Ça y est, on bat le pavé.
Pour réveiller le printemps,
pour brûler les sorcières.

Partout, sur les calicots, les pancartes,
des mots pas heureux,
des mots en rage, fatigués mais en rage, en rage fatiguée.
Des mots qui font le boulot primaire des mots
et qui consiste, on l’oublie trop, à ne pas se taire.
Alors, les mots, quand ils en prennent conscience,
s’inventent des poumons pour accompagner le cœur
et hurlent que non ! on ne nous la fera pas, cette injustice-là.

Cette injustice-là, c’est cette histoire de “retraite
qui agite la France aujourd’hui
et pas, comme disent d’incertains,
d’autre pays.

Parce que, personne ne doit l’ignorer,
Les Français sont des fainéants.

On connaît ces rengaines qui puent.
Le “pouvoir” nous les serine :
La France est le plus beau pays du monde, c’est évident,
mais les Français sont des veaux
(dixit Charles de Gaulle, Président de la République qui a cessé de nuire),
des Gaulois réfractaires
(dixit Macaron Premier, pâtissier à Amiens qui n’a pas cessé de nous emmerder)…

Donc, Veaux et Gaulois, nous battons le pavé,
histoire de – merde ! – ne pas se laisser écraser,
vous voyez un peu ?
Une manif, quoi.
Avec des militants, avec des mômes de militants,
avec des exaspérés,
avec des qui tirent le diable par la queue, et c’est souvent pour ça qu’ils sont exaspérés,
avec des bobos (ben oui, pourquoi ils ne seraient pas là, les bobos ? valent moins que les autres ?),
avec des papis et des mamis et des amis,
avec quelques élus aussi qui ont décidé de faire le job, c’est pas fréquent, mais oui,
avec tout ce que la région d’ici compte de mécontents
et qui ont pu ne pas aller se taire ce matin au turbin…
Des poignées, bien plus que des poignées,
d’indésirables.

64 au lieu de 62 !
Un score de basket pour une défaite sociale !
Mais est-ce bien le sujet ?

Limiter la révolte “contre la réforme
à cette seule question-là (celle de la durée),
c’est donner du grain à moudre aux éblouis du travail,
du mérite et de l’ascenseur qui n’existe pas,
et qui prétendent encore,
que c’est dans la fatigue, dans l’épuisement,
que l’homme se déploie,
qu’il a sa seule raison de vivre
(oubliant que le travail a été et est de tout temps un mode d’oppression / soumission).

Travailler plus,
insupportable credo d’une caste qui n’imagine pas
que le travail puisse être un choix,
un choix dont le travailleur est seul maître.
Ou alors c’est l‘esclavage, je me trompe ?

On bat le pavé.
Pour réveiller le printemps,
pour brûler les sorcières.

Des banderolles, des pancartes, des calicots.
J’en découvre un, de calicot, insultant, affligeant.
Désolé pour lui.

Plus près, une jeune femme, un peu devant, sur une pancarte trop petite,
a recopié ceci :

“La bonté est de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l’aisance et de la sécurité, non d’une vie de galérien. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment.”
Bertrand Russel 1932.

Songer à aller l’embrasser.

La manif continue, serpente.
Il y a comme une sorte de soleil dans le ciel.
Il fait un peu moins froid.
De la musique.

Trouver les moyens de refuser.
Réfléchir.

Je me souviens :
Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner.

Pas tout à fait inutile.