistrements de ses textes ou de sa voix devisant, parfois…



On écrit parce que personne n’écoute.



Il criait “Dieu est mort” en se bouchant les oreilles.



Nos pouvoirs d’amour sont limités. Nous connaissons beaucoup plus d’individus que nous ne sommes capables d’en aimer, et c’est un peu ça, la société. Comme s’il était nécessaire de disperser, ou de partager en trente morceaux, ce que nous ne pouvons donner qu’à un. L’amour enlève un homme à presque tous ces amis.



Je gagne très peu d’argent, mais j’ai la mer, le ciel à ma disposition. Choses qu’on paierait très cher si justement, elles n’étaient pas gratuites. Comme j’ai horreur des vacances, j’ai trouvé beaucoup plus simple de venir, disons, camper, dût ma socialité en pâtir, où ces messieurs et dames aiment venir passer trois semaines, quand il fait beau. Quand le temps fait le beau. On me reproche, gentiment, ma solitude. Comme si j’étais seul ! Sans parler de ma vie privée, quelle drôle d’expression, je fréquente beaucoup. Pas du tout des gens dans mon genre. Pas question de littérature dans le coin. C’est bien le moindre de mes soucis. Si je ne suis pas capable d’être en train ici, alors tant pis pour moi. Ce n’est ni un pari ni une gageure. Pire que cela. Si je ne suis pas capable d’assumer, pour ainsi dire pléonasmiquement, ce que j’aime, alors, vive la mort. Aimer ce qu’on aime, quoi de plus difficile, de plus risqué, de plus fou ? Quoi de plus incompréhensible à tout semblable, auquel, hélas, on rend la pareille. Ce qu’on aime le plus au monde, qu’en peut-on faire face à autrui, sinon, à l’extrême rigueur, lui laisser deviner en toute franchise, et Dieu sait qu’il en faut pour atteindre, si peu que ce soit, celle de l’autre. Nous nous parlons, c’est vrai, et c’est nécessaire, mais plus on va, plus on vit, moins on se sent d’expérience, mot de jeune homme aux prises avec ses aînés. L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé. Il vaudrait mieux parler d’impatience. Si vous imaginez un homme ayant fait tous les métiers, saturé d’humain, et malgré tout frais comme né d’hier, alors vous approchez de l’expérience. Le drame de tout homme, c’est le scandale de la mort, c’est le rien qui manquera in æternum, qui fera qu’à l’addition finale, le dernier chiffre se sera fait excuser, pour raison de santé. Écrire, frénétiquement, ne veut pas dire autre chose. Bloquer l’œuvre, c’est ne pas admettre que l’homme de cette œuvre pourrait continuer.



Le besoin d’écrire revient comme une chance. Ou une maladie. Une chance de retrouver le paradis perdu. Une maladie, car plus on écrit moins on le trouve. Alors il est bien difficile de conserver l’énergie qui nous ordonne d’écrire, et de ne pas la perdre, la chose faite.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Ce sera tout pour aujourd’hui. Belle journée.
Et à demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (15)

Partages Posted on 26 octobre 2020 18 h 05 min

À mi-chemin de notre perrosienne promenade, un poème, une voix, deux.




Je ne suis pas d’ici
Je ne suis pas de là.
Je suis de nulle part
Nulle part est partout
Voilà l’emmerdement
Voilà le canular
Un jeune homme de gauche
Me demande pourquoi
Je ne fais pas partie
De son parti nada
Un jeune homme de droite
Me demande pourquoi
Je ne fais pas partie
De son pareti gaga
Un jeune homme du centre
Me demande pourquoi
Je ne fais pas partie
De son parti sans ventre
Un jeune apolitique
Me demande pourquoi
Je fais d’la politique
Tout en n’en faisant pas
On me demande aussi
Beaucoup beaucoup de choses
Et je rentre chez moi
Farci d’effets sans causes
Et n’ayant dans le cœur
Et n’ayant dans le crâne
Et n’ayant dans ma vie
Qu’un grand cri pour personne.


Tout le monde écrit. Mais tout le monde n’est pas “écrivain”. Alors, une question : Qu’est-ce qu’un écrivain ? C’est un monsieur qui montre ce qu’il écrit. Vous écrivez une lettre. Vous l’envoyez à votre meilleur ami. Ou à votre maîtresse. Mais cette lettre vous paraît importante. Et vous ignorez si le meilleur ami – ou la maîtresse – sera de cet avis. Alors vous la recopiez, pour vous, c’est-à-dire pour les autres. C’est ainsi qu’on insulte à l’amitié, à l’amour. C’est ainsi qu’on finit par mourir de dégoût de soi-même. (On dit dégoût des autres.)


Et la peur et la sueur et ce corps qu’il faut atteindre, quelle machinerie. Nu, enfin, mais non, rien moins que nu, et la peau qu’en faites-vous, c’est maintenant qu’il faudrait, comment dit-on, ah il y a un mot très bien, mais difficile, desquamer, je crois, oui, desquamer, voilà, c’est maintenant qu’il faudrait desquamer. (Au fait, qu’ai-je fait de mon corps, moi, mais où est-il, quel salaud !) Et je vais le chercher, sous le lit, sous le fauteuil, pendant ce temps le peau repousse, tout est à refaire, et ainsi de suite.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

On continue ?
À demain.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (14)

Partages Posted on 26 octobre 2020 11 h 32 min

Georges Perros, quatorzième !



Le Oui-clos.



Il s’agit de frotter les mots à autre chose qu’à l’homme.



Sûr qu’à ma mort, je hurlerai que c’est injuste, que si j’avais su que c’était pour de bon, j’aurais encore fait moins attention.



Aimez-vous les uns les autres et foutez-moi la paix.



Au départ une espèce de mimétisme. L’ambition. Être un grand écrivain. Alors, être publié paraît – si j’ose dire – incroyable. Les hommes. Les autres. Jamais ils n’accepteront de me distinguer, comme je me distingue, moi. Voilà le piège. Car l’ambition fait long feu. On fait carrière. Un homme un tant soit peu doué peut très bien réussir dans la société. La politique est gorgée de littérateurs en mal de publication. Professeurs, agrégés, anarchistes de poche, chacun a son roman, ses poèmes, ses mémoires en tiroir. Que l’on ose voter pour ces gens-là prouve une intelligence très supérieure à la moyenne. C’est qu’on n’aime guère ce qu’on aime. Ceux qu’on aime. On fait l’homme, on joue à l’homme, et aujourd’hui on n’est pas loin de ne trouver valables, vivants, que les scientifiques. Qui sont in progress ! Il est vrai que le littérateur se sent un complexe quant aux savants, voire aux ethnologues. Écrire, comme ça, comme je le fais ce soir, n’a aucun sens, aucune portée. À peine publiable. Cependant me voilà là, il est près de dix heures du soir; les jours sont longs, il fait encore presque jour, c’est affreux, les voisins regardent leur télévision, nous on l’entend, ces bruits d’hommes, ces voix intelligentes, ces visages pour les autres, quelle horreur !



Le Temps. Pendant que j’écris, un tigre capturé se fait oiseau et s’envole. Tout est à recommencer.



L’écrivain n’est jamais que le nègre de l’enfant qui a déjà tout vu.



À quel point nous sommes libres, c’en est effrayant. Libres comme un ballon dont la ficelle que l’enfant tenait s’est rompue. Nous ne sommes pas capables de redescendre, et c’est ce qui nous reste d’obscure nostalgie, mais nous nous mouvons dans un espace dont nous comprenons la plupart des données essentielles, et notre langage n’est pas un langage fini. Lui est capable de métamorphose, j’entends d’intégration dans cet espace qui n’est évidemment pas d’ordre psychologique. Les Grecs avaient admirablement compris notre sens. C’est le christianisme qui a tout bouleversé, mais de manière telle, tellement piégée, que nous éprouvons toutes les peines du monde à en abolir l’absurdité. Il nous a rendu intéressants. Il nous faut aujourd’hui passer par le Christ pour retrouver les lois qui nous conviennent, plus modestes. Or, le christianisme est un mur. Le mur de l’autre. On escalade un mur, on ne le détruit pas. (Dans le monde qui nous occupe.) Le drame qu’a décrété le christianisme, nous en subissons les effets dans n’importe quel rapport quotidien. D’où nous serions plutôt tentés de faire un sort intelligible au Christ qu’à l’espace tout à l’heure en question, d’origine poétique. Le vrai miracle, c’est d’être, de respirer, de penser, d’agir, dans un monde aussi totalement étranger, inadéquat à la moindre de nos volontés. Qu’il puisse y avoir phénomène poétique à partir de ce néant, voilà le miracle, et peut-être, la raison inacceptable de notre présence ici-bas. L’homme ne sert à rien, il y a dans la nature comme une définitive indifférence quant à nos pouvoirs, vite ridiculisés, si jamais on se hausse du col. Notre orgueil n’a pas d’équivalent, donc pas de but. On peut entrer en compétition avec autrui. C’est signer notre misère. L’arme humaine est blanche. Elle peut donner l’illusion de l’efficacité. Mais la moindre honnêteté prouve le contraire.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

La suite, demain.
Bonne(s) lecture(s) à vous.
À demain



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (13)

Partages Posted on 25 octobre 2020 8 h 54 min

Treizième épisode de notre feuilleton consacré à Georges Perros,
homme libre autant que possible…



On écrit toujours qu’à deux doigts de se taire.



