Georges Perros, dernière ligne droite : Papiers collés (3)



Je suis plus sensible aux êtres quand j’y pense que quand je les vois. Tout ce qui s’ensuit… L’amour difficile.



Le geste humain plaqué sur le tremblement de l’air – du réel, comme l’ombre de l’homme sur un trottoir d’Hiroshima. La distance, entre le graffiti et la trace d’un passage, c’est dans la nuit qu’on la réduit, toute affaire cessante, tout désir rendu à sa bonne fatigue. Alors, une main tendue, une cigarette partagée, et le monde s’ouvre à nouveau, déduit du rien originel.



Réussir sa vie : Rimbaud.
Réussir dans la vie : tout le monde ou presque.



Le monde va peut-être finir par ressembler à ce que nous méritons. Aux hommes qui l’occupent. Le monde, non, la terre. Cette merveille mutilée. Ce jour-là – la réussite – les morts ressusciteront.



Si j’avais le temps, ah si j’avais le temps !” De quel temps s’agit-il ?



Je cherche un stylo. Il faudrait n’avoir jamais écrit autrement que pour affaires, urgences dérisoires, pour ne pas comprendre l’enfantillage qui consiste à se mettre en quête d’une plume, d’un papier, etc., susceptibles d’aider au travail de l’écriture désintéressée – ô combien ! Ainsi, pour ce qui est de la lecture, couper les pages d’un livres était un plaisir. On nous l’a enlevé aussi, celui-là. Écrire, lire, c’est se mettre en prison pour crime à commettre. Le crime étant peut-être, justement, de lire, d’écrire, hors d’un temps qui exige une autre présence humaine. C’est, de toute manière, quoi qu’on lise ou écrive, se retirer. Afin de mieux pénétrer, s’enfoncer, dans un espace qui rend compte, paradoxalement, de cette présence. Mais sans cesse remise en question. Bref, fourbir ses armes d’existence. À qui faire bien comprendre cette veille ?



Ce que je voudrais dire, sans cesse, est très simple. C’est qu’il y a, tous les jours, quelque chose qui interrompt l’aventure sociale, sentimentale, intellectuelle, qui laisse son homme en plan, stupéfait, quel qu’il soit, quoi qu’il fasse. Il faut remettre ses bottes.



Rien de plus rare à se manifester que le naturel.



Sûr que le progrès, aujourd’hui, c’est de faucher les mauvaises herbes.



Voir un vivant comme on le revoit quand on apprend sa mort. Difficile.



Je n’ai jamais payé la première tournée que pour m’en aller plus vite.


Extraits de Papiers collés (3)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

À demain ?