Georges Perros. La Suite 12 !



Ce que j’écris est à lire dans un train, par un voyageur qui s’ennuie, et qui trouve sur la banquette, oublié, un de mes bouquins.



Ma seule et unique misogynie : je ne pardonne pas aux femmes d’aimer les hommes.



On me tire les vers du cœur.



Il se donnait des autographes.



La morale, c’est de savoir ce que pensent les autres, et d’essayer de les redresser, pour qu’ils pensent comme nous. Rien de plus bête.



Travailler ! Travailler ! Comme si j’avais le temps.



Je préfère la liberté de l’autre à la mienne. Pour qu’il me laisse libre.



Sans la littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul.



Je vis. J’existe. Je suis là. Si je tombe, je me fais mal. On peut me faire souffrir. Je sais que je vais mourir. Que j’ai à ma charge plus pathétique que sociale, une femme et trois enfants. Je ne suis ni heureux ni malheureux. À peine si ces mots ont gardé un sens pour moi. On m’a fait. Je me suis refait. Et j’ai fait à mon tour. Je n’ai pas la sensation d’avoir commencé à vivre. C’est sans doute que je ne voudrais pas mourir. On m’appelle par mon nom, on m’envoie des lettres, je réponds. J’ai beaucoup d’amitié pour quelques êtres que le hasard m’a donné à rencontrer. À aimer. Ils m’écrivent, je leur réponds. On se voit de temps en temps; de moins en moins. Et j’écris. Depuis trente ans, j’ai pris cette habitude; elle m’a pris. J’ai fait dans ma culotte en étant reçu par Gide, rue Vaneau, il y a un siècle de cela. Cela a séché. J’écris, on me publie. On va même jusqu’à me dire que ce n’est pas déshonorant, ce que j’écris. Je devrais être comblé. Je le suis. Ce qui m’ennuie, c’est que je vais devoir, avoir à mourir un de ces quatre matins. Ou soirs. Ça m’embête. Parce qu’on me prendra au dépourvu, que je n’aurai pas vécu. Que des siècles n’y suffiraient pas. J’ai fait à peu près tous les gestes qu’un homme normal se sent capable de faire. J’ai connu des hommes et des femmes. Tout reste à connaître. J’ai un peu voyagé. Tout reste à voir. Je ne me trouve intelligent que par saccades, je vis là-dessus avec les autres, mais avec moi, non. Mon ignorance, ma bêtise, est totale. Je ne réponds de rien avec autrui pour peu que je me sente fatigué. Physiquement. Le cœur qui vadrouille à droite et à gauche. La tête qui fait des nœuds. Envie de me cacher. De ne pas prendre le risque de rencontrer qui que ce soit. Pourtant j’ai besoin des autres, et de leur chaleur. Mais à distance. À distance. À partir d’un certain âge, ce n’est plus de la vie que nous sécrétons. Mais de la mort. Histoire de ne pas mourir trop injustement.



La poésie, c’est une femme nue qui se baladerait sur les Champs-Élysées en plein jour, et qu’on ne remarquerait pas. Qu’on ne verrait pas. Sinon, brièvement, les aveugles.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Sinon, se taire.
À demain ?