La pire pensée : Je ne peux faire que ce que je fais.



Ces moments où tous les hommes, tous les livres du monde deviennent insuffisants. Où, dans la bibliothèque totale, on ne trouverait pas un seul livre de sauvetage, comme le marin qui fait naufrage ne rencontre aucune main de secours. Ces moments-là donnent justement une idée de la mort. Le curieux, c’est qu’en même temps, ils dévoilent la vie, dans son extrême nudité, et la passion que nous en avons. Il n’y a rien de pire. Mais rien de mieux. On sait qu’il va falloir y retourner, parce que ces moments viennent et s’en vont sans prévenir. Nous laissant une espèce, un genre de souvenir, comme le goût, le fumet d’un vin rarissime au palais.



Il est très difficile d’être modeste. Impossible. Se lever le matin est acte d’orgueil. (Je passe les intermédiaires.) À partir de cette verticalité somme toute imposée, il ne reste plus qu’à payer de sa personne. Curieuse expression. Qu’à être disponible. Disponible à quoi ? Nous avons tous un métier, plus ou moins réel – plutôt moins – nous sommes plutôt sollicités par l’automatisme que par ce qui nous revient quand rien ne nous empêche plus d’être… rien. Mais alors gare au langage, qui nous serait indifférent si nous ne le “retenions” pas. Qui peut nous faire tant de mal, étant donné notre nature, qui est tout désordre. Car enfin l’homme peut mentir. J’ai presque envie de dire qu’il n’arrête pas de mentir. C’est pourquoi l’amour existe. L’amour donne la sensation de la vérité, et les gestes suivent. Les preuves. La Palice disait qu’il est rare. Oui. Mais il existe, et nous, à travers lui. Quelques moments de notre vie ressemblent à ce que nous voudrions qu’elle soit. Donc nous avons affaire aux autres. On arrive même à devenir – paraît-il – misanthrope, aigri, dégoûté; on arrive à être déçu. Admirable. On en veut aux autres hommes d’être un homme, comme eux. On voudrait bien connaître un peu le sort des poissons, des oiseaux, des lézards. On flâne avec délice dans la malhonnêteté, qui consiste à faire de l’esprit qu’on a – ou qu’on n’a pas – je ne sais quel luxe, quel obstacle, quelle gêne à ce qui rendrait notre condition idéale. L’homme fait l’âne pour avoir du son, sans d’apercevoir que l’âne, lui, en général, travaille pour si maigre résultat, et se laisse, assez chrétiennement je l’avoue, taper dessus.
Tout commence, tout finit par le langage. Grâce au langage. On n’y peut rien. La faute à qui ? Mais que le langage se venge de temps en temps; qu’il nous trouve un peu vaniteux, ou excessifs, non, n’allons pas lui en faire grief. Ce n’est pas drôle d’être un homme, soit. Mais un mot ? Rendez-vous compte. Toutes ces langues plus ou moins pâteuses qui vous broient, vous jettent, vous endorment, vous aiment, vous détestent. Non, quel mépris ! Quelle insolence ! Et ces prières au silence – je parie qu’il en rougit, le mot, par affection pour le langage – et cette façon qu’on a de le mettre à toutes les sauces. Sans le consulter. Sans lui demander s’il marche. Et ces discours, ces livres, ces conférences, ces sermons et serments, ces traités. À croire qu’il n’a jamais servi que la bassesse humaine. L’hypocrisie. Le bon à tout faire, en quelque sorte.



Le suicide, ce n’est pas vouloir mourir, c’est vouloir disparaître.



Écrire, c’est toujours être le nègre de quelqu’un qu’on ne rencontrera jamais.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà pour ce dimanche.
À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (12)

Partages Posted on 24 octobre 2020 16 h 47 min

Georges Perros. La Suite 12 !



Ce que j’écris est à lire dans un train, par un voyageur qui s’ennuie, et qui trouve sur la banquette, oublié, un de mes bouquins.



Ma seule et unique misogynie : je ne pardonne pas aux femmes d’aimer les hommes.



On me tire les vers du cœur.



Il se donnait des autographes.



La morale, c’est de savoir ce que pensent les autres, et d’essayer de les redresser, pour qu’ils pensent comme nous. Rien de plus bête.



Travailler ! Travailler ! Comme si j’avais le temps.



Je préfère la liberté de l’autre à la mienne. Pour qu’il me laisse libre.



Sans la littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul.



Je vis. J’existe. Je suis là. Si je tombe, je me fais mal. On peut me faire souffrir. Je sais que je vais mourir. Que j’ai à ma charge plus pathétique que sociale, une femme et trois enfants. Je ne suis ni heureux ni malheureux. À peine si ces mots ont gardé un sens pour moi. On m’a fait. Je me suis refait. Et j’ai fait à mon tour. Je n’ai pas la sensation d’avoir commencé à vivre. C’est sans doute que je ne voudrais pas mourir. On m’appelle par mon nom, on m’envoie des lettres, je réponds. J’ai beaucoup d’amitié pour quelques êtres que le hasard m’a donné à rencontrer. À aimer. Ils m’écrivent, je leur réponds. On se voit de temps en temps; de moins en moins. Et j’écris. Depuis trente ans, j’ai pris cette habitude; elle m’a pris. J’ai fait dans ma culotte en étant reçu par Gide, rue Vaneau, il y a un siècle de cela. Cela a séché. J’écris, on me publie. On va même jusqu’à me dire que ce n’est pas déshonorant, ce que j’écris. Je devrais être comblé. Je le suis. Ce qui m’ennuie, c’est que je vais devoir, avoir à mourir un de ces quatre matins. Ou soirs. Ça m’embête. Parce qu’on me prendra au dépourvu, que je n’aurai pas vécu. Que des siècles n’y suffiraient pas. J’ai fait à peu près tous les gestes qu’un homme normal se sent capable de faire. J’ai connu des hommes et des femmes. Tout reste à connaître. J’ai un peu voyagé. Tout reste à voir. Je ne me trouve intelligent que par saccades, je vis là-dessus avec les autres, mais avec moi, non. Mon ignorance, ma bêtise, est totale. Je ne réponds de rien avec autrui pour peu que je me sente fatigué. Physiquement. Le cœur qui vadrouille à droite et à gauche. La tête qui fait des nœuds. Envie de me cacher. De ne pas prendre le risque de rencontrer qui que ce soit. Pourtant j’ai besoin des autres, et de leur chaleur. Mais à distance. À distance. À partir d’un certain âge, ce n’est plus de la vie que nous sécrétons. Mais de la mort. Histoire de ne pas mourir trop injustement.



La poésie, c’est une femme nue qui se baladerait sur les Champs-Élysées en plein jour, et qu’on ne remarquerait pas. Qu’on ne verrait pas. Sinon, brièvement, les aveugles.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Sinon, se taire.
À demain ?



Glissement

Chroniques volpiennes Posted on 23 octobre 2020 17 h 25 min

C’est Volp.
Il vient de grimper quatre à quatre – ou alors il se vante –
le bringuebalant colimaçon qui mène au troisième étage, rue Ramponeau,
de son petit appartement.
On l’a évoqué déjà.
Il est vingt heures cinquante-huit.
Et merde, se dit Volp,
c’est à peine le jour et c’est déjà la nuit.

