Se lever. Il fait nuit encore, on est en janvier.
Se lever et sourire.
Sourire de pouvoir se lever.
Éventuellement, sourire d’avoir pu sourire (mais ça, c’est les philosophes).

Si on habite en ville,
après avoir jeté par la fenêtre un œil encore ensommeillé
sur le béton, la pluie, les bagnoles, les poubelles abandonnées, tout ça,
parvenir à sourire encore,
(un peu d’obstination ne peut pas faire de mal).

Si c’est la campagne, adapter,
on peut sans effort y croiser d’autres joyeusetés, pas toujours plus paisibles
(au hasard, des chasseurs, des tracteurs pollueurs, et les mêmes poubelles abandonnées…)

Réussir à sourire donc, s’en créer si ce n’en est le désir, disons le devoir.
Dans les deux cas,
possibilité d’en ressentir quelque fierté.
Sourire donc, mais avec modestie,
sans avoir l’air de, ni de, vous voyez.
L’éclat de rire, de même que le fou rire seraient vulgarité.
Bomber un peu le torse (c’est une option),
sans exagérer
(on est encore nu, ou en pyjama, ou allez savoir, et il fait froid, le chauffage n’a pas fait encore son ouvrage…).
Ne pas hésiter, pour s’aider, à faire appel à quelque musique.
Éviter les Lacrimosa, Remember me, et autres L’ho perduta… me meschina.
Les garder sous le coude pour les fins de soirées.
Là, c‘est l’aube. Se dy-na-mi-ser !
Je conseillerais Sing Sing Sing (Louis Prima / Benny Goodman – 1936)
pendant que le café tarde alors que les tartines d’impatience frétillent.
Et si l’espace le permet, oser un petit pas de danse. C’est bon pour le moral.
Et pour les jarrets.
Ne pas oublier que, de l’immeuble d’en face, on peut vous épier.
Du reste, vous même…
Soigner tout ce qui peut se montrer.

Liberté pour le choix des confiture, pâte chocolatée ou crème d’amande; on est des adultes, merde !

En face, de l’autre côté de la rue Buisson, des identiques font le même trajet.
Pain toasté (peut-être croissants, allez savoir), confiotes de toutes sortes, thés rares…
C’est toujours mieux ailleurs.

Sous la douche, se rappeler les dernières pages de Kafka lues hier soir.
Où en était-on déjà ? Est-ce que Josef K. sait enfin pourquoi ce procès lui est fait ?
Quel procès ?
Ne pas s’interdire de chantonner.
Chanter serait excessif, trop cinéma, trop Yves Montand période américaine, Marilyn, tout ça.
Et puis, faut pas rêver, est-ce que votre état vous autoriserait ça ?

Tentation de se “tenir informé”.
France culture, France Musique, France Info, toutes ces sortes de choses… Naaan !
Tu vas pas bousiller tout ce que tu as fait ce matin pour aller bien !
Le sourire, la musique, le petit pas de danse, le kawa, la confiote, la douche, Kafka, les voisins d’en face…
Attendre encore un peu.

Sortir, se promener, aller boire un café chez ou au.
Il sera toujours temps de constater les dégâts.
Jamais timorés les dégâts.

Je sors.
Le quartier lentement fait mine de s’animer.
Les tronches sont celles des autres jours. La mienne aussi.
Bientôt il fera jour.
Déjà il pointe un début de nez.

Le papier et l’Internet
me rappellent qu’il fait une insupportable nuit.
Et j’ai envie de courir
sous la neige qui s’est mise à tomber.
Prouver que tout ça n’est pas si triste.

Je commande un second café.