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De loin en loin

Ressentis, engagements, appropriations, révoltes, doutes, certitudes, réflexions…
Un peu de littérature aussi, de philosophie, d’écriture s’il se peut, de poésie.
Et de musique, on en a tellement besoin !
C’est dans cette approximative petite lucarne que verront le jour, périodiquement,
mais irrégulièrement sans doute, mes humeurs pas toujours égales.
Et s’il se pouvait que vienne y réagir l’une ou l’autre intelligence,
je ferai le trajet de n’en être pas peureux.

Belle découverte à vous !

Pense-bête (un autre jour, la nuit, peut-être)

Et ceci ?, Partages Posted on 30 janvier 2024 16 h 54 min

Quitter là où on ne se sent plus si bien qu’on aimerait.
C’est toujours comme ça, quitter.
Se le rappeler pour une prochaine fois.

Restent là quelques sourires, ce serait bien d’y croire.
Prendre congé comme on dit.
(se rappeler cette amie qui avait inventé le verbe conger).

Il fait une nuit prématurée.
Janvier encore. À sa limite, dans ses derniers retranchements.
Le ciel lambine à exclure,
nuages convoqués,
une lune qui ne s’en laisse pas conter.

Se dire que c’est étrange une lune.
Qu’on aimerait la partager.
En même temps, se souvenir que partager
n’est pas toujours compris comme on aimerait.
Du reste, la lune appartient – c’est dit – aux Américains.
Ne pas avoir envie de partager la lune.
Ni avec les Américains.
On ne partage pas ce qui appartient à tout le monde,
encore moins ce qui n’appartient pas.

Se mettre en marche vers le petit appartement
dans lequel nous attendent des habitudes
auxquelles tous les jours on répète
qu’il est grand temps qu’elles fichent le camp.
Dire adios à l’ordi sur le petit bureau près de le fenêtre,
à la non-écriture en même temps.
Dire adios à la bibliothèque rangée,
ne garder que les livres non lus – et encore ! momentanément.
Adios aux cd pas encore épuisés qu’on croit connaître par cœur
(et pourtant, John Coltrane, des centaines d’autres…)
Ne pas dire adios aux plantes, trouver des familles d’accueil.
Si on a un chat, le garder à tout prix avec soi près de soi.
Ne pas oublier qu’il peut ne pas vous aimer.

Regarder claudiquer la vieille fleuriste, celle du matin au marché
qui passe de table en table des cafés le soir.
La saluer.
Est-ce aujourd’hui qu’elle va mourir ?
On aurait aimé avoir quelque chose à lui dire.
Mais non.
On porte en soi si peu d’élégance.

Jusqu’ici, les habitudes n’ont fait encore que baisser les yeux.
Tout au plus ont-elles rougi un peu,
mais n’ont pas laissé libres les lieux.
Elles ont enfilé les charentaises qu’avaient quittées les aventures
pour devenir ce qu’elles sont devenues, des habitudes.
Cycle épuisé. Décès ante-mortem.
On fait ce qu’on peut.
Ce qu’on veut est une autre paire de manches.
Ce qu’on voulait, qu’on aurait voulu.

Le petit appartement n’est pas loin,
espérer l’espace libéré de tout ce fourbi qu’on trimballe
envers et contre soi.

Y arriver.
Rue Machin, numéro truc.
C’est là-haut. Troisième droit
D’abord, les escaliers.

Se dire qu’on a assez scruté les plis des corps et des gueules,
dans les gargotes, dans les bistrots, dans les brasseries, dans les bouis-bouis,
assez observé les allées et venues des systématiques kawas,
des p’tits blancs précoces à l’oreille basse,
des pastis dès l’aube embarrassés,
alors à cette heure-ci,
rentrer.

Quitter l’endroit donc.
Fatigué des évidences climatisées.
On ne sait pas.

Ranger dans le sac à dos
le volume de Kafka qu’on avait emmené,
l’appareil photo.
C’est lourd, l’appareil photo, ça pèse sur les lombaires.
Presque autant que Kafka plombé dans la caboche.

Dans les écouteurs, An die Musik, Schubert (Christa Ludwig)
Se demander “Comment faire face ?”
Laisser en suspension la question.
Souffler (je recommande, mais n’y arrive pas toujours…)

Se dire que malgré tout.
Se dire qu’on survivra.
À quoi ?

Deux pas sur le trottoir mouillé,
et déjà on a envie de n’y être pas.

S’ébrouer,
sortir de l’invigilance,
pour une journée, demain, qui ne durera que le temps d’une journée,
nous voilà rassuré.
Se demander si on n’est pas un peu lâche d’avoir pensé (tout) ça.
Quand le présent est passé il devient le passé.
Quand le futur est passé, il devient le présent.
Et ce n’est pas toujours un cadeau, un présent.
S’empresser d’oblitérer ce début de rêveuse lucidité.

Dehors,
jeter un œil au ciel qui bientôt doucement s’allumera,
quelques nuages naîtront roses si une mèche de soleil en vient à les allumer.
Ne serait-ce qu’un peu.
Constater de loin qu’un début de neige a blanchi le sommet du crassier.
Se dire qu’on ira,
y monter,
en sachant qu’on n’ira pas.
Se blesser de ce mensonge-là.
Les rêves sont-ils des mensonges qui ne parviennent pas à dire la vérité ?

Les mensonges sont des tessons pires encore
quand ils s’inventent pour vous mettre à l’abri.
S’en vouloir.
Trop vite se le(s) pardonner.
Souffler, comme s’il le fallait,
qu’on n’est pas des héros (ça va, ça va, on le savait !)

Effacer les culpabilités.
Se dire que c’est une mission qu’on ne pourra plus remplir.

Se prendre à espérer
que ce serait possible
d’espérer.
Y croire.
Ne pas toutefois se faire d’illusions.

Mais reprendre l’exercice du sourire.
À tout prix.
Celui de l’autre matin où on avait eu envie de danser.
Apprendre.
En rencontrer un autre, de sourire, ce serait bien.
Les sourires ont-ils un sexe ?
Regarder ceux qui passent,
à contresens passent.
Pas des masses. Pas ce soir.

Accepter.
Éviter de mépriser la gueule de mouchoir usagé
qu’ont ceux qui vont enfin aller se coucher
en attendant d’il va bien falloir se lever.

