JOUR 7 (quelques semaines plus tard…)


Dé-con-fi-nés !

S’avouer vaincu, pour aujourd’hui au moins, après on verra,
c’est ce que décrète Volp quand, d’un dernier rendez-vous,
il sort à dix-sept heures vingt-trois, on vous rappellera.

Mal au dos. D’attendre debout.
Et ça vous tiraille. Vous n’imaginez peut-être pas à quel point ça vous tiraille.
Et la caboche aussi, qui ne trouve plus à quelle certitude se vouer.
Il en a vu d’autres, mais pas tout le monde.
Il sort donc, et, derechef, c’est la gadoue.
Parce que, derechef, il pleut, ben voyons.
Et puis le métro.
Il y a des jours comme ça, se dit-il.
Mais c’est souvent que les jours sont comme ça.
Et ce masque sur la bouche et le nez qui n’arrange rien.
Qu’à nous masquer.
Comme s’il fallait à tout prix ne pas se ressembler.
Ressembler à soi-même, je veux dire.

Bon, on fait quoi maintenant ?

Porte de Champerret, où il n’a rien à faire,
à peine le crissement des freins a-t-il suivi l’annonce de la station,
que, précipitamment,
il a visé la sortie comme on songe à se sauver d’une apnée.
C’est qu’il l’a aperçue, reconnue.
Rousse. Un peu raide.
Elle est quand même un peu arrimée,
a-t-il tout juste eu le temps, en son for intérieur, de s’exclamer.
Bref, ne se posant pas la question de savoir si elle oui,
il ne s’imagine pas à ses côtés, non.

Donc, comme font les hommes, Volp a entrepris de fissa se barrer.
Et, dans la foulée, le voilà qui fend le moite agglomérat des navetteurs masqués.
Les eaux de toilette à cette heure-là ne font plus qu’aigrir un peu plus
des transpirations acculées au mensonge.
Et les masques ne servent pas même à s’en défendre.
Sauve qui peut. C’est ainsi que vivent les hommes.

Et s’en suit, comme presque toujours dans les mouvements de foules qui ont leurs lois,
une précipitation de textiles humides et odorants
(nylons fatigués, skaïs fragiles, laines feutrées ou boulochées, ou les deux à la fois
malgré les précautions d’entretien suggérées par les notices),
de suintements d’humeurs dont on aurait préféré se priver,
de bedaines dont on a du mal à s’extraire,
de seins qui font rêver, mais on n’est pas là pour ça.
Bref, expulsé de la rame par l’indigeste foule,
Volp se retrouve vomi sur le quai.
Il l’a échappé belle.
Il était à deux doigts de. De quoi ?

Et là, il aurait fallu s’en douter
et dès lors se méfier de tout mouvement hâtif,
voire éviter,
la douleur, la cheville, la déchirure qui le fait,
comme il y a quelques semaines, couiner…
Oui, couiner.
Pas un petit cri étouffé, non.
Un couinement, je vous dis.

Bref, vous aurez compris,
Volp affalé dans son imper gris sur le quai goudronné a la cheville en feu.
Et la rousse (c’est Sarah Volp, née Dielman, son ex belle-sœur, sans qu’il le sache,
ça aussi vous l’avez compris),
dans la rame verdasse qui s’éloigne ne se doute de rien.
Comment pourrait-elle ? elle ne l’a jamais vu, Volp.
En tous cas, n’en sait rien.
Il ne connaît même pas son nom. Il se dit quelle importance ?
À ce sujet-là, il frime un peu.
Il surjoue l’indifférence, clope au bec,
mais sans clope pour cause de mois sans tabac, vous vous souvenez ?

Dans un gémissement de cric, il se redresse, crac.
Tant bien que mal, et c’est pas du gâteau.
Moins une et il la retrouvait.
Pas le courage là de faire face à la moindre déception.