Couvre-feu.
Merde, merde, merde, merde !

Elle est où la vie sans la nuit ? fait-il mine de se demander.
Sans la nuit, c’est l’ennui.
Volp ne résiste jamais à un mauvais jeu de mots, qu’il regrette toujours.

C’est peu dire qu’il maugrée, Volp.
Vous le connaissez,
il est un peu comme ça,
à s’énerver pour des trois fois rien qui sont tant et tant de choses.

Pas de Bœuf Indigo ce soir.
Pas plus que les soirs dont on nous dit qu’ils viendront
aussi noirs que celui-ci.
Pas de Boukha avec le vieux bouquiniste Dahlem,
pas d’espoir d’accidentellement croiser Sarah née Dielman,
pas de resto indo-pakistanais, champion de l’inhygiène
où trottent quelques innocentes souris.
Pas de, pas de, pas de…

Merde ! répète Volp deux ou trois ou quatre fois.
Couvre-feu, comme en temps de guerre,
menace plus que réconfort.
Ne pas sortir de chez soi.
D’un éventuel chez soi.

En même temps (oups !),
c’est l’occasion de réfléchir un peu à cette interdiction
qui nous est faite de vivre comme on veut, se dit-il.
Pas sûr qu’une fois qu’on aura réfléchi,
ceux qui nous imposent d’oublier de respirer comme on voudrait,
s’en trouveront bien.

Mais ce n’est pas à ça que pense Volp.
Même si quand même, oui, un peu.

Pour dire vrai, sous ses airs distraits,
Volp ne pense à rien qu’à beaucoup d’autres choses à la fois.
Ça se bouscule dans la caboche, toutes ces frustrations.
On s’étonne. Mais non.
Rien de tout ça pour nous n’est clair,
mais pour Volp oui.

Voilà, le glas a fait son ouvrage : vingt et une heures zéro trois.
Couvre-feu sur la ville.
On passe en direct
de la fin d’aprèm
à la nuit
sans la vie de la nuit.

Et Volp s’avachit dans le trop grand canapé rouge,
tous deux défraîchis (Volp et le canapé).

Un souvenir de quand il était gamin :
21 heures. Les dents, pipi, au lit.
Infantilisé donc.

Volp tourne en rond dans le petit appartement sous les toits.

Ni Miles ni Bird ni Duke n’ont de saveur
quand on coupe les ailes à la nuit, pense-t-il.

Il se trouve qu’il n’y a de vraie nuit que dehors.
Les cd sur la laser, ça remplace un tout petit peu,
mais les étoiles ne sont pas des étoiles
quand on les regarde de prison.

Dehors, sortir.
Ben non.

Se retrancher.
C’est ce qu’on veut de nous, pense Volp.
Et lui vient l’idée d’une perte d’innocence :
il se méfie.
Pas sûr que le jésuite manitou de la République,
ne soit pas un salaud.
On en a connu beaucoup des sincères dans les politiques sphères ?

Et Volp se demande ce qui est le plus masqué, de nous ou de la réalité.
Non qu’il imagine je ne sais quel complot, non !
C’est plutôt que la maladie va dans un certain bon sens quand elle interdit de respirer.

Il pense aussi : “Pourquoi ?
Pourquoi, ce matin, en quête de boulot,
je pouvais me frotter à d’autres, converser, rire (oui !)

dans des rames de métro bondées,
avec des centaines d’autres collés ?
Pourquoi, ce soir, je ne peux pas aller boire un pot, deviser, rêver ?

À ces pourquoi-là, Volp n’aime pas qu’il lui soit répondu “Parce que c’est comme ça”…

Il sent comme un glissement progressif vers un déplaisir auquel il ne peut rien.
Sensation d’être sur tout grugé.

Alors, il sort.
On verra bien.
Je l’accompagne.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (11)

Partages Posted on 23 octobre 2020 12 h 33 min

Passage aujourd’hui de Papiers collés (1) à Papiers collés (2).
Extraits toujours. Avec comme unique critère mon envie de partage.
Avec le respect surtout de ne rien couper d’une réflexion, d’une note, d’un constat.
Bonne découverte à vous.



J’ai remarqué que quand je me promène avec un homosexuel, je n’ose plus regarder les femmes, par crainte de l’indisposer.



La notion de liberté n’intervient qu’à partir d’un certain développement de l’esprit, comme si le malheur de se connaître limité n’était réservé qu’aux individus les plus doués pour l’évasion.



Les prix littéraires donnent un complexe de supériorité aux jurés et un complexe d’infériorité aux élus.



Je me suis fait une déraison.



Pour atteindre ce qu’on pense, il faut aller au-delà de nos limites. Le résultat, ce sont les limites elles-mêmes.



Tous les jours je me dis que ça va changer. Et tout les jours je me demande pourquoi ça changerait. Matins difficiles. Soirs possibles.



Je n’ai jamais rien fait que par plaisir. C’est assez dire que je n’ai pas fait grand-chose.



Il m’arrive de n’avoir rien à dire, mais jamais de ne pas avoir à écrire. C’est qu’écrire est gestuel, participe d’une possibilité assez rarement euphorique, mais, comme la marche, indispensable à qui s’y est une fois rendu sensible. C’est un sport, un exercice, au sens valérien. Quand je n’écris pas je grossis, comme l’athlète s’empâte dès qu’il relâche son effort quotidien. Et du même coup, s’enlève le plaisir ambigu de la compétition. Car nous sommes ainsi faits que ce que nous pouvons réaliser seuls finit par devenir un ratage complet. Imaginez un monsieur qui sauterait au-delà de deux mètres cinquante en hauteur, imaginez-le seul dans un endroit désert et sautant pour son plaisir. C’est inimaginable. Nous avons besoin de nous frotter aux autres, ne serait-ce que pour nous en plaindre. Quant à leur glorification elle doit être assez vite fastidieuse. Mais il est impossible d’éviter cela, et rien ne nous condamne autant, car nous sommes incapables d’une tendresse, d’une amitié, suivies. Aucun homme ne nous paraît susceptible de suffire à notre médiocrité comme à nos vertus. Et nous avons besoin d’autres êtres que nos amis pour nous définir dans l’absolu très provisoire qui caractérise nos vies. D’un ami, on attend des “critiques”, mais d’un ordre tout à fait secondaire. C’est la critique d’un inconnu qui nous touchera. Et l’ami n’aura plus lieu. L’appétit qu’on éprouve pour les autres hommes en mesure de nous dire quelle place on occupe dans leur espace mental ressemble à celui qui nous fait passer d’une femme à une autre, parce que l’amour installé fait long feu. Nous avons besoin d’être ressuscités, et qui nous aime est condamné d’avance. Nous voulons être aimés, mais pas toujours par le – ou la – même. Voilà ce qui rend nos vies difficiles. Comment sortir de là ?



Les acteurs, c’est comme le papier hygiénique, ça ne devrait servir qu’une fois.



Il collectionnait les mégots des gens célèbres.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Demain, on continue.
Pour les absents du week-end, séance de rattrapage lundi.
Belle journée à vous.
Et… à demain !



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (10)

Partages Posted on 22 octobre 2020 13 h 47 min

Dernier billet de ce premier tiers du voyage… Derniers extraits de Papiers collés (1).
Dès demain, des extraits de Papiers collés (2) prendront le relais.
Bonne lecture à tous !



Certaines pensées, ou sensations, se doivent de rester personnelles, cachées, pour garder leur caractère de cynisme ou de vérité. Un ami qui m’annonce qu’il va se marier parce qu’il n’a pas d’argent et que sa future en regorge, je ne lui en veux pas de penser cela. Ce sont ses affaires. Mais il me dégoûte de m’en faire part.



Il est étrange et douloureux de penser que si l’on se résigne à ne plus manifester le peu de charme qu’on a pour les autres, ce charme s’étiole, se venge curieusement, comme si tout à coup il s’apercevait qu’il joue devant une salle vide, sur une scène sans issue.



Vivre sans arrêt avec une personne, du matin au soir, au bout de huit jours on la déteste. Mais vivre avec soi-même ! Alors on part en voyage, on dédaigne de prendre une valise qui nous rappellerait… Et on arrive dans une chambre d’hôtel où la première chose entrevue est un miroir. (Inutile de le casser.)



