Vendredi.
Ciel bouffé ce matin.

On prend conscience de ce besoin qu’on a du ciel (je ne parle pas de celui des béatitudes !)

C’est à chaque fin d’hiver un mantra :
“Que revienne la lumière !”
Et on a peur, avouons, qu’elle ne revienne pas.
La chaleur, n’en parlons pas.

On a en fait une profonde inconscience (en même temps que son inverse ?)
de cette nécessité chaque année recommencée
de reprendre contact, à ce moment-ci précisément des saisons,
avec un rythme qui serait celui de la nature.

Même les brutes se mettent à rêver de coquelicots.
Mais.
Il suffit de trois fois rien, hélas,

de quelques semaines peut-être,
pour l’oublier.
L’année prochaine nous rappellera à l’ordre. Mais quoi ?


C’est que les temps se pressent de toutes parts
pour nous “aménager” des avenirs qui n’en sont pas
ou presque plus…


Dans les oreilles, ce matin : “God bless the child” (Billie Holiday).
Pourquoi pas ?
C’est, sous la douche, l’effet Rachmaninoff…

Un peu évident, un peu gros.
C’est vrai.

Pourquoi pas ?

On continue.

Suite de notre récit anonyme (8/11).



LA MÉCANIQUE DES LETTRES
un homme de lettres anonyme.

8.

Un moment d’attention s’il vous plaît. Problème d’arithmétique. Sachant que les entreprises et les administrations génèrent 90% du courrier et que les lettres des particuliers aux entreprises et aux administrations représentent 6% du trafic, combien de lettres d’amour le facteur distribue-t-il chaque jour ?

Je vous donne la réponse, tirée des statistiques de La Poste : le courrier inter-particulier représente moins de 4% du trafic. 

Traduction : quand le facteur s’approche de la boîte aux lettres, ce n’est pas pour y déposer d’exotiques cartes postales, mais plus probablement le relevé de compte ou l’avis d’échéance. Nous vivons dans le mythe du facteur qui transporte du courrier manuscrit, mais dans la réalité la majorité du courrier est envoyé automatiquement par les machines des administrations et des entreprises. Et c’est pour cette raison que La Poste arrive si bien à le mécaniser.

Oublions l’arithmétique et rêvons un peu. Quand votre esprit vagabonde, à quoi songez-vous ? Moi il m’arrive de rêver d’une société où les êtres humains se seraient émancipés du joug du capitalisme, où les banques, les entreprises et les administrations n’auraient plus leur place. Problème onirique : dans une telle société,
où il n’y aurait plus ni publicités ni factures, s’enverrait-on encore autant de lettres ? Si la réponse est oui, lesquelles ? Et pour dire quoi ? Si la réponse est non, le retour au Grand Service Postal de Papa et au facteur de Tati – qui me semble être la réponse des syndicats à la privatisation – a-t-il un sens ?

En fait, il y a bien un problème, mais il n’est ni arithmétique ni onirique. Problème politique : quand d’un bout à l’autre de la chaine tout est mécanisé, les êtres humains sont-ils condamnés à devenir des maillons; des variables d’ajustement; des citrons pressés ?

À La Poste comme ailleurs, entre le marteau des privatisations et l’enclume de l’informatisation, quelle place reste-t-il à notre humanité martelée ?



À demain ?