Alors, quai, escalier,
remonté à l’air libre, Volp s’en va claudiquer rue Descombes
puis avenue Stéphane Mallarmé.
Il se sent toujours un peu plus intelligent dans des rues qui ont ces noms-là.
Il n’aime pas trop la rue des Boulets dans le onzième,
lui préfère de loin la rue de la Liberté dans le dix-neuvième. 
Même s’il sait qu’elle s’efface.
Mallarmé donc. Avenue Mallarmé.

Il ne sait trop que faire dans ce quartier de Paris où il n’a rien à faire.
Pas en osmose, pas même un petit début d’on est bien ici,
si vous voyez ce que je veux dire.
Mais par-dessus tout, il y a la cheville qui rouscaille. Et pas qu’un peu.
Ah, nom de dieu !
On clopine un peu beaucoup passionnément à la folie quand on manque d’assurance,
mais là, c’est le pompon.
Et il pense à sa mère. Pourquoi soudain ? il ne sait pas.
Se dit que ce serait bien qu’il aille la voir de temps en temps,
en tous cas un peu plus souvent, mais là on n’y est pas,
et puis, c’est pas le moment.
De toute façon, lui dire quoi ?

Volp ne sait pas ce qu’il a gagné à la précipitation
et à l’atterrissage forcé sur le bitume du quai Champerret.
Si ce n’est cette supplémentaire douleur à la cheville gauche.
Va falloir s’occuper de ça.
Et les grolles qui ne l’aident pas.
Va falloir s’en trouver d’autres aussi.
Se dorloter un peu, faudrait.
Pas normal de vouloir vous cacher de quelqu’une
qui ne vous connaît pas et que vous brûlez de voir.
Une femme, d’accord, mais un peu lourde tout de même.
Enfin, il m’a semblé.
C’est pas qu’il ne les aime que maigrelettes, mais bon.
Volp est un terrien qui cherche de l’aérien.
Un intellectuel contrarié, aussi.
Un terrien tendance cool jazz.
Et puis, un mec sensible. Faut pas le brusquer.

Elle avait une étole orange, là.
Une étole orange, sur une courte veste jade à larges revers roses,
il s’en souvient parfaitement, tignasse rouille.
Alors, toutes ces couleurs, ça vous mange, ça vous estourbit.
Il se demande si.
Et c’est alors que, sans avoir rien vu venir, il craque.
Presque des larmes, mais non, n’exagérons pas,
encore que, oui, quelques.
S’adosse, glissant vers le bas si j’ai bien vu, à la façade blonde du 13,
porte en verre et fer forgé, vous trouverez.
Se laisse lentement s’accroupir, accoté au grand dossier froid de la façade,
sur les talons. La cheville en feu.
Et le pied qui dans les pompes s’est remis à bleuir et à gonfler.
Pas habitué à s’occuper de lui. Essoufflé. Marre.
Dire qu’il s’était promis de vivre.

Alors, se relever, fouiller les poches de l’imper gris,
tout ça à la recherche de quoi s’offrir un taxi.
C’est pas rien. Voilà, c‘est fait, sans trop savoir comment.
Ric-rac et manque une fois encore un peu de ceci ou de cela,
mais reste le plus souvent une part de sourire qui arrive à convaincre.
Volp n’en revient pas.
Volp ne revient jamais de rien.
Il a un charme fou, Volp.

Demain, je trouve du boulot.
Je recommence à écrire.
Mais là, tout de suite, on rêve d’un café chaud.
Trois étages, un verre de rouge aussi, ça pourrait être bien.

Et de la musique toute la soirée.

 

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Et puis, cette nuit, malgré la patte folle, le Bœuf Indigo.
Il y a trop longtemps…
On y jouera peut-être My favorite things, allez savoir.
Ce serait trop drôle.




Bon déconfinement à vous, quand enfin il interviendra !
D’ici là, prenez soin de vous,
de vos amis,
de vos amours,
de la musique,

et de vos révoltes !