Troisième jour de ce second (?) confinement…
Nous voilà aux deux tiers de notre perrosienne aventure.



La littérature, c’est ce que l’homme ne mérite pas. Ni l’auteur, ni le lecteur. Qu’il faille être original pour être entendu quand on dit le malheur ou l’horreur d’être et de devoir mourir, nous condamne à coup sûr. Mais on peut aussi ne lire que le journal. Là on est gorgé, comblé. Voilà ce qu’on mérite.



Il posait des réponses.



J’écris quand je sens que je passe par moi.



Le sens des réalités va contre le sens de la réalité.



Qu’il écrive à propos d’une pierre, d’un arbre, ou d’un de ses semblables, il est évident qu’un homme se vend. Plus il tend à écrire ou à détruire, plus il se dit. Notre époque a une sainte horreur de la psychologie à deux sous, mais n’en est pas sortie pour autant. La littérature est devenue un lieu privilégié de nettoyage en série, lieu dans lequel il est interdit de dire “Je” quand il s’agit de soi-même, comme si soi-même existait, et voulait, par là, se préserver. Mais raconter sa vie ou celle du voisin, mais dire je ou il, mais dire nous, comme il est de plus en plus amusant de le faire, n’avance pas à grand-chose. Nous sommes très liés à nous-mêmes et l’écriture n’est jamais qu’un moment – privilégié – de notre existence. Nous sommes très seuls à l’être.



Ce serait très bien, la littérature, si les lecteurs comprenaient un jour ce que c’est. Pas du tout. Un type qui écrit deux cents pages sur sa veulerie, sa saloperie, sa médiocrité, son néant, allez, on lui file le prix Goncourt. Quel talent ! Le type est content. Le talent sauve tout. D’où cette nuée de terribles, d’imbéciles heureux, qui couvrent les catalogues d’éditeurs grâce à la faculté de dire qu’ils n’existent pas. Si on savait lire, on serait stupéfait de l’aveu d’imbécilité de la plupart de nos auteurs actuels. Ils crient leur vide et on leur trouve du talent, voire autre chose. Tout ça, parce qu’on ne sait jamais. Si on loupait un Miller, un Genet, un Kafka, vous vous rendez compte ! Cette peur fait publier, rend publiable, 80% de notre littérature actuelle.



Il est bien évident que si n’importe quel écrivain au travail se disait qu’il fait de la littérature, il enverrait tout promener, lui avec. D’où il n’y a littérature qu’à partir du moment ou l’autre regarde ce qu’il a écrit et y trouve de quoi nourrir ce regard. C’est le trajet écrivain-lecteur qu’on appelle littérature. J’ajouterai que lorsqu’on ne trouve rien à regarder, à lire, on dit aussi : c’est de la littérature. terme qui sert deux maîtres à la fois. Mais on ne s’y trompe pas longtemps.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire



Voilà pour ce dimanche.
On entre dès demain dans la quatrième et dernière semaine de cette série.
Vous en serez ?

À demain, alors.