Guetter,
en remplacement des ostentatoires eaux de toilette,
les musiques muettes qui ne viendront pas.

Côté oreillettes,
on aurait aimé Carlo Gesualdo.
Oui.
Mais c’est souvent crépusculaire, Gesualdo, non ?
Hésiter. Ce venin.
Ce serait bien, Gesualdo, quand même.
Et pourtant,
Ravel ou Fauré, ce serait mieux sans doute.
Le trio de Ravel.
De la lumière pour regarder la nuit qui s’obstine encore un peu.
Ça pétille, Ravel, Fauré.

Dans pas longtemps,
quand les gens se réveilleront, ça basculera.
Les précipitations, les tramways,
les galopades pour ne pas les rater,
et ainsi de suite.
On voit.
Ça court, ça courra sans trop savoir pourquoi.
Ne pas rater l’heure au-delà de laquelle
il se fera trop tard pour arriver à l’heure.
Ç’est pas de la musique tout ça.

Dans mes écouteurs, ni Gesualdo, ni Ravel.
Different trains. Steve Reich.
C’est autre chose.
Sinistres navettes.
Pas d’heure pour ça.

Et puis, ce début de neige qu’on espère,
qui est là, en suspend, du côté du sommet du crassier, je sais, je l’ai dit.

Sur les camps,
où mènent les trains de Steve Reich ?
En même temps qu’on l’ignore, on ne veut pas le savoir.
Penser à Zone d’intérêt de Jonathan Glazer.
On mesure la légèreté de nos détresses.

Inconséquent,
ne pas vouloir trop s’attarder à la barbare houille de ces trajets-là.
S’échapper.

Dans les écouteurs : Circle in the round (Miles Davis quintet – 1967)
Une mystique lancinante, obsessionnelle, circulaire.
Coupable d’on ne sait quoi peut-être.
Mais naissante.

Faire mieux la prochaine fois.
Là, les escaliers interminables vers chez moi.

La prochaine fois, je sourirai.
Promis.
Ce serait dégueulasse, mais on n’échappe à rien.
Méfions-nous des promesses.


À bientôt ?



Pense-bête (pour un début de journée plein et réussi)

Et ceci ?, Partages Posted on 9 janvier 2024 17 h 24 min

Se lever. Il fait nuit encore, on est en janvier.
Se lever et sourire.
Sourire de pouvoir se lever.
Éventuellement, sourire d’avoir pu sourire (mais ça, c’est les philosophes).

Si on habite en ville,
après avoir jeté par la fenêtre un œil encore ensommeillé
sur le béton, la pluie, les bagnoles, les poubelles abandonnées, tout ça,
parvenir à sourire encore,
(un peu d’obstination ne peut pas faire de mal).

Si c’est la campagne, adapter,
on peut sans effort y croiser d’autres joyeusetés, pas toujours plus paisibles
(au hasard, des chasseurs, des tracteurs pollueurs, et les mêmes poubelles abandonnées…)

Réussir à sourire donc, s’en créer si ce n’en est le désir, disons le devoir.
Dans les deux cas,
possibilité d’en ressentir quelque fierté.
Sourire donc, mais avec modestie,
sans avoir l’air de, ni de, vous voyez.
L’éclat de rire, de même que le fou rire seraient vulgarité.
Bomber un peu le torse (c’est une option),
sans exagérer
(on est encore nu, ou en pyjama, ou allez savoir, et il fait froid, le chauffage n’a pas fait encore son ouvrage…).
Ne pas hésiter, pour s’aider, à faire appel à quelque musique.
Éviter les Lacrimosa, Remember me, et autres L’ho perduta… me meschina.
Les garder sous le coude pour les fins de soirées.
Là, c‘est l’aube. Se dy-na-mi-ser !
Je conseillerais Sing Sing Sing (Louis Prima / Benny Goodman – 1936)
pendant que le café tarde alors que les tartines d’impatience frétillent.
Et si l’espace le permet, oser un petit pas de danse. C’est bon pour le moral.
Et pour les jarrets.
Ne pas oublier que, de l’immeuble d’en face, on peut vous épier.
Du reste, vous même…
Soigner tout ce qui peut se montrer.

Liberté pour le choix des confiture, pâte chocolatée ou crème d’amande; on est des adultes, merde !

En face, de l’autre côté de la rue Buisson, des identiques font le même trajet.
Pain toasté (peut-être croissants, allez savoir), confiotes de toutes sortes, thés rares…
C’est toujours mieux ailleurs.

Sous la douche, se rappeler les dernières pages de Kafka lues hier soir.
Où en était-on déjà ? Est-ce que Josef K. sait enfin pourquoi ce procès lui est fait ?
Quel procès ?
Ne pas s’interdire de chantonner.
Chanter serait excessif, trop cinéma, trop Yves Montand période américaine, Marilyn, tout ça.
Et puis, faut pas rêver, est-ce que votre état vous autoriserait ça ?

Tentation de se “tenir informé”.
France culture, France Musique, France Info, toutes ces sortes de choses… Naaan !
Tu vas pas bousiller tout ce que tu as fait ce matin pour aller bien !
Le sourire, la musique, le petit pas de danse, le kawa, la confiote, la douche, Kafka, les voisins d’en face…
Attendre encore un peu.

Sortir, se promener, aller boire un café chez ou au.
Il sera toujours temps de constater les dégâts.
Jamais timorés les dégâts.

Je sors.
Le quartier lentement fait mine de s’animer.
Les tronches sont celles des autres jours. La mienne aussi.
Bientôt il fera jour.
Déjà il pointe un début de nez.

Le papier et l’Internet
me rappellent qu’il fait une insupportable nuit.
Et j’ai envie de courir
sous la neige qui s’est mise à tomber.
Prouver que tout ça n’est pas si triste.

Je commande un second café.



Hasard et circonstances

Et ceci ? Posted on 23 avril 2023 17 h 23 min

Il y a cet homme-là, à cet endroit-là.
Pourquoi regarde-t-il ce qu’il regarde ?
Et que regarde-t-il ?

On ne se posera pas ici la question du “qui est-il ?”
Inutile.

Il est ce qu’il est.
Lui seul
et, à la fois, tout le monde, pense-t-il.

