On entame, en bonne compagnie, celle de Georges Perros, cette deuxième semaine.
Des notes, des aphorismes, des réflexions, des textes plutôt courts, parfois un peu plus long.
J’ai promis de me taire, de ne faire pas de commentaire(s).
Dont acte.



Nous avons grand besoin d’honnêteté. Dans tous les domaines. Il serait temps, peut-être, d’essayer cette chance respiratoire. Dieu ayant sauté le mur, nous voilà entre hommes, les uns sur les autres. Pas plus fiers pour ça. Ni moins. On se souhaite mutuellement une bonne purge autocritique, un règlement de comptes personnel je ne vous dis que ça. Et c’est bien vrai, on ne dit que ça. Il est évident que, si personne ne peut revendiquer l’honnêteté absolue, chacun est libre de choisir son lot, sa partie fine. Je serai honnête en littérature, dit celui-ci. Ce n’est pas une mauvaise idée. Qui viendra voir les restes ?
On ne peut faire qu’un sort à l’homme. Considérable. C’est de le croire sur parole. De ne jamais mettre en doute ce qu’il dit. De ne pas soupçonner la possibilité du mensonge chez l’autre ne l’arrange pas du tout. Ce n’est pas de jeu. Il rend ses billes. Ce qu’il veut – ce que nous voulons tous – c’est être sincère. Ah ! la sincérité, ce fragment fiévreux, un rien dégoulinant, extirpé au mensonge perpétuel, voilà un plaisir ! On s’en donne à cœur joie. On s’en renvoie les balles : à toi, à moi. On s’en paie. On numérote ses partenaires. On a son meilleur ami, celui auquel on livre le gros du paquet. On garde le petit en cas de désertion, les hommes sont changeants, on se sentirait coupable d’avoir tout dit à un seul d’entre eux. Il faut que chacun de nos amis se croie le premier, le seul, l’unique. Idem pour ces dames, qui, elles, savent au moins à quoi s’en tenir.
L’honnêteté manque de charme. Est rébarbative. N’a pas d’odeur. Mais cache quelque chose. Vous avez l’air honnête, donc vous ne l’êtes pas. On vous aura. Trop beau pour être honnête. Nous avons acquis une telle habitude de la saloperie humaine que, dès qu’un homme semble ne s’en prendre qu’à lui-même s’il a tort – ou raison – haro sur le baudet. qui finira bien, excédé d’être “méconnu”, par avouer, vendre la mèche, mais oui il est comme tout le monde, il faisait le malin, voyons. Il est désespérant d’oser être propre, c’est un genre qu’on se donne. Allons ! Rétablissons la vérité. Et les valeurs qui se doivent d’aller main dans la main, de bas en haut. Ne sommes-nous pas tous frères ?
L’honnêteté serait donc une activité clandestine, sans profit. Amaigrissante. Une activité de rongeur. L’homme, en voie d’honnêteté, s’il écrit, s’il s’engage dans la dure armée des lettres, c’est un hérisson. Sa prose gratte. Démange. Décrète entre chaque ligne à quel point il est tragique de ne pas frustrer le lecteur éventuel de son éventuelle liberté; il est regrettable qu’il faille s’appauvrir, quoique richissime – culpabilité, persécution ! – pour si mince résultat. Le lecteur trouvera tout simplement que la chose manque d’âme. (Dame, il s’y connaît, il en vend toute la journée.) Que l’œuvre est sèche, inhumaine. Il devrait être flatté qu’on s’en tienne aux renseignements, par égard pour sa possible intelligence des choses. C’est le contraire qui se produit. Le même lecteur choisira l’heure de la sieste pour apprendre les horreurs que débite la feuille de chou quotidienne. Mais il y en a tellement – d’horreurs, et vraies celles-là – qu’il sera tenté de croire que la littérature c’est France-Soir; qu’il y a je ne sais quoi d’effroyablement parodique dans cette insistance que mettent les journaux à nous détailler la misère du monde. Que le vrai devient faux à force de se répéter. Suffit. Parlez-moi plutôt du roman que je lirai ce soir, quand les enfants seront couchés. À l’heure de la culture. Sacrée. Il sera bien impatient, notre lecteur, de savoir si l’amant de la marquise de Beauséjour s’est enfin coupé l’index après avoir appris, au cours d’une partie de chasse, la trahison de sa maîtresse. Oui. Il l’aura fait. Que homme ! Bouleversant. Larmes à l’œil. Appel à l’âme, qui somnolait déjà. Cauchemars. Les collègues en entendront parler, demain, de la nuit passée à cause de ce terrible roman, vécu jusqu’au bout des ongles. Et lisez-le, il faut l’avoir lu, etc.
Oui, nous en sommes – toujours – un peu là, je ne pense pas exagérer. Alors comment en vouloir aux rares qui veulent redresser un peu la barre, quitte à faire perdre des plumes à l’aigle du langage. Qui évitent certains mots, comme autant de mines sur lesquelles ne pas sauter. Qui en cherchent de nouveaux, dans une langue difficilement traduisible, abrupte, pas aimable, mais énergique. Qui sont moins préoccupés des idées que de la place qu’elles occupent dans un cadre prémédité. Je sais bien pourquoi quelques critiques font la moue. Ils craignent la mort de la littérature. Celles sans les pantins de laquelle ils perdraient leur gagne-pain. Ils ont malheureusement tort d’avoir peur. Ce n’est pas pour demain.



Le bonheur est un devoir, etc. Et puis quoi, encore ?


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


À demain ?