À table. Personne ne mange de moules. Ma mère déclare qu’elle n’en achètera plus jamais. Je me sens alors pris d’une immense tendresse pour les moules, et plus particulièrement pour celles-ci. Revivant l’achat, le retour à la maison, leur préparation, ce “nevermore” me glace d’horreur. “Donne-m’en tout de même un peu”, dis-je à ma mère.



Je ne comprends plus ce que me disent les hommes depuis que je les écoute sans penser à moi. À ce que je vais leur répondre. Je laisse leur langage prendre du champ. À peine a-t-il décrit le minimum de sa courbe de conversation que ses os craquent, ses yeux meurent; les mots crèvent comme pneus de voiture sur les clous de mon attention. Pourtant un homme est là qui croit m’honorer, me flatter en perdant une heure de son précieux temps à m’enrichir de ses conseils, de ses constatations les plus profondes depuis qu’il fait pipi tout seul. Mieux vaudrait être décidément sourd. Il s’agit de passer sur le mépris, comme le nageur sur la vague. Cet homme nous gêne, nous bouche l’horizon. Soyons distrait.



Pour peu qu’on soit un rien distrait, la journée passe comme une lettre à la poste. Et nous nous retrouvons dans la position horizontale sans avoir eu le temps de dire ouf. Il suffirait de se voir passer ainsi du jour à la nuit, pour comprendre un peu plus nettement ce qui rend notre condition incompréhensible.



L’indifférence résiste à presque tout. Et l’amour a bien du mal à s’en dépétrer. Devenir l’homme indifférent, pour voir si l’amour résiste. Certes il résiste, c’est trop peu dire. Il occupe toute la place. C’est lui, l’indifférent.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Fin donc de cette première partie (Papiers collés 1).
Demain est un autre jour.
Nous verrons bien.

À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (9)

Partages Posted on 21 octobre 2020 13 h 22 min

Avant d’entamer une nouvelle étape de notre perrosien périple, cette note :
Georges Perros était poète et, comme la plupart des poètes, il se souciait fort peu de recenser ses œuvres. Il les donnait à des revues, les envoyait à ses amis ou les offrait pour la fête des mouettes de Douarnenez…” (Éditions Finitude).

Neuvième journée donc.



Je vis en touriste. Je suis de passage par ici. Incapable de faire acte de présence. Je suis devant les hommes comme devant un paysage. J’en jouis à distance. Il n’y a guère que l’amour qui exige davantage. Hélas il ne saurait en être question. Depuis des mois j’ai perdu le sens du toucher amoureux. Depuis des années, celui de la possession d’un corps. Et je vieillis, sans emploi pour la bonne caresse qui me brûle le sang. Le grec et le latin me manquent pour dire brièvement toute l’amertume souterraine d’une telle situation. Et tout l’involontaire.



Arrêt de deux heures à B. J’écris ceci assis dans un café où mon ombre d’enfant me glisse des souvenirs ridicules. Jamais je ne vins seul dans cette brasserie, mais avec mes parents. Et voilà que je suis un homme, que je parcours le monde tout seul, que je commande un demi à un garçon qui m’a peut-être servi une grenadine, il y a treize ans. Les gens passent dans la rue, fleuve ininterrompu. Un démon m’a poussé vers le lycée où je me suis tant ennuyé; a ralenti mes pas, comme si les anciens embourbaient, reconnaissaient les nouveaux. Ce petit farfelu, cartable sous le bras, qui agace un caillou, ce fut moi. Nous fabriquons du souvenir. Mais vivre est une autre affaire. Et je me demande, maintenant que Paris s’est installé en moi, je me demande comment j’ai pu l’ignorer, comment j’ai pu être heureux, c’est-à-dire sans avenir rêvé, sans ambition, dans cette ville maussade, banale, à laquelle seules les montagnes proches donnent un semblant de justification. Je suis passé devant notre maison, j’ai jeté un coup d’œil sur la liste des noms des locataires actuels. Ils sont toujours là, les M., les W., les R. Treize ans ont passé. Ceux qui étaient jeunes, qui jouaient avec moi dans la rue, doivent être mariés, avoir des enfants, et je me vois débarquant dans leur salle à manger, ramifié par le souvenir, et eux cassant toutes mes branches, une à une.



Goût effréné de l’échec. De la mort. D’une certaine mort. Qui dispose pour un goût effréné de la vie. Pourvu qu’elle ne me demande rien. Si je joue, j’ai peur de gagner.



L’homme s’appartient quand il ne se compare plus à aucun homme.



Connaître l’homme, c’est cesser de se plaindre d’en être un.



J’ai été long à ne me trouver à l’aise que seul. Mais c’est seul que je respire le mieux. Pas très bien. La solitude est difficile. Mais les hommes instituaient un climat mauvais pour ma santé. L’air de la mer fait parfois du mal aux natures nerveuses. C’est exactement dans cette mesure que les hommes me faisaient du mal. Sans même parler de l’ennui qu’ils dégagent, de la sensation de mort. (Je suis un homme.) Même s’ils me fichaient la paix, au comble de la gentillesse ou de l’indifférence, de l’intérêt, de l’intelligence, du beau fixe entre humains, je me trouvais positivement mal. J’étais malade. Je suais. Tout homme entretenu, c’était une façon d’avancer ma mort. Donc seul pour raison de santé.
Il m’aurait fallu beaucoup d’esprit pour résister. Presque esprit contre nature. L’excès qu’ils pourraient me reprocher c’est en restant parmi eux qu’il se fût le mieux, le plus malsainement manifesté.
Nullement question de rester fidèle à soi-même. Fidèle à soi-même, c’est fidèle à son futur, non à son passé.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Ce sera tout pour aujourd’hui. Demain une certaine suite. À naître encore.

À demain.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (8)

Partages Posted on 20 octobre 2020 12 h 20 min

On entame, en bonne compagnie, celle de Georges Perros, cette deuxième semaine.
Des notes, des aphorismes, des réflexions, des textes plutôt courts, parfois un peu plus long.
J’ai promis de me taire, de ne faire pas de commentaire(s).
Dont acte.