Il songe à ce qui l’entoure.
À ce qui l’emportera.
Rien n’est sûr.
Il ne sait pas.
Cherche parfois à savoir.

Il y a autour de lui,
des conversations qui pourraient l’éclairer, tout ça,
qu’il entend,
qui le font se dire que.

Il écoute parfois.

Il abandonne souvent.
C’est inutile, se dit-il.

Se dit que c’est ridicule,
tous ces emportements
qui l’empêchent.
Ça marche, ça hurle, il y a même des blessés.

Mais il ne sait pas.
se dit que c’est normal
de ne savoir pas.

Il essaie de regarder.
À la ronde. Quand ça se présente.
Mais non.

En même temps,
on ne peut pas faire autrement.

Alors, il sort,
va offrir sa présence
(il ne sait pas encore que c’est sa colère)
à la rue,
à des comme lui qui n’en peuvent plus.


Et il découvre que ces gens-là,
qui hurlent de douleur,
c’est lui,
qui ne sait pas trop ce qu’il regarde,
pas trop de qu’il entend,
pas trop à quoi
il se cogne.
Mais qui sait, nom de Dieu !
que rien de tout ce qui lui arrive
ne peut lui être indifférent.



À bientôt ?



Doux soupçon

Et ceci ?, Partages Posted on 25 septembre 2022 14 h 52 min

Découvert ce pochoir sur différents trottoirs de la ville.
Ça m’a fait un peu de bien.
Comme une interpellation bienveillante.
Un appel à se regarder les uns les autres.

C’est tout.



À bientôt ?



Les absents ont toujours tort ?

Et ceci ? Posted on 11 mai 2022 12 h 34 min

On est au Parlement européen.
Le débat porte sur la notion d’État de droit exigée par l’Union européenne.
Sur la démocratie. Trois fois rien donc.

La France brille par son absence alors même qu’elle préside l’Union européenne
pour encore quelques semaines.
Il nous est dit que
« La présidence avait indiqué au Parlement européen que,
en raison de contraintes liées à son agenda,
la France ne serait pas en mesure d’envoyer un représentant au débat »

Absence décidée, c’est-à-dire tactique ? ou réelle impossibilité ?
Déni sous-jacent de démocratie ?
On est en droit de se poser la question.

Quoi qu’il en soit, la présidence absente d’un tel débat, ça fait tache.
C’est comme un abandon, comme une lâcheté. Je me trompe ?

Peut-être les absents
– la macronienne France en l’occurence, habituellement si disserte,
si implacablement dogmatique dès lors qu’il s’agit de débattre du Droit,
toujours si sûre d’elle quand il est question de démocratie –
s’estiment-ils par essence-même, c’est-à-dire par arrogance,
au-dessus du débat ?

Il aura fallu, pour qu’on s’en émeuve (mais, avouons-le, pas grandement !)
que l’eurodéputée suédoise Malin Björk de Die Linke (La Gauche)
ose l’ironie, le théâtre en quelque sorte, et serve de révélateur
à une absence qui, même excusée par les absents eux-mêmes,
n’est en aucun cas excusable.

Merci à elle !



Deux blanches pour une noire…

Et ceci ? Posted on 27 mars 2022 22 h 27 min

Photo : Nona Faustine


C’est donc une femme.
Noire et escarpins blancs.
Qui marche, décidée.
C’est une fierté qui semble n’avoir pas de doutes.
Détail : elle est nue.
Une longue étole, c’est tout. Sur les épaules.
Autre détail : c’est dans une rue de New York.
Elle traverse la rue.
Rien d’autre que son trajet n’existe.
Callipyge noire aux blancs talons.

On se dit :
Dieu, qu’elle est belle ! Dieu, que c’est beau !
On voit le trajet, on voit le parcours.
En voit-on autre chose que la folle beauté ?

C’est une révolte.
C’est toujours à la fois beau et belle une révolte !
Il y aurait tant et tant à dire de l’esthétique des révoltes.
Ce n’est pas ici le sujet.
Ce sera pour une autre fois.

On en restera là de la description.
L’important ici est ailleurs.
Et il est important.

Nona Faustine est photographe.
Elle parcourt les États-Unis.
Elle s’y photographie, presque toujours nue.
Ah bon ?
Mais jamais n’importe où,
jamais n’importe comment,
jamais pour n’importe quoi.
Le hasard, ici, n’existe pas.
La sincérité ne connaît jamais de hasard
(ou alors, c’est tellement beau).

Elle affiche sa vérité
(qui n’est rien d’autre que celle qu’on n’entend pas),
celle des femmes,
celle des femmes noires,
celle sans doute aussi des hommes et des femmes,
blancs ou noirs,
qui veulent ouvrir les yeux.
Ici, c’est principalement celle de ceux
qui ont connu,
même de très loin (mais c’est toujours trop près),
la servitude des muscles
et d‘un droit qui n’aurait dû avoir aucun droit,
le code noir de l’esclavagisme.

Elle s’affiche nue,
et elle affirme
qu’elle n’a nul besoin
d’autre chose que ce qu’elle est
pour imposer aux hommes et au monde
sa réalité.


Nona Faustine est photographe.
Et pas des moindres.
Elle se photographie, nue le plus souvent donc,
dans des lieux emblématiques de l’ignominie raciste,
histoire, sans doute, de se montrer telle que nous sommes,
face au mensonge des discriminations.
Résistante.
Je suis telle, crie-t-elle.
Et sans doute aussi tant pis pour vous.

Ses « autoportraits »,
elle les fait dans ces lieux
qui n’en finiront jamais de respirer
les relents de la lutte des droits de ce qu’on appelle,
(parce qu’on est pauvres et un peu crétins,
et un peu dépourvus de langage, et un peu étriqués du ciboulot)
les noirs.

Noire, elle l’est, Nona Faustine.
On ne fera pas mine de ne pas le savoir.
Et, qu’on s’en fiche ou qu’on adore
on aura toujours tort.
Elle est cette femme qu’aucune autre femme
ne pourrait remplacer.
Son cri, sa détermination, en revanche…

Noire aux souliers blanc.
Deux blanches pour une noire.



