On imagine.

On imagine Frantz Fanon,
ou Miles Davis, ou Toni Morrison,
ou Patrice Lumumba hurlant en silence
“Africains, Levons-nous !”

Et on espère sentir déjà le vent de la révolte
nous débarrasser
de notre coupable abstention.

Mais non. Illusion.
Il est là, placidement posé raide
sur sa trottinette électrique, sûr de lui,
une espèce de Clint Eastwood nègre.

Assimilé (pardon, Aimé Césaire)
au spectacle veule de la société des blancs
davantage qu’émancipé.

De quel droit espérais-je autre chose ?


Yusuf.

C’est dans la rue.

Je l’ai à peine salué
qu’il me fait savoir qu’il s’appelle Yusuf.
Une fièvre dans les yeux rougis.
Un doux mélange de gentillesse et d’ironie aussi.
Il n’a dans ma langue pas les mots pour dire.
Je n’en ai pas davantage dans la sienne.
Nous voilà bien.

Il est là, qui attend que quelque chose se passe.
À ce moment-là, nous nous ressemblons.
Me fait comprendre qu’il aimerait un sandwich et de l’eau.
Que je vais lui quérir.

Je ne lui ai pas proposé de venir boire un café
dans mon petit appartement.
Parce que j’avais honte d’en avoir un ?
Ou parce que je craignais qu’il me dise oui ?


Ou alors, s’envoler.

Une enfant qui semble s’envoler
par peur de s’ennuyer.

Les parents, à un demi jet de pierre,
ne la voient pas. Ou déjà plus.
Trop habitués à ses virevoltes peut-être.

Après deux pas de danse qui n’en étaient pas,
elle m’a fixé de ses yeux noirs.

Était-elle belle ?
Une seule seconde, elle en a peut-être douté.
Pas davantage.

Ce doute d’une seconde, je l’ai raté.
Le temps de, il était déjà trop tard.

Consolation, ce pied de nez fait à l’ennui :
la danse ?