Suite de notre périple Perrosien…


Ce qui peut arriver de pire à Dieu, c’est que l’homme ne mette plus en doute son existence. C’est aussi ce qui peut arriver de pire à l’homme.



La solitude donne l’habitude des trous, des “à quoi bon”. Morale du “il y a pire”. Personne à qui s’efforcer de plaire. De la détresse. Or quand on a été longtemps seul, on est comme travaillé, on donne plutôt raison, sans le vouloir, à ces ornières, à ces défaillances, plus fréquentes, plus vraisemblables, qu’au redressement de corps et de cœur qui fait la vie, qui fait les couples, qui fait l’amour. Ce sont des moments de distraction foudroyée, invincibles, qui vous rejettent dans votre cage essentielle. L’équivalent du “Ne m’énervez pas, je me sens capable de faire un malheur” du nerveux, ou le contraire du “Ne me laissez pas seul” du malade. Aucun être humain ne paraît capable de combler ce trou, cet abîme, et moins encore par son amour que par sa haine. Car la souffrance par autrui est plus facilement délectable – au sens fort – que son amour.



Ce sont les autres qui m’ont rendu intelligent. Je n’ai pas une intelligence de normalien. D’organisation. Mon Dieu, non. Mais une intelligence oxygène. Je m’en sors toujours grâce à elle. J’émerge de ma détresse congénitale, et toutes les souffrances, finalement, viennent s’installer dans la partie “problème” de mon individu. J’ai affaire à des idées, après avoir entrevu le risque de la ruine. Bref, je suis essentiellement nerveux. On peut me faire horriblement souffrir, quelque bouillon bu, je parviens toujours à retrouver ma respiration. C’est qu’il y a un passionné en moi, sans identité, sans signalement, qui est le secours même. Que je ne sollicite jamais. Mais qui, toujours me sauve du désastre. Je suis, et j’ai l’air, infiniment nonchalant, indifférent, fatigué. Mais par rage de ne pouvoir étreindre le moment, de devoir attendre son bon vouloir. Je mourrai insatisfait, sans oser dire, comme les écrivains de la soixantaine : “J’ai vécu, c’est bien.” Non, ce ne sera pas bien, et je n’aurai pas vécu.



Le vrai temps est nocturne. Je remonte ma montre le soir.



Si Dieu n’existe pas tout est permis.” Je crois que l’effrayant, c’est que tout est permis, même s’il existe.



Il y a pire que la modestie. C’est la peur de l’orgueil.



Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


Ce sera tout pour aujourd’hui.
À demain ?