On peut découvrir ou retrouver les photos de Nona Faustine dans le livre qui leur est consacré :
White Shoes” de Nona Faustine (Editions Mack, 117 pages)



Paroles de flic

Et ceci ? Posted on 19 décembre 2020 10 h 00 min

Lu ceci, dans mon Libé quotidien.
La lettre ouverte d’un flic.


Quoi ? ce blog se fait le relais des paroles d’un flic ?
Mais où va-t-on ?


Lisons plutôt.
Loin de moi l’idée de voler au secours d’un pandore.
Simplement, il me semble que sont dites là quelques petites choses qui donnent à réfléchir.

Bonne lecture à vous.




Je suis flic et j’ai des choses à vous dire…

J’exerce la profession de gardien de la paix depuis une quinzaine d’années. Gardien de la paix, à la base, c’est le flic en bleu que les citadins peuvent croiser en de multiples occasions. Je pourrais être celui qui contrôle l’identité d’un jeune dans le métro, celui qui fait la circulation, celui que vous appelez parce que la dispute est devenue violente, celui qui vient constater des dégâts ou faire cesser une infraction, parfois aussi celui qui accompagne une manifestation, ou participe à la répression d’une émeute, répond au 17 pour vous secourir, vous rassure, vous empêche, vous énerve ou vous sauve… Le flic de base en somme, banalement au service d’une institution aux missions multiples et à la réputation exécrable, à tort et à raison.

J’ai des différentes choses à dire à certaines catégories d’entre vous.

A mes collègues, je voudrais dire qu’il ne faut pas oublier que policier, c’est notre métier, pas notre définition, pas notre identité. Ce n’est pas un camp, ni un sacerdoce. C’est un métier, un gagne-pain que vous avez choisi pour des raisons multiples mais qui n’a pas à devenir idéologique ou dogmatique.

Nous avons le droit de l’aimer pour ce qu’il comporte de dévouement, de courage, de profondeur dans l’immersion sociale. Nous avons aussi le droit de le détester lorsque nous subissons ses revers, la haine de certains, la suspicion de beaucoup, l’instrumentalisation de quelques-uns, la bêtise humaine omniprésente. Nous avons aussi le droit de revendiquer un minimum de qualité de vie et de sécurité au travail, certes.

Mais au final, on nous donne un salaire pour accomplir une mission définie par la collectivité. Nous sommes légitimes et compétents pour exécuter ces tâches, et peut-être avons-nous une expertise pour aider à concevoir nos missions, mais nous restons des exécutants.

Quand la tenue et le flingue sont au vestiaire, nous sommes aussi des citoyens, et nous avons alors comme tout le monde, ni plus ni moins que tout le monde, le droit de participer aux choix collectifs qui deviendront un jour nos missions. Vous et moi ne sommes pas légitimes pour autre chose que pour cela, c’est un métier, pas un mandat, respectons ça et cessons d’avoir des revendications en forme de programme politique. Nos revendications doivent être tournées vers les décideurs, pas vers les citoyens, donc, amis syndicalistes, calmez-vous !

Si vous ne vous sentez pas capables de rester neutres, parce que votre idéologie personnelle, votre éthique ou vos sensibilités politiques deviennent irrépressibles, pensez bien avant de parler qu’en vous entendant on pensera nous entendre tous, et que certains d’entre nous ne l’acceptent pas, et préférez la démission si le mal est trop profond !

A ceux qui pensent que je suis leur ennemi, et qui valident le premier «A» du célèbre graffiti [référence au graffiti ACAB, «All cops are bastards» en français «tous les policiers sont des bâtards», ndlr] je dirais ceci : les fonctionnaires quels qu’ils soient sont peut-être la seule cible accessible du pouvoir que vous souhaitez affronter, mais sachez que les coups que nous recevons ne se répercutent pas sur vos cibles, que notre loyauté envers les institutions est un rempart contre l’arbitraire et qu’un policier illégitimement violent est un délinquant, pas un porte-parole, et que si notre profession nous déshumanise à vos yeux, vos injures ont le même effet que les causes que vous pensez combattre.

Aux rares personnes qui croient encore que nous sommes, ou devrions être, des héros, sachez que nous travaillons contre de l’argent et que nous ne sommes ni des militants, ni des activistes, ni des bénévoles associatifs. Nous avons peur souvent, nous échouons parfois, commettons des erreurs. Cela n’exclut pas l’abnégation dont certains d’entre nous parviennent à faire preuve, mais il n’est pas certains qu’il en faille plus pour être policier que pour tenir la caisse d’un hypermarché un samedi de décembre, vider les poubelles, enseigner, construire… Il est vrai que servir la collectivité est gratifiant, mais qui parmi les travailleurs divers et variés ne le fait pas ?

Aux femmes et aux hommes politiques présents et passés, je dirais que si le moindre d’entre vous avait la véritable intention de «réparer» le lien entre la population et sa police, il commencerait par expliquer que nous répondons à des ordres, à vos ordres donc ou, par l’intermédiaire d’une hiérarchie qui n’a que la fonction de vous traduire, à l’application de vos consignes et de vos stratégies. Il ne devrait pas être nécessaire d’approuver vos choix pour accepter le travail de la police.

Vous devriez donc vous lever et demander à être tenu pour responsable du résultat de vos politiques. Non pas que vous ayez à répondre du comportement déviant dont l’un d’entre nous peut ponctuellement se rendre coupable, mais vous êtes responsables par définition ! Du climat social qui génère les manifestations et les émeutes, du délitement d’une société qui ne comprend plus nos actions, de l’absurdité de notre organisation, de la faiblesse des réponses que vous apportez aux problèmes de certains et de la trop grande brutalité que vous réservez à ceux qui vous contestent. Je crois en la loyauté totale des fonctionnaires, et loyaux la plupart le sont, mais c’est à la démission que vous nous pousserez en nous instrumentalisant.

Aux journalistes je dirais, filmez-moi, photographiez-moi, parlez de moi, mais n’oubliez pas que vous observez des outils institutionnels, pas des miliciens idéologisés, et accessoirement des hommes et des femmes, pas des animaux de foire. Montrez vos images à nos juges, aux citoyens aussi pour qu’ils puissent juger des décisions de leurs représentants. Nous sommes nombreux à ne pas nous sentir agressés par votre travail, et nous regardons vos témoignages aussi, avec curiosité, stupéfaction, avec honte parfois, mais sachez que nous aussi jugeons les actes de nos collègues, avec une acuité professionnelle d’autant plus dure qu’elle n’ignore rien de la réalité. Nous devrions même participer, aider à votre travail.

