Jeudi.

Rien de très exaltant à raconter aujourd’hui.

Je vais me faire discret,
me cacher derrière notre feuilleton quotidien
dont il ne restera, après celle-ci, que quatre occurrences…

Bonne lecture à vous !



LA MÉCANIQUE DES LETTRES
un homme de lettres anonyme.

7.

« Moi, je signerai jamais de CDI ! »
Lionel, des années dans la dèche à Paris et à Grenoble avant d’embaucher à La Poste en même temps que moi, il y a quatre ans. Un peu zonard, un peu fêtard, son parcours ne l’avait pas préparé à ça, mais il avait finalement signé un CDI, tandis que moi je refusais. Depuis, il s’est syndiqué à FO, et s’est fait élire délégué du personnel. Des choix individuels que je n’ai pas faits, restant en CDD, m’estimant incapable de travailler à temps plein et de penser à mon boulot dans mon temps libre. « Tu as choisi la liberté », m’avait dit un jour le chef du bureau.

Lionel, je le croise à la gare. Il travaille seulement l’après-midi en ce moment, et moi, aujourd’hui je ne travaille pas. On décide d’aller manger à la cantine. Le problème, me dit-il, c’est que les gains de productivité produits par les machines ne vont pas au bon endroit. Les machines, ce serait pas mal si c’était pas pour casser l’emploi. Mais alors là, je ne comprends plus. Dans une organisation capitaliste, à quoi peuvent bien servir les machines si ce n’est pas à casser l’emploi ? Il y a des gens qui sont payés pour les concevoir et les fabriquer, à la Direction Nationale de la Recherche Technologique. C’est que La Poste espère augmenter la productivité et se rattraper sur la masse salariale, non ? Dans l’absolu, ça pourrait être pour améliorer les conditions de travail, mais en réalité c’est pour remplacer du travail humain par du travail mécanique. En priorité les tâches simples. Ça s’appelle « déqualifier le travail ». Quand un métier auparavant complexe est décomposé par les services techniques de l’entreprise, qui analysent chaque détail de chaque geste, et qu’à la fin on crée de nouvelles positions de travail qui rationalisent l’ancien métier. Tout le savoir ouvrier autonome a été digéré par l’organisation du travail, et c’est le technicien qui apprend à l’ouvrier à faire son boulot. Bien souvent ça passe, parce qu’on a mis un nouveau salarié à la place de l’ancien, qui n’a pas connu « avant ».

Alors Lionel, voilà ce que je te réponds : oui, il y a un problème avec la répartition des « gains de productivité ». Mais il y a aussi un problème avec comment la machine transforme le métier, car nous ne sommes pas dans l’absolu, mais dans la réalité. Quand ton métier c’est de distribuer du courrier trié par une machine, ce n’est pas le même métier que de distribuer le courrier que tu as toi-même trié. Ça y ressemble. Surtout au début, ça y ressemble, et puis il ne faut pas se mentir, quand le TDP+ est arrivé c’était vraiment classe. Ça fait moins de taf, tout bénef’ ! Ensuite ça y ressemble de moins en moins, et à un moment on se rend compte qu’on est devenu un assistant des machines, qui reste là pour faire les tâches trop compliquées, pour réparer les machines, et pour répondre aux questions des usagers (qui se sont eux-mêmes transformés en clients).




À demain ?