La promenade n’est pas finie. Georges Perros a beau avoir peu édité, il laisse un concentré de perles dont nous ne sommes pas à bout.
Bonne découverte à vous.



Les gens célèbres se plaignent de l’être, de ne plus pouvoir travailler comme bon leur semblait. Moi, je suis tranquille. J’ai, ou plutôt on a publié deux livres sous mon nom qui n’ont eu aucun retentissement susceptible de perturber ce qu’il faut bien appeler ma vie. Je comprends l’embarras de la gloire. Et quand on publie, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Au sens propre comme au sens figuré. Aucun journaliste n’est venu me demander ce que je pensais de l’existence de Dieu, de la mienne, voire de la sienne. Je n’y vois pas d’inconvénient. Il arrive que je me trouve en état d’écriture. Et qu’on m’y trouve. Mais me lit qui veut. Et me publie. J’en suis bien content. Très touché. Mais l’oublie assez vite. Reste l’amitié. Inoubliable. C’est pour qu’elle le reste que j’ai foutu le camp.



Je viens d’écrire ce qui précède dans la cuisine. Comme ça. Je devais sortir, puis un programme musical à la radio m’a retenu. Alors j’ai sorti mon carnet. Les gosses dorment. Tania repeint, si j’ose dire, le parquet de la pièce du fond. Je me suis trouvé seul, à nouveau, état privilégié qui n’a rien à voir avec la solitude d’errance. Dès que l’envie d’écrire prend un homme, il n’est plus seul puisqu’il peut dire qu’il l’est. Il n’est plus malheureux puisqu’il peut dire qu’il l’est. Pouvoir dire est un bonheur, un sauvetage. Bouche bâillonnée, écriture interdite, voilà le plus grand malheur. Après quoi, on donne à parler, à écrire pour renouveler, ensemencer à nouveau le malheur à l’état pur, qui n’est ni vrai ni faux, mais terrible à imaginer. Lisez le journal, les moindres nouvelles, et votre journée est foutue. Il faudrait je ne sais quel formidable génie pour oser se croire quoi que ce soit quant aux autres grâce à l’écriture. On a beaucoup parlé de ces choses. Ceux qui les ont trouvées légères sont bien légers. Les autres, un peu lourds. Entre les deux, on se faufile.
Je suis sorti. Puis rentré. J’étais bien parti pour écrire, ce soir. Je ne saurai jamais ce que j’aurais écrit si j’avais continué, au lieu de sortir. C’est pourtant qu’il m’intéressait d’être, là où celui qui écrivait a cessé, là où celui qui a écrit se retrouve. Là ?
En fait, je me demande pourquoi l’homme s’arrête, et surtout peut-être, revient là où il s’est arrêté. Un homme normal ne se demande-t-il pas tous les jours et nuits s’il a vraiment commencé ? S’il va donc vraiment finir ? Naissance et mort ne nous appartiennent d’aucune manière. La vie reste spectaculaire. On nous regarde vivre. Qui, on ? Quoi, là ? Oh ma doué.



Il disait tout bas ce qu’il pensait tout haut.



À l’école, si l’instituteur n’effaçait pas complètement le tableau noir, le bout de craie négligée me rendait malade tout le reste du jour.



C’est fou ce que j’ai comme lacunes ! Et tout ce que je sais ne me sert à rien. À rien. J’ai l’air d’un vrai con dès que n’importe quelle conversation s’élève un peu. Surtout si le sujet m’est bien connu. Familier. Dès qu’on le ressuscite devant moi, je l’oublie. Tout ce que j’ai fait, écrit, lu, rien ne me reste. J’oublie tout. Parlez-moi donc de mon demain. Parlez-moi d’amour.



Quand mon chien me voit tout nu, il ne me reconnaît pas.



Il lui arrivait de répondre : “Excusez-moi, je ne pourrai pas venir vous voir la semaine prochaine. Je serai malade.


Extraits de Papiers collés (2)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire

Demain, oui.