A mes futurs collègues, vous qui aspirez à devenir flic, exercez-vous à souhaiter le calme et non l’action, appliquez-vous à ne pas vous couper de tout ce qui est extérieur à votre profession, et acceptez d’avance que votre opinion n’a aucun rôle à jouer dans votre future fonction. Apprenez bien les règles, les lois et les fondements démocratiques de notre société, appliquez les mieux que vos chefs. C’est à ces conditions que vous ne deviendrez pas l’instrument aveugle d’un pouvoir qui pourrait dériver, que vous ne deviendrez pas l’absurde connard que vous avez sans doute déjà croisé, que vous minimiserez vos chances de devenir une cible ou un symbole car aucun n’est acceptable, et que vous éviterez de venir grossir la rubrique des policiers morts pour rien, dans un vestiaire dégueulasse, un soir de déprime dans une ville loin de chez vous. Personne ne prendra ces responsabilités à votre place.

Il est possible d’être un policier consciencieux faute d’être irréprochable, loyal mais pas aveugle, serviable sans être corvéable, courageux mais pas suicidaire. J’essaye de faire cela, et il appartient à chacun d’entre nous de le faire.


Stéphane Romain, policier



C’est qui, l’intrus ?

Et ceci ? Posted on 3 décembre 2020 17 h 14 min



Une photo. D’un lieu. Une fable à elle seule.
Et si le destin du prédateur était d’être tôt ou tard à son tour avalé ?

Photo Eric Tabuchi et Nelly Monnier



À cette visuelle fable, quelle morale ?
Il n’est pas interdit de s’en poser la question.



À bientôt ?



Dress Code

Et ceci ?, Révoltes Posted on 24 novembre 2020 13 h 48 min


Étrangement déguisés,
ces hommes qui ont
– comme il nous est dit –
pour mission de nous protéger, non ?

Lors d’une manifestation des gilets jaunes, dans le quartier de La Défense, le 8 avril 2019. Photo Émilie Royer


La question qui se pose,
c’est pourquoi vouloir obliger les rédactions des quelques journaux
qui tentent encore de nous informer
de flouter les visages de ces tendres gardiens de nos tranquillités ?

Pour ne pas qu’on les reconnaisse ?
Ils ne sont pas encore assez anonymes,
assez méconnaissables ?

On rêve !
Et puis, pourquoi ne reconnaîtrait-on pas nos héroïques bienfaiteurs
à l’heure où on aimerait tant les remercier ?

Mystère.
Ou alors je n’ai pas très bien compris…



Des bouteilles à la mer quand on craint qu’il n’y ait plus de mers…

Et ceci ?, Révoltes Posted on 3 novembre 2020 16 h 12 min

03 novembre 2020.
Élection présidentielle américaine.
Un espoir. Sans commentaire.
Le commentaire est dans l’espoir…

Mon amie Gaëlle, m’adresse ceci, reçu d’une autre,
qui l’a sans doute reçu d’une autre encore….
Sûr qu’on ne sera pas les seuls.
Mais ça fait du bien.
Sauf à imaginer le pire, demain.
Et puis après…

Nous verrons.





Mais d’où vient ce qui m’advient ?

Et ceci ? Posted on 13 septembre 2020 11 h 15 min

Quand Ferdinand Chabre, ce matin-là, était sorti de chez lui,
il ne faisait plus encore nuit ni déjà matin.
C’était à la fois comme un espoir d’en sortir
et un désir de s’en contenter.
Pas très clair, tout ça, s’était-il dit.
Brumeuse incertitude.

D’autant que s’il s’était, à cette heure matinale, difficilement levé,
c’est parce qu’il avait été convoqué.
Con-vo-qué.
C’est quoi, ce mot ? aurait pu s’exclamer Ferdinand Chabre.
Mais non, pas le genre.
On accepte. On baisse les yeux. Ce qu’il en reste.
Sans pour autant qu’il n’en reste rien, bien sûr.

Document officiel, sans âme, je ne vous apprends rien :
“masque obligatoire”.
Vous voyez le genre.
Je suis sûr que vous voyez.

C’était plutôt bien, s’était-il dit,
qu’enfin le masque fût ainsi avoué.
Ça faisait tant et tant de temps qu’il les percevait, les masques.
Il les voyait partout,
pas seulement dans les mondanités où depuis toujours ils vaquent obligés.
Partout.

En fait, les masques, jusque-là, avaient toujours couru masqués,
tant et si bien qu’on ne les voyait pas.
Et Ferdinand Chabre ne faisait jusque-là que les supposer.

Il fallait soudain les montrer, les afficher
et donc, les avouant, se désavouer.
Cachez ce sourire !
Cachez, ce désaveu, cette moue, cette grimace
que je ne saurais voir !

D’une certaine manière, c’était bien,
tous pouvaient sourire sans que ça se sache.
A contrario pleurer semblait toujours interdit,
et beaucoup plus visible.
On n’avait pas caché les yeux. Pas encore.
Le bonheur.
On n’aime tellement pas du tout voir pleurer le gens.
Ça nous ramène.

Tout avait changé; mais rien.

Ferdinand Chabre ne doutait pas de la nécessité du masque;
une sorte de peste avait envahi la ville.
Simplement, il était très surpris des mots que les autorités avaient choisis
pour en justifier l’obligation.
Protégez-vous, vous protégerez les autres”, le laissait pantois.
Les autres.
C’était bien la première fois qu’on nous suggérait d’y penser.
Pourquoi pas solidarité, tant qu’ils y étaient ?

Bon, c’est pas tout ça,
Ferdinand Chabre avait été convoqué.
Masqué. Ça lui avait été intimé.
Et, à cette convocation-là il se rendait.

Réunion de fantômes avertis.
Pas si rares qu’on aimerait, les affidés du Pouvoir et de la Peur.

Examen, test.
Puis, trois jours.

Vous êtes positif”.

Vous vivez seul ?
Vous avez vu qui ?
Longtemps ?
Combien de temps ?
Vous pouvez ne pas répondre,
mais si on veut savoir, c’est pour le bien des autres.
Vous comprenez ?

