Il y a ce verbe qui ne nous engage pas.
Falloir.
Qui ne se conjugue pas.
Ou alors seulement à la troisième personne.
Du singulier, notez.
Il faut, faudrait, faudra, fallait…
Et, quand il s’hybride de regret,
Il aurait fallu.
Jamais à la première personne.
C’est dire qu’il ne nous engage pas.

Personne est son vrai nom.
Parce que, sans doute, il appartient à tout le monde.
Tout le monde sans cesse fait appel à lui,
le conjugue – à la troisième personne donc – pour se débarrasser.
De quoi ?

C’est un verbe péremptoire le plus souvent,
qui nous remplace volontiers
quand on n’a rien à dire,
mais qu’on croit avoir un avis
et qu’on veut l’imposer.

Une formule bâillon, pour clore le débat.
Le plus souvent, on accepte,
sans trop en avoir conscience,
qu’elle nous vienne d’en haut
et s’acharne, en veux-tu en voilà,
sur le dos de ceux d’en bas
auxquels on répète leurs obligations.
Obligations de quoi ? on sait. De se soumettre.
Pourquoi ? on ne sait pas.
Dictée par qui ? on le sait presque toujours.

Falloir,
c’est la morale, c’est le patron, le financier, le politicien
qui dans leurs poches trouvent des poignées d’Il faut
pour remplacer les réponses
qu’on ne trouve pas dans les nôtres.
Parce que, en guise de réponses,
on ne trouve que les trous qui s’y épuisent.

Falloir,
c’est Dieu aussi, parfois,
qui ressemble tellement aux patrons, aux financiers,
aux autres qui ont toujours raison,
qui savent mieux que nous ce que serait notre bonheur,
celui qui conforterait le leur.

Falloir,
c’est un préservatif qui ruisselle.
Le cousin préféré de l’insupportable “Yaka”,
la réponse à tout, clé en main.
Yaka faire ceci, yaka faire cela.

Je lis la presse, je regarde les gens, les écoute.
Ce n’est pas suffisant.
On me dit, m’informe, c’est bien.
Mais tout ça glisse et nous invite à nous taire,
satisfaits de savoir.
Le calme plat en quelque sorte.
La conscience tranquille.

Parfois aussi, je réfléchis à la possibilité d’autre chose,
je tente.
Je vois s’amonceler les nuages noirs,
je vois partout grimacer les idées brunes.
Des gouvernements se préfèrent impuissants
et n’imaginent plus même possible d’ouvrir les bras.
On est dans un monde de mâchoires.

Je tente de hurler.
Comme je peux, je hurle.

Mais c’est très mal perçu.

L’autre soir,
rentrant chez moi,
je me suis dit :
il faut que ça change !