Mais qui sommes-nous ?
Ou plutôt : que sommes-nous ?
Ou : que sommes-nous devenus ?




Illustration : Roland Topor


Ce soir, comme chaque soir depuis quelques jours
(depuis en fait le moment où les gens ont enfin pris conscience,
Covid 19 aidant, qu’ils en avaient grand besoin),
à vingt heures tapantes, les fenêtres s’ouvriront,
les balcons s’animeront,
il y aura des clameurs,
des clapings,
des chansons,
des déclarations d’amour.
Un artificiel barnum de bonnes intentions
adressé à ce qu’on appelle aujourd’hui,
dans un euphémisme désincarné,
le personnel soignant.

Parce qu’ils font ça maintenant, les gens.
Ils exorcisent leurs peurs en tapant dans les mains
pour dire merci à des gens pour lesquels,
il y a un mois encore,
ils n’adressaient qu’une indifférence à peine polie.

Il faut dire qu’ils ne savaient plus trop quoi en penser
avec toutes ces déclarations d’un gouvernement
qui ne faisait pas même mine de l’écouter
depuis des mois, depuis des années,
ce fameux personnel soignant.

Mais, depuis quelques jours donc,
depuis que ledit gouvernement les a confinés chacun chez soi
(je dis confinés, mais je pourrais tout aussi bien dire isolés, cloîtrés ou séquestrés),
depuis que, soudain, ledit gouvernement,
dans une funambulesque contorsion,
a déclaré sa flamme à tout ce qui porte blouse blanche,
depuis, surtout, que la peur les tenaille,
des hommes et des femmes disent, crient, chantent
merci ! à ce personnel soignant
dont ils craignent par-dessus tout d’en avoir très bientôt besoin.

Je ne dis pas que les soignants ne méritent pas ces applaudissements.
Je dis que cet élan est généré par la peur bien plus que par une réelle réflexion,
ou une réelle prise de conscience de leur importance.
Amour aussi soudain qu’intéressé donc.

On se rappelle la vague d’amour d’une même nature
dont furent l’objet les flics, ou tout ce qui y ressemblait,
aux lendemains du Bataclan.
Tous, comme par magie étaient devenus des héros.
Et, dans les rues, certains se sont pris à les embrasser !
Aujourd’hui,
tous ceux qui portent casque, casquette, matraque ou képi sont,
par les mêmes probablement, insultés quand ce n’est pas carrément caillassés.
On ne les a aimés que le temps de se rassurer,
que dans le but d’être protégés.
Amour qui ne se déclare que par besoin.

Loin de moi l’idée de mettre sur un pied d’égalité les flics et les infirmiers
– les uns trop souvent sont à l’origine des blessures soignées par les autres –
mais le soudain enthousiasme qu’ils ont pu susciter ou suscitent
me paraît un peu plus que suspect.

La reconnaissance du peuple a ses limites et, à peine née, elle songera bientôt à s’essouffler.
Le temps sans doute d’une épidémie.

Mais je bavarde.
J’avais commencé d’écrire ce billet pour introduire une tribune parue dans Libé, il y a une paire de jours.
Autrement plus documentée,
plus éloquente,
plus rageuse
que ces quelques mots que j’ai posés là.
Vitale pour tout dire.
Elle m’a été signalée par mon amie Gaëlle Boissonnard
dont j’ai déjà, ici même, relayé la délicatesse des travaux.

Merci de vous précipiter, de la lire
au départ de son blog
ou en cliquant ICI.