Les autres, encore une fois.

Silence.

Positif, donc.
À cette nouvelle peste qui si souvent,
à travers vous et vos imprudences,
gâche la vie des autres.

Ferdinand, aujourd’hui, est un de ces autres.
Ça lui est dit.
Si tout le monde, Monsieur Chabre, était comme vous, obéissant,
vous n’en seriez pas là.

L’enfer, vous voyez, c’est les autres, ceux sans masque.
Tôt ou tard ils seront démasqués

et auront à le regretter.

Les autres sont vite devenus à la fois ceux qu’il faut protéger de soi
et ceux dont nous devons nous protéger.
Vertige.

Vertige, se dit Ferdinand Chabre
en même temps qu’il se pose une question :
Qui ?
Pas pour répondre à la question posée par les autorités, non.
Pour répondre à la question qu’il se pose, lui à lui :

Par qui donc ai-je,
dans mon sommeil sans doute (sinon où ? je ne vais jamais nulle part, ne croise presque personne) –
pu être ainsi empoisonné ?


Comme une femme qui découvre au réveil
qu’elle a été durant la nuit
violée.
Par qui ? Comment ? Pourquoi ?”
Et “De qui dois-je à partir d’aujourd’hui me méfier ?

Ferdinand Chabre sait que ce n’est pas pareil, bien sûr.

Mais l’incertitude ?

Et il découvre que
à l’intérieur de lui,
naît, en même temps qu’une méfiance,
une honte.

Mais de quoi ?

De quoi ?



Pour que le soleil de l’été nous fasse un peu moins d’ombre

Et ceci ?, Partages Posted on 28 juillet 2020 19 h 43 min

Est-ce le soleil qui traditionnellement nous suggère un triste farniente ?
Seraient-ce les fatigues, les habitudes prises d’entrevoir juillet puis août
comme autant d’indolences, d’alanguissements, d’assoupissements ?
Allez savoir, mais on s’en fout !

Il me vient aujourd’hui, allez savoir pourquoi,
l’envie de partager avec vous un texte vieux de 85 ans.

Je dis « un texte », mais ce n’est pas d’un texte qu’il s’agit,
c’est un cri, une colère ;
une colère qui n’oublie en rien le déploiement de sa propre logique,
celle d’un homme qui a choisi d’aller au bout de sa douleur.
Difficile d’y résister.
D’autant qu’il nous force à réfléchir à nos propres réticences,
à nos propres refus des différences ;
d’autant qu’il nous apprend à hurler
avec la douleur qui est la sienne
mais dont on sait à l’instant même de ce hurlement
qu’il est avant tout le nôtre.
Et qu’on n’a dès lors pas à le singer.
Inconnu.
Jusqu’alors insenti, si j’ose dire ça comme ça.

C’est au prix souvent d’un regard dans le rétroviseur
qu’on prend la mesure de nos très relatives modernités.

Le contexte.
On est en 1935.
Un homme n’en finit pas.

Antonin Artaud,
poète, écrivain, comédien, metteur en scène,
théoricien du théâtre, dessinateur de génie
(son autoportrait ci-dessous s’en veut témoin)
volontiers peintre aussi, philosophe à rebrousse-poil,
pousseur de cris qui en valent la peine…
mais ne sont jamais entendus,
Antonin Artaud, oui,
qui n’en finit pas, n’en a jamais fini
de hurler que la vie est oblique,
et que nous ne faisons qu’obéir aux Totems
qui nous massacrent.
Ah nom de dieu !

Alors, ce texte que je vous promets,
alors, cette désespérance bouffée de la hargne
qui refuse d’obéir
à ceci, à cela, à n’importe quoi,
le voici,
le voilà.

C’est une lettre.
Elle est adressée « aux médecins-chefs des asiles de fous ».

C’est donc en 1935.
Il faudrait savoir. Mais les hurlements n’ont pas d’histoire.
On en parlera ?

Interné de force, Artaud écrit, hurle, cette lettre.

On réfléchit, on tremble.
Voilà :


Messieurs,

Les lois, la coutume vous concèdent le droit de mesurer l’esprit. Cette juridiction souveraine, redoutable, c’est avec votre entendement que vous l’exercez. laissez-nous rire. La crédulité des peuples civilisés, des savants, des gouvernements pare la psychiatrie d’on ne sait quelles lumières surnaturelles. Le procès de votre profession est jugé d’avance. Nous n’entendons pas discuter ici la valeur de votre science, ni l’existence douteuse des maladies mentales. Mais, pour cent pathogénies prétentieuses où se déchaîne la confusion de la matière et de l’esprit, pour cent classifications dont les plus vagues sont encore les plus utilisables, combien de tentatives nobles pour approcher le monde cérébral où vivent tant de vos prisonniers ? Combien êtes-vous par exemple, pour qui le rêve du dément précoce, les images dont il est la proie sont autre chose qu’une salade de mots ?

Antonin Artaud – Autoportrait – 1946


Nous ne nous étonnons pas de vous trouver inférieurs à une tâche pour laquelle il n’y a que peu de prédestinés. Mais nous nous élevons contre le droit attribué à des hommes, bornés ou non, de sanctionner par l’incarcération perpétuelle leurs investigations dans le domaine de l’esprit.

Et quelle incarcération ! On sait – on ne sait pas assez- que les asiles, loin d’être des asiles, sont d’effroyables geôles, où les détenus fournissent une main-d’œuvre gratuite et commode, où les sévices sont la règle, et cela est toléré par vous. L’asile d’aliénés, sous le couvert de la justice, est comparable à la caserne, à la prison, au bagne.

Nous ne soulèverons pas ici la question des internements arbitraires, pour vous éviter la peine de dénégations faciles. Nous affirmons qu’un grand nombre de vos pensionnaires, parfaitement fous selon la définition officielle, sont eux aussi, arbitrairement internés. Nous n’admettons pas qu’on entrave le libre développement d’un délire, aussi légitime, aussi logique que toute autre succession d’idées ou d’actes humains. La répression des réactions antisociales est aussi chimérique qu’inacceptable en son principe. Tous les actes individuels sont antisociaux. Les fous sont les victimes individuelles par excellence de la dictature sociale ; au nom de cette individualité qui est le propre de l’homme, nous réclamons qu’on libère ces forçats de la sensibilité puisque aussi bien il n’est pas au pouvoir des lois d’enfermer tous les hommes qui pensent et agissent.

