C’était en 2009.
Alain Badiou, dans un essai très éclairant, Éloge de l’amour *,
évoquait sa crainte des méfiances.
Je dis “crainte”,
mais il n’aurait pas, je crois,
donné son imprimatur à l’usage de ce mot-là.

Il évoquait la marchandisation de l’amour “sans risque
dont se sont faits spécialistes certains sites de rencontres…
Comme un “contrat-incendie” qui voudrait, comme préliminaire,
signaler que le feu n’existe pas.

Et Badiou de nous rendre compte de son légitime étonnement :
“C’est vrai, Paris a été couvert d’affiches pour le site de rencontres Meetic,
dont l’intitulé m’a profondément interpellé. Je peux citer un certain nombre
de slogans de cette campagne publicitaire.
Le premier dit – et il s’agit du détournement d’une citation de théâtre –
‘Ayez l’amour sans le hasard !”.
Et puis, il y en a un autre : “On peut être amoureux sans tomber amoureux !”
Donc, pas de chute, n’est-ce pas ?
Et puis, il y a aussi : “Vous pouvez parfaitement être amoureux sans souffrir !”

Et tout ça grâce au site de rencontres Meetic… qui vous propose de surcroît
– l’expression m’a paru tout à fait remarquable – un “coaching amoureux”.
Vous aurez donc un entraîneur qui va vous préparer à affronter l’épreuve.

Je pense que cette propagande publicitaire
relève d’une conception sécuritaire de l’“amour”.

Il y a de ça dans notre obnubilation du “sans contact
que nous espérons “sans risque”.
Sans quoi pourquoi ?

Depuis l’apparition du très « propagandé » coronavirus,
le sans contact est devenu une doctrine
en même temps qu’un obligatoire comportement,
pour tout dire une bible.
Qui s’y soustrait devient un mécréant.

C’est que la peur frémit au bout des index
qui fréquentent les écrans tactiles, les digicodes,
et bientôt les dos des femmes
qu’on essaie d’aimer un peu mieux
qu’indifféremment.

Nos masques,
quand nous nous soumettons à cette sanitaire cérémonie
(d’abord décriée, ensuite acceptée, souhaitée plus tard, obligatoire dans pas longtemps),
sont les prolongements (pourquoi ?) de cette peur du contact
née bien avant l’apparition du virus, mais encouragée, c’est sûr, par elle.

Parce que la société du “sans contact”
s’est, sans hasard, assimilée à celle du “sans risque”.
Qu’il s’agisse d’un mode de paiement,
ou d’un mode de vie,
c’est une société qui nous suggère d’abolir,
avec ou sans masque, le toucher.

Au profit du “tout écran” ?
Sans doute, oui.
En attendant pire.
En attendant,
sans doute aussi,
les baisers,
les caresses,
les frémissements,
les extases,
les orgasmes virtuels.
Sans risque.
Puisque sans contact.

Revenir à Badiou.
L’éloge de l’Amour.
Inclure, lors de notre lecture, le risque.
Le risque d’une lecture qui se pose la question et se met en danger,
accepte ce danger de penser.

Rester en contact.

On peut rêver.



* Alain Badiou – Éloge de l’amour – avec Nicolas Truong – Flammarion 2009



À bientôt ?