Je me souviens, l’agenda que je ne possède pas me le rappelle.

C’était un 27 novembre, il y a dix ans.
C’était à Roanne, dans le beau théâtre à litalienne de Roanne.

L’affiche annonçait Trois poètes libertaires du XXème siècle.
Il y aurait un violoncelle, un accordéon.
Respectivement Grégoire Korniluk et Daniel Mille.
Il était dit aussi que la voix serait celle de Jean-Louis Trintignant.


Photo : Patrick Swirc/Libération


Invité par une amie qui me voulait déjà du bien,
on était entrés, on n’avait pas pu s’asseoir,
la petite salle rouge et or était blindée.
On avait sans doute un peu craint l’inconfort,
rester sur ses deux pattes, mais on était restés.
C’était Trintignant tout de même !

À son tour il était entré en scène,
aidé, guidé par les deux musiciens,
jusqu’à la chaise qu’il ne quitterait,
deux heures plus tard,
que pour, appuyé sur sa canne, saluer, nous saluer,
alors que c’est nous qui.

Deux heures au cours desquelles un homme,
dont le besoin de consolation ne pourrait jamais être rassasié*,
s’était ingénié,
de talent, de sobriété, d’humanité, d’amitié, d’humilité aussi,
de textes inaltérables,
à nous consoler.
De quoi ? nous consoler de quoi ?

De quoi donc avions-nous besoin d’être consolés ?
La réponse était dans la corde qu’il avait tendue
pendant ces deux heures-là entre nous et lui,
faite de questions que nous nous posions sans doute
mais que nous ignorions
ou faisons mine d’avoir oubliées.

C’était Prévert, c’était Desnos, c’était Vian.
Au service desquels s’était mis Trintignant.
C’était immense, c’était somptueux, jamais tonitruant.

C’est un souvenir que je voulais partager,
parce que je déteste des portraits post mortem
les hagiographiques obligations.

Je vous laisse.

À bientôt ?




* Je m’empare ici du titre du sublime texte, désespéré certes, du petit grand livre de Stig Dagerman :
« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier”.