Sans insister sur le caractère parfaitement génial des manifestations de certains fous, dans la mesure où nous sommes aptes à les apprécier, nous affirmons la légitimité absolue de leur conception de la réalité, et de tous les actes qui en découlent.

Puissiez-vous vous en souvenir demain matin à l’heure de la visite, quand vous tenterez sans lexique de converser avec ces hommes sur lesquels, reconnaissez-le, vous n’avez d’avantage que celui de la force.



À bientôt ?


PS.: cette lettre mériterait bien plus de folie que là.
J’y arriverai peut-être. Un jour. On verra.



Abandon vs utopie ?

Et ceci ?, Partages Posted on 9 mai 2020 11 h 15 min

Il y a eu, ces dernières semaines, cette espèce d’espoir.

Il se disait que quelque chose serait, au sortir de cette sanitaire crise,
un peu moins pourri.
Il se disait que l’homme, les gouvernements, les systèmes
prendraient conscience
que l’homme ne pourrait plus grandir avec ces gouvernements-là,
avec ces systèmes-là.
Et, peu ou prou, on en arrivait à se dire
qu’il y aurait un mieux après le désastre
(qui, en tous cas, nous fut présenté comme tel…)

Du moins l’espérait-on.

Les annonces présidentielles, ministérielles, gouvernementales semblaient évoquer,
au travers d’aveux certes un peu masqués,
qu’il nous faudrait à l’avenir “reconsidérer”
l’importance de l’humain dans notre si belle société,
lui redonner une place qu’il avait perdue,
ou, plus exactement,
qu’une organisation sociétale basée exclusivement sur la finance,
lui avait déniée…

On tiendrait compte,
était-il clamé, dans un mea culpa déguisé en prise de conscience,
du fait que « tout ne saurait être soumis aux lois de la finance« .
C’était une erreur, nous était-il dit, de penser que le service public
pouvait se gérer, comme une entreprise,
qu’il se devait, lui aussi, d’être soumis aux lois de la rentabilité.

Bien !
On pouvait donc espérer qu’un peu de bien surgirait de tant de mal.
On a tellement envie de croire à ces choses-là.

Mais d’où vient, à deux jours du déconfinement, que cet espoir nous semble
de plus en plus un leurre ?
Peut-être les circonstances, inconnues jusqu’alors de chacun d’entre nous
– je veux parler
de notre assignation à résidence,
de cette liberté surveillée à laquelle nous avons dû nous soumettre –
nous avaient-elles brouillé un peu l’esprit et, partant, notre sens critique.
Tout était si nouveau.
Une nouvelle solidarité semblait soudain unir un certain nombre d’entre nous.
Mais surtout, l’ennemi que nous devions affronter était, croyions-nous,
le même pour tous.
Nous en voulions pour preuve que son nom était sur toutes les lèvres,
des nantis comme des plus pauvres,
des intellectuels comme des plombiers zingueurs,
des blancs bourgeois comme des rappeurs,…
et il rejetait en seconde zone, pour cause d’urgence, les injustices et le mépris
d’un gouvernement qu’une frange d’entre nous combattait jusque-là.

Préoccupés par notre santé,
nous avions besoin de croire en des lendemains plus vertueux,
et c’était rassurant d’y croire.
En fait, pris de peur, nous ne faisions que baisser la garde.
Un ennemi chassait l’autre. Tout simplement.
Ou l’occultait momentanément.

Mais le temps confiné s’est fait long.
Et lentement nous avons repris nos esprits.
Nous avons changé de grille de lecture.

Et nous avons, en plus du virus,
retrouvé l’initial ennemi, les glaçants marionettistes qui nous gouvernent,
repris conscience de l’autoritarisme
d’un pouvoir qui, s’il prenait volontiers un visage plus humain,
le faisait pour cacher toujours la même grimace,
celle des experts financiers, des cyniques, des méprisants,
des « au-dessus des lois”,
des menteurs professionnels…

Il va falloir rester vigilants,
Ne pas accepter que les privations de liberté se retrouvent gravées
dans le marbre d’une Constitution à notre insu détricotée.
Vaste programme. Obligatoire cependant.

J’en reste là, pour aujourd’hui.

Mais je relaie ici cette vidéo.
Elle complète – et de quelle manière ! – l’âme de mon propos.



À bientôt !



Éloge du doute

Et ceci ?, Révoltes Posted on 26 février 2020 12 h 28 min


Il y a cette nécessaire possibilité du doute qui aujourd’hui
– quand bien même on en entreverrait encore la saine nécessité –
se débine.

C’est que, dans ce qu’on nous présente comme le nouveau monde,
les certitudes sont dogmatiques,
et elles seules doivent, semblerait-il, nous guider.
Une nouvelle irréfutable bible, une monarchique liturgie,
des vérités de classe nous sont non pas proposées mais assénées
avec ordre de ne pas en sortir.
Pas une dictature bien sûr, mais une évidente propension à un autoritarisme
qui pourrait s’en révéler l’antichambre.

Il y a dans l’air du temps comme une obligatoire acceptation
de ce qui nous est imposé.

Les idées ont oublié d’en être et sont devenues des faits
qu’on veut déterminés, indiscutables, irrévocables.
Quitte à tordre le cou à la plus élémentaire des analyses,
elles cessent d’être des projections, ne sont plus des sujets de réflexion.
Elles ne se présentent plus que comme d’indéfectibles vérités.
Inutile de vouloir les jauger, en discuter.
Elle sont le fait du Prince et de sa servile cour d’ânonnants
chargés de nous dire et répéter où est dans le bien le mal
et où, par-dessus tout, dans le mal le bien.
Et nous voilà réduits (voudraient-ils) à ce triste catéchisme
de savoir sans renâcler ce qui, selon que le grand maître,
et les petits qui le suivent, sera bon ou mauvais pour nous,
avec pour critères qui décideront de ce bien-être
les ceci leur feraient du bien et les cela du mal.

Aux caniveaux, les questionnements, les interrogations.
Trêve de ces philosophies qui préféreraient aux réponses les questions.