Nous avons grand besoin d’honnêteté. Dans tous les domaines. Il serait temps, peut-être, d’essayer cette chance respiratoire. Dieu ayant sauté le mur, nous voilà entre hommes, les uns sur les autres. Pas plus fiers pour ça. Ni moins. On se souhaite mutuellement une bonne purge autocritique, un règlement de comptes personnel je ne vous dis que ça. Et c’est bien vrai, on ne dit que ça. Il est évident que, si personne ne peut revendiquer l’honnêteté absolue, chacun est libre de choisir son lot, sa partie fine. Je serai honnête en littérature, dit celui-ci. Ce n’est pas une mauvaise idée. Qui viendra voir les restes ?
On ne peut faire qu’un sort à l’homme. Considérable. C’est de le croire sur parole. De ne jamais mettre en doute ce qu’il dit. De ne pas soupçonner la possibilité du mensonge chez l’autre ne l’arrange pas du tout. Ce n’est pas de jeu. Il rend ses billes. Ce qu’il veut – ce que nous voulons tous – c’est être sincère. Ah ! la sincérité, ce fragment fiévreux, un rien dégoulinant, extirpé au mensonge perpétuel, voilà un plaisir ! On s’en donne à cœur joie. On s’en renvoie les balles : à toi, à moi. On s’en paie. On numérote ses partenaires. On a son meilleur ami, celui auquel on livre le gros du paquet. On garde le petit en cas de désertion, les hommes sont changeants, on se sentirait coupable d’avoir tout dit à un seul d’entre eux. Il faut que chacun de nos amis se croie le premier, le seul, l’unique. Idem pour ces dames, qui, elles, savent au moins à quoi s’en tenir.
L’honnêteté manque de charme. Est rébarbative. N’a pas d’odeur. Mais cache quelque chose. Vous avez l’air honnête, donc vous ne l’êtes pas. On vous aura. Trop beau pour être honnête. Nous avons acquis une telle habitude de la saloperie humaine que, dès qu’un homme semble ne s’en prendre qu’à lui-même s’il a tort – ou raison – haro sur le baudet. qui finira bien, excédé d’être “méconnu”, par avouer, vendre la mèche, mais oui il est comme tout le monde, il faisait le malin, voyons. Il est désespérant d’oser être propre, c’est un genre qu’on se donne. Allons ! Rétablissons la vérité. Et les valeurs qui se doivent d’aller main dans la main, de bas en haut. Ne sommes-nous pas tous frères ?
L’honnêteté serait donc une activité clandestine, sans profit. Amaigrissante. Une activité de rongeur. L’homme, en voie d’honnêteté, s’il écrit, s’il s’engage dans la dure armée des lettres, c’est un hérisson. Sa prose gratte. Démange. Décrète entre chaque ligne à quel point il est tragique de ne pas frustrer le lecteur éventuel de son éventuelle liberté; il est regrettable qu’il faille s’appauvrir, quoique richissime – culpabilité, persécution ! – pour si mince résultat. Le lecteur trouvera tout simplement que la chose manque d’âme. (Dame, il s’y connaît, il en vend toute la journée.) Que l’œuvre est sèche, inhumaine. Il devrait être flatté qu’on s’en tienne aux renseignements, par égard pour sa possible intelligence des choses. C’est le contraire qui se produit. Le même lecteur choisira l’heure de la sieste pour apprendre les horreurs que débite la feuille de chou quotidienne. Mais il y en a tellement – d’horreurs, et vraies celles-là – qu’il sera tenté de croire que la littérature c’est France-Soir; qu’il y a je ne sais quoi d’effroyablement parodique dans cette insistance que mettent les journaux à nous détailler la misère du monde. Que le vrai devient faux à force de se répéter. Suffit. Parlez-moi plutôt du roman que je lirai ce soir, quand les enfants seront couchés. À l’heure de la culture. Sacrée. Il sera bien impatient, notre lecteur, de savoir si l’amant de la marquise de Beauséjour s’est enfin coupé l’index après avoir appris, au cours d’une partie de chasse, la trahison de sa maîtresse. Oui. Il l’aura fait. Que homme ! Bouleversant. Larmes à l’œil. Appel à l’âme, qui somnolait déjà. Cauchemars. Les collègues en entendront parler, demain, de la nuit passée à cause de ce terrible roman, vécu jusqu’au bout des ongles. Et lisez-le, il faut l’avoir lu, etc.
Oui, nous en sommes – toujours – un peu là, je ne pense pas exagérer. Alors comment en vouloir aux rares qui veulent redresser un peu la barre, quitte à faire perdre des plumes à l’aigle du langage. Qui évitent certains mots, comme autant de mines sur lesquelles ne pas sauter. Qui en cherchent de nouveaux, dans une langue difficilement traduisible, abrupte, pas aimable, mais énergique. Qui sont moins préoccupés des idées que de la place qu’elles occupent dans un cadre prémédité. Je sais bien pourquoi quelques critiques font la moue. Ils craignent la mort de la littérature. Celles sans les pantins de laquelle ils perdraient leur gagne-pain. Ils ont malheureusement tort d’avoir peur. Ce n’est pas pour demain.



Le bonheur est un devoir, etc. Et puis quoi, encore ?


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (7)

Partages Posted on 19 octobre 2020 15 h 30 min

Georges Perros. Réflexions, rêves, fatigues et aphorismes. Fin de la première semaine.



À table. On parle, à côté de moi, peinture, littérature. Conversation sans surprise, mais assez distinguée, entre gens cultivés et heureux de l’être. J’écoute. Pas trop cependant. J’ai peur qu’ils ne me mettent dans le coup. Car le plaisir c’est d’être en marge. Et seulement cela. Si j’ai à rentrer dans le circuit, ça ne m’intéresse plus du tout. Perd son charme humain.



En amour, tout s’annule au fur et à mesure. Tout est à refaire à chaque instant. Deux amants sont hors du temps. Suspension de l’horaire. La mort ne retrouvera nulle part ces heures qui lui furent signalées. Elle déménagera tout, mais en vain cherchera le temps d’amour, qui est son sosie.



L’obsession de la mort enlève la vie comme une lame de fond. Reste l’homme, qui attrape le torticolis de l’attente.



Pour vivre, il faut se pencher, s’appuyer sur une partie de ce qui nous traverse perpétuellement. Pourquoi ceci plutôt que cela ? Pourquoi ne pas être, et continuer à être bêtes, puisque, par moment, nous le sommes ? Nous donnons raison, c’est-à-dire nous souffrons ce qui nous paraît adéquat à notre nature, l’inconnue par excellence. Et qui finit par creuser une ornière dans ce chaos. Donc, finalement, je m’appellerai G.P. comme devant. Donc vivre est inutile puisqu’il s’agit de penser ce qui est trouvé.



Le maximum de simplicité va avec le maximum de difficulté quant à soi-même. Être simple n’est pas simple, voilà la gageure. Je n’ai pas rencontré d’individus simples. Et parmi les moins doués, ceux qui disent l’être.



Si l’on voyait Dieu, on ne serait pas plus avancé. L’homme, c’est expressément cette chose pas plus avancée par ceci que par cela.



Si quelque chose est fragile, c’est bien la raison pour laquelle nous restons vertueux, ou honnêtes. En fait, il n’y a pas de raison. Ce doit être pour ça.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Voilà pour cette moisson quotidienne.
À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (6)

Partages Posted on 18 octobre 2020 13 h 22 min

Georges Perros. Réflexions, notes et aphorismes. Sixième !



On trouve toujours des raisons à notre misère, à notre détresse. Certes, elles ne manquent pas. Mais elles nous abusent. Nous font croire que c’est à cause d’elles qu’on souffre. Souvent, c’est le foie qui ne va pas. Les misérables pensent que c’est la politique. Ce faisant, ils votent. Pour nourrir les politiciens. L’homme seul et sans préjugés sociaux va bien au-delà. Il se rend cruel par plaisir, pour abattre, croit-il, une à une les vraies raisons. Au lieu de regarder en avant, il marche à reculons revolver au poing, pour tuer ce qui est déjà mort, mais qu’il ressuscite en y pensant, en le sollicitant à nouveau.



L’honnêteté, ce serait de ne jamais penser à la place. Voilà qui limite notre champ. Mais nous donne une illusion de pesanteur, ce dont nous avons grand besoin.



Il est plus facile d’être honnête avec les choses, qui sont indifférentes à notre passion, qu’avec les hommes, que nous sommes condamnés à aimer. Tout le monde aime la nature. Se l’approprie sous prétexte de beauté. Se fait voir par elle. “Je suis allé à Tahiti” devient très vite : “Tahiti est venu à moi.” Tour de passe-passe dont l’homme seul fait les frais, car pour Tahiti, n’est-ce pas !… Donc, en disant que c’est beau, je fracture mon possible, j’agis comme si la chose avait besoin de mon regard, de mon prestigieux passage, pour exister. Comme si elle allait être flattée. Elle s’en moque éperdument.
Il faut voir aussi quelle importance nous mettons dans le : “Je vous aime” quand il s’adresse à un semblable. Seulement là, c’est plus compliqué. Là, nous attendons une réponse. Si le semblable vous demande froidement ce que vous entendez par là, vous sentirez votre Je vous aime se dégonfler comme pneu crevé. En général nous nous arrangeons à l’amiable, afin que dure ce jeu cruel, qui passe pour suprême. Mais voyons, bien sûr, nous nous aimons. Nous ne pouvons pas faire autrement. On n’arrête pas. On s’en vaporise, on s’en claque la peau. On s’en suicide. C‘est notre enfer. Quant à donner une définition du mot “amour”, grosse légume des arts et lettres, qui s’y risque s’y pique.
J’aime cette femme. Qui me le rend bien. On se connaît parfaitement. On se sépare. Ne me demandez pas la couleur de ses yeux, la forme de sa joue, la ligne de ses reins, le timbre de sa voix. Je ne l’ai jamais regardée. Ni écoutée. Mais aimée, admirée, oui. Nous étions si près l’un de l’autre que nous ne nous sommes pas vus. Quand j’étais jeune, je m’étonnais qu’on puisse aimer plusieurs femmes dans sa vie. Et même retourner à la première quand la dernière en date a fait son paquet. Serions-nous cette grande famille annoncée ? Je m’étonne toujours d’ailleurs. Mais pas de la même façon. Quand j’étais jeune, je me croyais immortel. J’ai changé d’avis.



Objectivité, c’est subjectivité saturée. Mais être objectif avant d’avoir bouffé du subjectif jusqu’à la nausée, c’est comme entrer dans une église parce qu’il pleut.



