Treizième épisode de notre feuilleton consacré à Georges Perros,
homme libre autant que possible…



On écrit toujours qu’à deux doigts de se taire.



La pire pensée : Je ne peux faire que ce que je fais.



Ces moments où tous les hommes, tous les livres du monde deviennent insuffisants. Où, dans la bibliothèque totale, on ne trouverait pas un seul livre de sauvetage, comme le marin qui fait naufrage ne rencontre aucune main de secours. Ces moments-là donnent justement une idée de la mort. Le curieux, c’est qu’en même temps, ils dévoilent la vie, dans son extrême nudité, et la passion que nous en avons. Il n’y a rien de pire. Mais rien de mieux. On sait qu’il va falloir y retourner, parce que ces moments viennent et s’en vont sans prévenir. Nous laissant une espèce, un genre de souvenir, comme le goût, le fumet d’un vin rarissime au palais.



Il est très difficile d’être modeste. Impossible. Se lever le matin est acte d’orgueil. (Je passe les intermédiaires.) À partir de cette verticalité somme toute imposée, il ne reste plus qu’à payer de sa personne. Curieuse expression. Qu’à être disponible. Disponible à quoi ? Nous avons tous un métier, plus ou moins réel – plutôt moins – nous sommes plutôt sollicités par l’automatisme que par ce qui nous revient quand rien ne nous empêche plus d’être… rien. Mais alors gare au langage, qui nous serait indifférent si nous ne le “retenions” pas. Qui peut nous faire tant de mal, étant donné notre nature, qui est tout désordre. Car enfin l’homme peut mentir. J’ai presque envie de dire qu’il n’arrête pas de mentir. C’est pourquoi l’amour existe. L’amour donne la sensation de la vérité, et les gestes suivent. Les preuves. La Palice disait qu’il est rare. Oui. Mais il existe, et nous, à travers lui. Quelques moments de notre vie ressemblent à ce que nous voudrions qu’elle soit. Donc nous avons affaire aux autres. On arrive même à devenir – paraît-il – misanthrope, aigri, dégoûté; on arrive à être déçu. Admirable. On en veut aux autres hommes d’être un homme, comme eux. On voudrait bien connaître un peu le sort des poissons, des oiseaux, des lézards. On flâne avec délice dans la malhonnêteté, qui consiste à faire de l’esprit qu’on a – ou qu’on n’a pas – je ne sais quel luxe, quel obstacle, quelle gêne à ce qui rendrait notre condition idéale. L’homme fait l’âne pour avoir du son, sans d’apercevoir que l’âne, lui, en général, travaille pour si maigre résultat, et se laisse, assez chrétiennement je l’avoue, taper dessus.
Tout commence, tout finit par le langage. Grâce au langage. On n’y peut rien. La faute à qui ? Mais que le langage se venge de temps en temps; qu’il nous trouve un peu vaniteux, ou excessifs, non, n’allons pas lui en faire grief. Ce n’est pas drôle d’être un homme, soit. Mais un mot ? Rendez-vous compte. Toutes ces langues plus ou moins pâteuses qui vous broient, vous jettent, vous endorment, vous aiment, vous détestent. Non, quel mépris ! Quelle insolence ! Et ces prières au silence – je parie qu’il en rougit, le mot, par affection pour le langage – et cette façon qu’on a de le mettre à toutes les sauces. Sans le consulter. Sans lui demander s’il marche. Et ces discours, ces livres, ces conférences, ces sermons et serments, ces traités. À croire qu’il n’a jamais servi que la bassesse humaine. L’hypocrisie. Le bon à tout faire, en quelque sorte.



Le suicide, ce n’est pas vouloir mourir, c’est vouloir disparaître.



Écrire, c’est toujours être le nègre de quelqu’un qu’on ne rencontrera jamais.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Voilà pour ce dimanche.
À demain ?