Dernier billet de ce premier tiers du voyage… Derniers extraits de Papiers collés (1).
Dès demain, des extraits de Papiers collés (2) prendront le relais.
Bonne lecture à tous !



Certaines pensées, ou sensations, se doivent de rester personnelles, cachées, pour garder leur caractère de cynisme ou de vérité. Un ami qui m’annonce qu’il va se marier parce qu’il n’a pas d’argent et que sa future en regorge, je ne lui en veux pas de penser cela. Ce sont ses affaires. Mais il me dégoûte de m’en faire part.



Il est étrange et douloureux de penser que si l’on se résigne à ne plus manifester le peu de charme qu’on a pour les autres, ce charme s’étiole, se venge curieusement, comme si tout à coup il s’apercevait qu’il joue devant une salle vide, sur une scène sans issue.



Vivre sans arrêt avec une personne, du matin au soir, au bout de huit jours on la déteste. Mais vivre avec soi-même ! Alors on part en voyage, on dédaigne de prendre une valise qui nous rappellerait… Et on arrive dans une chambre d’hôtel où la première chose entrevue est un miroir. (Inutile de le casser.)



À table. Personne ne mange de moules. Ma mère déclare qu’elle n’en achètera plus jamais. Je me sens alors pris d’une immense tendresse pour les moules, et plus particulièrement pour celles-ci. Revivant l’achat, le retour à la maison, leur préparation, ce “nevermore” me glace d’horreur. “Donne-m’en tout de même un peu”, dis-je à ma mère.



Je ne comprends plus ce que me disent les hommes depuis que je les écoute sans penser à moi. À ce que je vais leur répondre. Je laisse leur langage prendre du champ. À peine a-t-il décrit le minimum de sa courbe de conversation que ses os craquent, ses yeux meurent; les mots crèvent comme pneus de voiture sur les clous de mon attention. Pourtant un homme est là qui croit m’honorer, me flatter en perdant une heure de son précieux temps à m’enrichir de ses conseils, de ses constatations les plus profondes depuis qu’il fait pipi tout seul. Mieux vaudrait être décidément sourd. Il s’agit de passer sur le mépris, comme le nageur sur la vague. Cet homme nous gêne, nous bouche l’horizon. Soyons distrait.



Pour peu qu’on soit un rien distrait, la journée passe comme une lettre à la poste. Et nous nous retrouvons dans la position horizontale sans avoir eu le temps de dire ouf. Il suffirait de se voir passer ainsi du jour à la nuit, pour comprendre un peu plus nettement ce qui rend notre condition incompréhensible.



L’indifférence résiste à presque tout. Et l’amour a bien du mal à s’en dépétrer. Devenir l’homme indifférent, pour voir si l’amour résiste. Certes il résiste, c’est trop peu dire. Il occupe toute la place. C’est lui, l’indifférent.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Fin donc de cette première partie (Papiers collés 1).
Demain est un autre jour.
Nous verrons bien.

À demain ?