Le langage précis fait sortir l’homme d’un rêve dont il est, depuis l’origine, le mannequin bringuebalant.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà pour aujourd’hui. Demain une suite.
À demain donc.



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (5)

Partages Posted on 17 octobre 2020 9 h 31 min

Cinquième étape de notre quotidien périple en Perroserie.
Belle lecture à vous !



Il y a un bonheur du malheur. Qu’est-ce que le malheur ? C’est par exemple de se réveiller le matin, et de sentir le frôlement du magma de l’inutile. Cette extrême désolation qui ne peut être provisoirement dérangée que par le travail – mais lequel ? – et la femme – mais laquelle ? – rien, en ce monde, ne saurait en détruire l’implacable ordonnance. Rien n’en saurait voiler l’espèce de bonheur, d’à pied d’œuvre mortuaire. (Le sourire vient de là.) Toute résistance, noble ou vulgaire, nous exile en ce lieu imprenable, immémorial, qui nous empêche de nous croire quoi que ce soit mais nous laisse deviner nos manques, notre absence dans toute leur essentielle étendue.



Il est certain que les hommes se donnent beaucoup de mal pour être malheureux. Mais le sont-ils ?



Il suffit, à trente ans, de penser qu’on aurait pu mourir à quinze ans, et de voir ce qu’on a perdu, gagné, en restant vivant, pour trouver ridicule tout effroi de la mort.



La province. On n’imagine pas à quel point le fait de recevoir les nouvelles trop tard annule la gravité des événements. À quel point on se rend compte de notre impuissance, quant à leur maléfisme. Mais l’homme est une province, incomparablement plus lointaine que tout exil.



Un journal intime gai est inimaginable. Quand l’homme se penche sur lui-même, sur son passé immédiat, il n’attrape que des poissons de désastre.



L’intelligence c’est de prévoir celle de l’autre. En amour, on a annulé celle de l’autre. Ce qui nous permet d’être bêtes sans trop de remords, puisque c’est dans la mesure où on aura été bien bête qu’il y aura récompense.



Et finalement, on préfère le pauvre au riche, le malade au bien portant, etc. Ce qui est parfaitement injuste. Et dénué de sens, le pauvre ne valant pas plus cher que le riche, etc.
Aucun homme n’est supérieur à aucun autre. Dès qu’on commence à préférer, on n’en finit plus. L’indifférence du Christ est là. Mais il n’était pas chrétien, le Christ.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

La baguenauderie continue demain au pays des notes, réflexions, aphorismes de Georges Perros.
Papiers collés (1) encore. Pour l’instant…
À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (4)

Partages Posted on 16 octobre 2020 8 h 31 min

Le Perros quotidien, quatrième !


Le plus évident c’est l’oubli. Tous les jours il faut refaire le trajet qui nous conduit à nos limites.



Je mentirais en disant que j’ai toujours eu la notion du mal. Mais telle est sa force qu’une fois déclarée en nous, il semble que jamais nous n’avons été dégagé de cet ensorcellement que tout, nature et individu, confirme et malheureusement exagère.
J’ai beau chercher, dévisser les planches un rien rouillées ou qui ont trop joué, de ma mémoire, je ne repère pas évidemment le déclic. Tant il est impossible de se totaliser, tant la durée travaille en nous, à notre insu. Tant nous avons tort quand nous affirmons, jugeons, dépassons nos limites dans ces régions.



L’habitude, c’est l’animal en nous.



Le drame, c’est que nous sommes toujours ce que nous sommes en dernier lieu. C’est pourquoi les autres ont du retard. Quand on parle à un écrivain de son dernier livre, lui l’a déjà oublié.



Le problème est le suivant : peut-on conserver, entretenir, exercer le peu ou prou d’esprit qu’on a sans le secours des autres, quels qu’ils soient ? Le simple fait de noter, et si possible perfectionner ce qui nous passe par la tête, est-il nécessaire et suffisant ? Les autres ne sont-ils pas obligatoirement, fatalement, impliqués dans cet acte, et dès lors n’est-il pas malhonnête, voire stupide, de travailler sur une croyance établie sur un faux ?
Je crois que la “pureté” est une idée de jeunesse mentale, impossible à dissoudre, ou même à tuer avant terme naturel. Il nous faut subir ce temps de pureté, même et surtout si notre intelligence en a décrété l’absurdité. On ne la brise que par des actes qui nous font d’autant plus souffrir qu’ils nous sont ridicules, mais inévitables si l’on veut en finir, crever l’abcès. C’est dans la solitude qu’on vient à bout de la mauvaise solitude.



Je suis sûrement un type agaçant. À cela, quelques raisons :
I. Je n’aime pas ce que j’écris. Mais j’écris.
II. Il n’y a que la solitude qui m’aille, comme un habit qui n’empêche ni l’écharpe ni le manteau.
III. Je me sens très normal, ne comprends rien à les difficultés.
IV. L’amour est à réinventer. Oui.
J’ai tous les jours la sensation très nette, la plus nette de toutes, que je suis foutu. Impossible de redresser le gouvernail. Qui se redresse tout seul. C’est un peu vexant.



On peut, à la rigueur, rencontrer une femme qui ressemble à la Joconde. Il est clair que la Joconde ne ressemble à aucune femme.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Je continue demain.
Vous y serez ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (3)

Partages Posted on 15 octobre 2020 9 h 23 min

Jour après jour. Le troisième…



J’ai conservé, sans le vouloir, cette naïveté : quand j’ouvre un livre, j’aime que ce soit un livre. Je m’attends à de la littérature. La vie, c’est-à-dire les autres et moi, la vie me suffit pour le reste. Mais lire, si c’est pour s’y retrouver, autant vaut téléphoner à son voisin et passer une soirée baliverneuse. Nous avons tous une idée de ce qu’est, de ce que devrait être, la littérature. Les uns lisent pour s’évader. (De quelles prisons ?) Les autres pour s’instruire. (À quelles fins ?) D’autres encore lisent parce qu’il vaut mieux fréquenter le langage écrit d’un homme que le langage parlé. D’où je ne déteste pas ma concierge; mais j’aime bien Mallarmé. Les deux, ma concierge et Mallarmé, me paraissent faire leur métier, avec les inconvénients d’usage.



Comment écrire des choses intéressantes à quelqu’un qui ne manquera pas de les trouver intéressantes ?



Si j’étais celui que croient que je suis les gens qui m’aiment en pensant me connaître, je ne les fréquenterais pas.



Non seulement je n’ai pas besoin de voir les gens que j’aime pour les aimer : j’ai besoin de ne pas les voir. Mais continuent-ils à m’aimer, eux ? Alors on se revoit.



Je veux bien me charger, me dire du mal de moi, relever comme un maniaque tous mes défauts. Ça ne me dérange pas. Impossible de me fâcher avec moi. Je veux bien tenter d’être vrai, de voir atrocement clair en moi-même. En conclure que la nature humaine est décidément peu recommandable. Mais cette sincérité, cette franchise – qui vont toujours vers le mal – ne me servent de rien. J’en profite aussi peu que de celles dont mes amis sont prodigues, quand j’ai le dos tourné.



N’avoir rien à cacher, sinon qu’on n’a rien à cacher.



Mon rêve – très réalisable – ce serait d’écrire ce qui me vient sur de petites cartes, comme de visite, en m’interdisant d’en utiliser plus d’une par occasion de penser. Je les jetterais dans une caisse, et tous les cinquante ans, ferais le tri. Je les numéroterais.



Trop vieux pour se marier, il prit une jeune maîtresse.



Je ne crois pas que l’amour soit nécessaire – c’est plutôt le contraire – pour former un monde ou l’amour soit possible.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


À demain ?



Cesser d’être en mauvaise compagnie… (2)

Partages Posted on 14 octobre 2020 12 h 54 min

Suite de notre périple Perrosien…


Ce qui peut arriver de pire à Dieu, c’est que l’homme ne mette plus en doute son existence. C’est aussi ce qui peut arriver de pire à l’homme.