Et si un doute nous vient, immédiatement le voilà suspect.

Parce que la tendance du jour est à la certitude.
Et que celle-ci ne peut nous être inoculée que par les néolibérales contraintes.

Ainsi nous est-il prétendu, contre vents et marées,
que seule une consommation toujours plus gourmande
pourra venir à bout de nos détresses…

On apprend aussi qu’acheter deux voitures sera toujours mieux
que n’en acheter qu’une;
le pire étant, pour sûr de n’en acheter pas.
Deux yaourts plutôt qu’un.
Un smartphone pour en remplacer un autre qui n’en a pas besoin…
Consommer.
Au détriment de la planète ?

Il se trouve qu’insidieusement ou, selon les cas,
avec de gros sabots,
il nous est suggéré que notre modèle
(celui auquel il est bon que nous nous pliions)
génère en lui toutes les vertus.
Et, par-dessus tout qu’il est le seul possible, le seul viable.
En douter serait une hérésie.
Une certitude en boucle assénée.

Et peu importe que ce modèle creuse chaque jour davantage
le fossé qui existe entre les plus riches et les plus pauvres,
puisque c’est au service des plus riches
que travaillent les gouvernements,
impatients que sont leurs dirigeants
de rejoindre leurs rangs.

S’assurer que les pauvres restent pauvres
(voire le deviennent plus encore),
c’est promettre aux très riches de le rester
(ou de le devenir encore plus)
afin, un jour, de pouvoir en rejoindre
la très sélective petite famille.
Au prix d’une définitive inhumanité.


À bientôt ?


Quelques lectures :

Sur le contrôle de nos vies – Noam Chomsky – Éditions Allia
Éloge de l’oisiveté – Bertrand Russell – Éditions Allia
Impliquons-nous (Dialogue pour le siècle) – E.Morin & M. Pistoletto – Actes Sud



Autruches, on triche !

Et ceci ?, Partages Posted on 11 janvier 2020 14 h 59 min

Franz Kafka, Georges Orwell, et quelques autres nous ont parlé de nous.

Amoureux de dénis en tous genres,
adoptant volontiers la posture des autruches,
nous nous sommes attachés à croire qu’ils parlaient des autres,
d’une autre société vers laquelle, certes, nous dérivions sans doute,
mais n’exagérons pas tout de même, nous disions-nous,
ce n’est pas pour demain.
On était sans doute sincères ce disant,
mais on craignait surtout qu’ils aient raison, Orwell, les quelques autres et Kafka…

On sait aujourd’hui que la société hyper formatée qu’ils nous promettaient,
était déjà sur les rails.
On constate depuis quelques années qu’elle est de fait déjà en place.

La démocratie n’est plus que l’obligation que nous avons tous d’obéir.
Tous, sauf ceux à qui nous devons obéir bien sûr.

Mais nous faisons mine, à tel point que nous en perdons la conscience.

Les lois ne sont plus que les reflets écrits des constats de nos soumissions,
puisque par avance nous nous plions
aux modes, aux humeurs, aux exigences d’un pouvoir
qui n’est plus même le pouvoir tel qu’on l’imaginait,
celui pour lequel ou contre lequel on votait, non.
Les lois sont des décrets programmatiques de nos futures grégarités
édictées par les grands papes de la finance et de la consommation.

On nous avait mis en garde
(Étienne de La Boétie, entre autre, dont j’ai souvent parlé ici sur ce modeste blog),
certains continuent de nous mettre en garde
(des philosophes, des sociologues surtout,
tels Edgar Morin, Alain Badiou, Noam Chomsky, Pierre Bourdieu,…).

Mais on voit bien que les GAFAM (Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft) ont,
en même temps que l’intention, les moyens de nous “suggérer
de nouvelles servitudes auxquelles nous applaudirons.
Et ce, en l’absence de toute réaction qui ne soit pas veule
des politiques “démocratiquement élus” par nous.

Trop contents de faire partie du grand club des “gagnants”,
ils n’ont pas compris qu’ils sont eux-mêmes les serviles pièces
d’un grand puzzle, de l’immense inhumanité d’un monde
dont la grégarité est celle du profit :
le monde de la finance.

Pourquoi pas l’autruche après tout ? se disent-ils probablement.

On peut penser tout ça, y réfléchir.
Mais y réfléchir ne suffira pas.
Alors, quoi ?

Ceci, pour illustrer cela :

À bientôt ?



Ces mots qu’on utilise…

Et ceci ? Posted on 11 octobre 2019 16 h 54 min
Friedrich Nietzsche

Je me disais, à force de les entendre employés, de les voir écrits, de les utiliser parfois peut-être, que bien des mots cachent ce qu’ils ne s’avouent pas. Un peu comme la lumière qui, en photographie, peut se révéler noire. Étrange idée, se dit-on. On sait pourtant que nos idées même cachent des choses que nous n’avons pas toujours voulu y mettre. L’incompréhension, à laquelle – par faiblesse sans doute – si souvent on aspire est à ce prix. Qu’en est-il des zones sombres de certains mots (souvent devenus, dans le monde de la philosophie, des « concepts »), que cachent-ils, ces mots, de lumière ou d’inavouable ?

Petit début, aujourd’hui, d’une liste, égrenée au fil du temps, de mots chargés de nous faire réfléchir.

Aujourd’hui, éclairé par Friedrich Nietzsche* :


Fanatisme

Le fanatisme est l’unique force de volonté à laquelle puissent être amenés aussi les faibles et les incertains, en tant qu’il est une espèce d’hypnotisation de l’ensemble du système sensible intellectuel au profit de l’alimentation surabondante d’une unique manière de voir et de sentir qui domine désormais. Le chrétien l’appelle sa foi. Là où un homme parvient à la conviction fondamentale qu’on doit lui commander, il devient croyant. À l’inverse, on pourrait penser un plaisir et une force de l’autodétermination et une liberté de la volonté par lesquels un esprit congédie toute croyance, tout désir de certitude, entraîné qu’il est à se tenir sur des cordes et des possibilités légères et même à danser jusque sur les bords des abîmes. Un tel esprit serait l’esprit libre par excellence.


* In Le gai savoir (Die fröhliche Wissenschaft, la gaya scienza) (1882)


À bientôt ? Sans doute.