Deuxième quinzaine de notre portrait en creux de Georges Perros, au départ de notes, de pensées diverses, d’enregistrements de ses textes ou de sa voix devisant, parfois…



On écrit parce que personne n’écoute.



Il criait “Dieu est mort” en se bouchant les oreilles.



Nos pouvoirs d’amour sont limités. Nous connaissons beaucoup plus d’individus que nous ne sommes capables d’en aimer, et c’est un peu ça, la société. Comme s’il était nécessaire de disperser, ou de partager en trente morceaux, ce que nous ne pouvons donner qu’à un. L’amour enlève un homme à presque tous ces amis.



Je gagne très peu d’argent, mais j’ai la mer, le ciel à ma disposition. Choses qu’on paierait très cher si justement, elles n’étaient pas gratuites. Comme j’ai horreur des vacances, j’ai trouvé beaucoup plus simple de venir, disons, camper, dût ma socialité en pâtir, où ces messieurs et dames aiment venir passer trois semaines, quand il fait beau. Quand le temps fait le beau. On me reproche, gentiment, ma solitude. Comme si j’étais seul ! Sans parler de ma vie privée, quelle drôle d’expression, je fréquente beaucoup. Pas du tout des gens dans mon genre. Pas question de littérature dans le coin. C’est bien le moindre de mes soucis. Si je ne suis pas capable d’être en train ici, alors tant pis pour moi. Ce n’est ni un pari ni une gageure. Pire que cela. Si je ne suis pas capable d’assumer, pour ainsi dire pléonasmiquement, ce que j’aime, alors, vive la mort. Aimer ce qu’on aime, quoi de plus difficile, de plus risqué, de plus fou ? Quoi de plus incompréhensible à tout semblable, auquel, hélas, on rend la pareille. Ce qu’on aime le plus au monde, qu’en peut-on faire face à autrui, sinon, à l’extrême rigueur, lui laisser deviner en toute franchise, et Dieu sait qu’il en faut pour atteindre, si peu que ce soit, celle de l’autre. Nous nous parlons, c’est vrai, et c’est nécessaire, mais plus on va, plus on vit, moins on se sent d’expérience, mot de jeune homme aux prises avec ses aînés. L’expérience, c’est se rendre compte que rien n’a changé. Il vaudrait mieux parler d’impatience. Si vous imaginez un homme ayant fait tous les métiers, saturé d’humain, et malgré tout frais comme né d’hier, alors vous approchez de l’expérience. Le drame de tout homme, c’est le scandale de la mort, c’est le rien qui manquera in æternum, qui fera qu’à l’addition finale, le dernier chiffre se sera fait excuser, pour raison de santé. Écrire, frénétiquement, ne veut pas dire autre chose. Bloquer l’œuvre, c’est ne pas admettre que l’homme de cette œuvre pourrait continuer.



Le besoin d’écrire revient comme une chance. Ou une maladie. Une chance de retrouver le paradis perdu. Une maladie, car plus on écrit moins on le trouve. Alors il est bien difficile de conserver l’énergie qui nous ordonne d’écrire, et de ne pas la perdre, la chose faite.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Ce sera tout pour aujourd’hui. Belle journée.
Et à demain ?