La solitude donne l’habitude des trous, des “à quoi bon”. Morale du “il y a pire”. Personne à qui s’efforcer de plaire. De la détresse. Or quand on a été longtemps seul, on est comme travaillé, on donne plutôt raison, sans le vouloir, à ces ornières, à ces défaillances, plus fréquentes, plus vraisemblables, qu’au redressement de corps et de cœur qui fait la vie, qui fait les couples, qui fait l’amour. Ce sont des moments de distraction foudroyée, invincibles, qui vous rejettent dans votre cage essentielle. L’équivalent du “Ne m’énervez pas, je me sens capable de faire un malheur” du nerveux, ou le contraire du “Ne me laissez pas seul” du malade. Aucun être humain ne paraît capable de combler ce trou, cet abîme, et moins encore par son amour que par sa haine. Car la souffrance par autrui est plus facilement délectable – au sens fort – que son amour.



Ce sont les autres qui m’ont rendu intelligent. Je n’ai pas une intelligence de normalien. D’organisation. Mon Dieu, non. Mais une intelligence oxygène. Je m’en sors toujours grâce à elle. J’émerge de ma détresse congénitale, et toutes les souffrances, finalement, viennent s’installer dans la partie “problème” de mon individu. J’ai affaire à des idées, après avoir entrevu le risque de la ruine. Bref, je suis essentiellement nerveux. On peut me faire horriblement souffrir, quelque bouillon bu, je parviens toujours à retrouver ma respiration. C’est qu’il y a un passionné en moi, sans identité, sans signalement, qui est le secours même. Que je ne sollicite jamais. Mais qui, toujours me sauve du désastre. Je suis, et j’ai l’air, infiniment nonchalant, indifférent, fatigué. Mais par rage de ne pouvoir étreindre le moment, de devoir attendre son bon vouloir. Je mourrai insatisfait, sans oser dire, comme les écrivains de la soixantaine : “J’ai vécu, c’est bien.” Non, ce ne sera pas bien, et je n’aurai pas vécu.



Le vrai temps est nocturne. Je remonte ma montre le soir.



Si Dieu n’existe pas tout est permis.” Je crois que l’effrayant, c’est que tout est permis, même s’il existe.



Il y a pire que la modestie. C’est la peur de l’orgueil.



Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Ce sera tout pour aujourd’hui.
À demain ?






Cesser d’être en mauvaise compagnie… (1)

Partages Posted on 13 octobre 2020 16 h 51 min

On n’y avait plus pensé depuis longtemps,
et puis là, un matin,
le voilà qui déboule dans notre esprit.
Et s’y installe
comme s’il était chez lui.
On ne l’avait pas oublié, non.
Sa lecture nous était restée là, dans l’âme plus que dans la tête,
voilà tout.

Ne pas savoir pourquoi est sans doute la meilleure des raisons.

Pourquoi ai-je aujourd’hui envie de partager ici, sur ce blog,
quelques-uns des bonheurs qui me sont ce matin revenus
des lectures de Georges Perros ?
De ses Papiers collés, surtout.

Re-lire, ici, les donner à lire
quelques-uns de ses aphorismes,
quelques-unes de ses réflexions,
de ses pensées qui, parfois nous apparaissent sans queue ni tête
avant de s’imposer par leur tactile, charnelle, vérité.

S’attacher aussi à son lyrisme lucide, celui qu’on évoque rarement pour
parler de tendresse.
Et pourtant, c’est bien de tendresse qu’il s’agit.
Pas de minauderie, non, de tendresse.

Alors, voilà, je consacrerai ces trente prochains jours,
à raison d’un “billet” par jour,
à m’effacer derrière les mots du poète,
les laissant parler sans les interrompre.
Parfois des extraits courts, parfois de plus longs.
Parfois un seul, parfois plusieurs.
En fonction de ce que les jours et la relecture donneront.
Ma seule intervention : les avoir sélectionnés,
ce n’est pas innocent.

À vous de découvrir ou de redécouvrir.

Georges Perros est mort en 1978.
Il avait 55 ans.
Celui qui fut contraint au silence après une opération des cordes vocales,
consécutive à un cancer du larynx,
et qui ne s’exprimait plus qu’à l’aide d’une ardoise magique
(comme on en utilisait quand on était enfants, à peine écrit déjà effacé)
m’a laissé dès la première lecture sans voix.

Subjectivité totale dans le choix des extraits que je vous livre.
La seule règle a été de ne jamais interrompre ni abréger une pensée.
En aucun cas.

On commence ?
Je me tais.


On ne se fait pas à la mort. Elle prend toujours l’homme au dépourvu. On s’étonne. La mort est incroyable. Devant la mort, la vie baisse les yeux, a comme honte. Rien de plus sot, de plus désemparé, que la vie devant la mort et la nature. La vie, c’est-à-dire bouger, choisir, aimer, haïr, souffrir, écrire, parler, faire le singe. Il faut avoir le cœur solide pour passer outre. L’obsession de la mort, du temps, est un poison, dirais-je mortel, qui minerait toute possibilité de bonheur, si le bonheur était en ce monde autre chose qu’un vœu.



Ce qu’on entend : “Vous êtes trop compliqué. Soyez simple. Cessez de couper les cheveux en quatre…” Ils rendent volontaire – ça les arrange – ce qui est consubstantiel, comme la beauté ou la laideur. Un homme laid, auquel on ne cesserait de répéter qu’il a tort d’être laid, finirait par se demander s’il ne l’a pas fait exprès.



Il est bien rare qu’un homme qui dit qu’il refuse (femmes, honneurs, etc) dise vrai. Cela arrive cependant. Alors il ne le dit pas.



L’impossibilité d’aimer sans avoir envie d’être aimé soi-même retire toute grâce à ce sentiment.



Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.



Depuis mon plus jeune âge conscient, je parle tout seul. Je me tiens d’interminables discours. Je ne m’en aperçois pas, sinon quand on me parle. J’attends la séparation pour reprendre mon propos. Car même quand je ne “roule” pas – quand je ne suis pas seul – le moteur ronfle. Je ne m’arrête, je ne me laisse jamais arrêter au point de couper les gaz. On devine pourquoi. D’où mon air tendu. Je ne sais pas ce qu’on entend par repos. Je n’ai jamais su, pu, me reposer. J’ai toujours quelque chose à faire, si important, si définitif, si dangereux, que je ne le fais pas. La vie, soudain, dès que j’interromps cette musique d’ameublement, ma vie n’y suffirait pas. Mon désir empiète sur ma mort. Alors à quoi bon planter ma tente, ici plutôt que là. La chose à trouver est en moi, et bouger me retarde. Mieux, me retire du lieu de la trouvaille, de la mine. Je suis sûr que toute relation avec autrui m’est, me doit finalement être néfaste, puisqu’elle m’éloigne de ce lieu, de ce trou, de ce volcan. L’amour a ici quelque chose à se rendre. Car je suis un homme normalement constitué.



Le comble du pessimisme : croire en Dieu.



Le vain pur monte à la tête.



Il faisait d’elle ce qu’elle voulait.



Cours d’éducation moderne. Dites trois fois : Dieu est mort. La vie est absurde. Il faut une révolution, etc. C’est bien. Maintenant, allez jouer aux billes.



Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire




À demain ?



Bras d’honneur(s)

Partages Posted on 16 septembre 2020 15 h 32 min

Une amie (c’est souvent la même) attire aujourd’hui mon attention sur un article de Libération.
Très intéressé pourtant par la question, et au courant de la polémique, il m’avait échappé.

Je relaie ici l’article dont question. Et qui m’enthousiasme.
Son rappel appuyé à un peu de vérité, de sincérité, d’honnêteté intellectuelle tout simplement,
trouve en moi des échos que je me serais reproché de ne pas évoquer.

À lire ici.
Mais à réfléchir aussi.

À bientôt.



Mais d’où vient ce qui m’advient ?

Et ceci ? Posted on 13 septembre 2020 11 h 15 min

Quand Ferdinand Chabre, ce matin-là, était sorti de chez lui,
il ne faisait plus encore nuit ni déjà matin.
C’était à la fois comme un espoir d’en sortir
et un désir de s’en contenter.
Pas très clair, tout ça, s’était-il dit.
Brumeuse incertitude.

D’autant que s’il s’était, à cette heure matinale, difficilement levé,
c’est parce qu’il avait été convoqué.
Con-vo-qué.
C’est quoi, ce mot ? aurait pu s’exclamer Ferdinand Chabre.
Mais non, pas le genre.
On accepte. On baisse les yeux. Ce qu’il en reste.
Sans pour autant qu’il n’en reste rien, bien sûr.

