Georges Perros, quatorzième !



Le Oui-clos.



Il s’agit de frotter les mots à autre chose qu’à l’homme.



Sûr qu’à ma mort, je hurlerai que c’est injuste, que si j’avais su que c’était pour de bon, j’aurais encore fait moins attention.



Aimez-vous les uns les autres et foutez-moi la paix.



Au départ une espèce de mimétisme. L’ambition. Être un grand écrivain. Alors, être publié paraît – si j’ose dire – incroyable. Les hommes. Les autres. Jamais ils n’accepteront de me distinguer, comme je me distingue, moi. Voilà le piège. Car l’ambition fait long feu. On fait carrière. Un homme un tant soit peu doué peut très bien réussir dans la société. La politique est gorgée de littérateurs en mal de publication. Professeurs, agrégés, anarchistes de poche, chacun a son roman, ses poèmes, ses mémoires en tiroir. Que l’on ose voter pour ces gens-là prouve une intelligence très supérieure à la moyenne. C’est qu’on n’aime guère ce qu’on aime. Ceux qu’on aime. On fait l’homme, on joue à l’homme, et aujourd’hui on n’est pas loin de ne trouver valables, vivants, que les scientifiques. Qui sont in progress ! Il est vrai que le littérateur se sent un complexe quant aux savants, voire aux ethnologues. Écrire, comme ça, comme je le fais ce soir, n’a aucun sens, aucune portée. À peine publiable. Cependant me voilà là, il est près de dix heures du soir; les jours sont longs, il fait encore presque jour, c’est affreux, les voisins regardent leur télévision, nous on l’entend, ces bruits d’hommes, ces voix intelligentes, ces visages pour les autres, quelle horreur !



Le Temps. Pendant que j’écris, un tigre capturé se fait oiseau et s’envole. Tout est à recommencer.



L’écrivain n’est jamais que le nègre de l’enfant qui a déjà tout vu.



À quel point nous sommes libres, c’en est effrayant. Libres comme un ballon dont la ficelle que l’enfant tenait s’est rompue. Nous ne sommes pas capables de redescendre, et c’est ce qui nous reste d’obscure nostalgie, mais nous nous mouvons dans un espace dont nous comprenons la plupart des données essentielles, et notre langage n’est pas un langage fini. Lui est capable de métamorphose, j’entends d’intégration dans cet espace qui n’est évidemment pas d’ordre psychologique. Les Grecs avaient admirablement compris notre sens. C’est le christianisme qui a tout bouleversé, mais de manière telle, tellement piégée, que nous éprouvons toutes les peines du monde à en abolir l’absurdité. Il nous a rendu intéressants. Il nous faut aujourd’hui passer par le Christ pour retrouver les lois qui nous conviennent, plus modestes. Or, le christianisme est un mur. Le mur de l’autre. On escalade un mur, on ne le détruit pas. (Dans le monde qui nous occupe.) Le drame qu’a décrété le christianisme, nous en subissons les effets dans n’importe quel rapport quotidien. D’où nous serions plutôt tentés de faire un sort intelligible au Christ qu’à l’espace tout à l’heure en question, d’origine poétique. Le vrai miracle, c’est d’être, de respirer, de penser, d’agir, dans un monde aussi totalement étranger, inadéquat à la moindre de nos volontés. Qu’il puisse y avoir phénomène poétique à partir de ce néant, voilà le miracle, et peut-être, la raison inacceptable de notre présence ici-bas. L’homme ne sert à rien, il y a dans la nature comme une définitive indifférence quant à nos pouvoirs, vite ridiculisés, si jamais on se hausse du col. Notre orgueil n’a pas d’équivalent, donc pas de but. On peut entrer en compétition avec autrui. C’est signer notre misère. L’arme humaine est blanche. Elle peut donner l’illusion de l’efficacité. Mais la moindre honnêteté prouve le contraire.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

La suite, demain.
Bonne(s) lecture(s) à vous.
À demain