Document officiel, sans âme, je ne vous apprends rien :
“masque obligatoire”.
Vous voyez le genre.
Je suis sûr que vous voyez.

C’était plutôt bien, s’était-il dit,
qu’enfin le masque fût ainsi avoué.
Ça faisait tant et tant de temps qu’il les percevait, les masques.
Il les voyait partout,
pas seulement dans les mondanités où depuis toujours ils vaquent obligés.
Partout.

En fait, les masques, jusque-là, avaient toujours couru masqués,
tant et si bien qu’on ne les voyait pas.
Et Ferdinand Chabre ne faisait jusque-là que les supposer.

Il fallait soudain les montrer, les afficher
et donc, les avouant, se désavouer.
Cachez ce sourire !
Cachez, ce désaveu, cette moue, cette grimace
que je ne saurais voir !

D’une certaine manière, c’était bien,
tous pouvaient sourire sans que ça se sache.
A contrario pleurer semblait toujours interdit,
et beaucoup plus visible.
On n’avait pas caché les yeux. Pas encore.
Le bonheur.
On n’aime tellement pas du tout voir pleurer le gens.
Ça nous ramène.

Tout avait changé; mais rien.

Ferdinand Chabre ne doutait pas de la nécessité du masque;
une sorte de peste avait envahi la ville.
Simplement, il était très surpris des mots que les autorités avaient choisis
pour en justifier l’obligation.
Protégez-vous, vous protégerez les autres”, le laissait pantois.
Les autres.
C’était bien la première fois qu’on nous suggérait d’y penser.
Pourquoi pas solidarité, tant qu’ils y étaient ?

Bon, c’est pas tout ça,
Ferdinand Chabre avait été convoqué.
Masqué. Ça lui avait été intimé.
Et, à cette convocation-là il se rendait.

Réunion de fantômes avertis.
Pas si rares qu’on aimerait, les affidés du Pouvoir et de la Peur.

Examen, test.
Puis, trois jours.

Vous êtes positif”.

Vous vivez seul ?
Vous avez vu qui ?
Longtemps ?
Combien de temps ?
Vous pouvez ne pas répondre,
mais si on veut savoir, c’est pour le bien des autres.
Vous comprenez ?

Les autres, encore une fois.

Silence.

Positif, donc.
À cette nouvelle peste qui si souvent,
à travers vous et vos imprudences,
gâche la vie des autres.

Ferdinand, aujourd’hui, est un de ces autres.
Ça lui est dit.
Si tout le monde, Monsieur Chabre, était comme vous, obéissant,
vous n’en seriez pas là.

L’enfer, vous voyez, c’est les autres, ceux sans masque.
Tôt ou tard ils seront démasqués

et auront à le regretter.

Les autres sont vite devenus à la fois ceux qu’il faut protéger de soi
et ceux dont nous devons nous protéger.
Vertige.

Vertige, se dit Ferdinand Chabre
en même temps qu’il se pose une question :
Qui ?
Pas pour répondre à la question posée par les autorités, non.
Pour répondre à la question qu’il se pose, lui à lui :

Par qui donc ai-je,
dans mon sommeil sans doute (sinon où ? je ne vais jamais nulle part, ne croise presque personne) –
pu être ainsi empoisonné ?


Comme une femme qui découvre au réveil
qu’elle a été durant la nuit
violée.
Par qui ? Comment ? Pourquoi ?”
Et “De qui dois-je à partir d’aujourd’hui me méfier ?

Ferdinand Chabre sait que ce n’est pas pareil, bien sûr.

Mais l’incertitude ?

Et il découvre que
à l’intérieur de lui,
naît, en même temps qu’une méfiance,
une honte.

Mais de quoi ?

De quoi ?



Les morts auraient-ils toujours raison ?

Partages Posted on 9 septembre 2020 17 h 07 min

On était entrés là.
On nous avait dit qu’il y aurait du Jazz.
C’était pas rien, le jazz, on attendait,
mais déjà on avait une telle envie d’aimer…

Je ne sais plus quand c’était. Ça importe peu, le temps.

Il y avait eu la scène vide pleine d’instruments.
Comme des gisants qui attendaient.
Tous, on avait déjà vu ça, ce vide, avant que.
Mais on ne savait pas.

Il y avait eu ce type aux allures de dandy qu’on n’apercevait pas,
parce qu’il le voulait bien.
Il entrait en scène avec cette sérénité qui aurait pu,
si on n’y avait pris garde,
confiner à l’indifférence;
comme aussi s’il avait fait vœu de “non exister”.
C’est peut-être le souci de ceux qui font ce métier de l’ombre…

Il y avait des gestes assortis toujours à cette espèce d’indolence
qui accompagne ceux qui à la fois doutent et veulent se rassurer.
C’est parfois comme ça, les génies,
je veux dire ceux qui ont maitrisé leur art sans renoncer aux étoiles,
sans s’en préoccuper non plus…

Mais ça, on n’en savait rien.
On était un peu comme ça,
à la fois passionnés et sceptiques,
vous connaissez ça.

Donc, quand il est monté sur scène (pourquoi “monté” ?),
rien n’avait semblé particulier.

Le piano avait fait son boulot (plutôt vraiment très bien, si je peux me permettre…),
la batterie avait léché ses cymbales comme jamais, avait négligé ses baguettes et ses peaux.
Que du cristal.
C’est dire.

C’est alors que.

Et ce fut, de Gary Peacock, la contrebasse.
Il avait composé cette épiphanie-là.
Vignette.
C’était tout ce qu’on espérait sans l’avoir jamais su,
tout ce qu’on ne comprenait pas.

Personne n’avait plus rien à dire.
Tous on rêvait.

Je me tais.






Le bruissement étouffé de l’émotion, le degré zéro de l’information

Partages, Révoltes Posted on 1 septembre 2020 18 h 11 min

J’emprunte volontiers ici ce double titre plagié de deux essais retentissants de Roland Barthes.
(“Le bruissement de la langue”, d’une part, “Le degré zéro de l’écriture”, par ailleurs).
Mon emprunt s’arrête là et n’a valeur ni de comparaison ni de référence,
si ce n’est celles, exclusivement musicales de la langue.
Les mêmes mots donc, ou à peu près,
pour dire, dans des syntaxes différentes,
des choses que, pour sûr,
Roland Barthes aurait traitées avec un tout autre talent,
si tant est qu’elles eussent été dans le champ de ses préoccupations.

Aujourd’hui n’étant pas hier, ce ne fut pas le cas.

Je veux parler ici d’un essoufflement.
Un de ceux qui nous font oublier de nous révolter.

Hier encore, on serait descendu(s) dans la rue,
on se serait agité(s), on aurait donné de la voix,
on aurait défié quelques coups de matraques,
tout ça.
On aurait été des milliers à hurler notre indignation,
à hurler
et répéter encore et encore que
ça ne peut pas se passer comme ça !

Mais non.

Il y a une usure qui nous fait,
par épuisement sans doute,
par lassitude en tous cas,
parce que, aussi,
notre conscience n’est plus le nerf de la petite guerre que nous menons,
il y a cette usure donc,
qui nous a chloroformés de décisions venues d’ailleurs…


Il y a cette usure qui nous fait omettre de regarder autre chose
que nos doigts raidis sur nos azerty,
ailleurs
que dans les brumes de nos canapés,
ailleurs que dans les endormissements auxquels nous sommes
“pour notre bien” tous conviés.

Mais quoi ?
On ne réagit pas.
La presse en parle à peine.
Plus préoccupée de bla-bla que d’humanité.
Silence. Ou à peu près.

Naît une indifférence dont on connaît la creuse philosophie
et qui murmure sans jamais de cesse :
À quoi bon ?

Merde, merde, merde !

Pour info :

L’avocate turque Ebru Timtik
après 238 jours de grève de la faim
est morte dans les geôles turques
à 42 ans et 30 kilos.
Son dé
lit : être opposante au régime.
Les raisons (délirantes) de sa “condamnation” :

Appartenance à une organisation terroriste

Erdogan s’est levé tôt ce matin,
s’est rasé, a regardé sa montre.

A peut-être lu (re-lu ?) “La Fête au bouc
de Mario Vargas Llosa.
Soulagé
?
Pas de quoi.


Téléchargez gratuitement ici l’article de Valérie Manteau dans Libération du 04/09/20.




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