Cette manière qu’on a de dire qui on est,
de vouloir dire qui on est,
de simuler,
de prétendre.
Avec cette délectation pauvre
de penser avoir à le dire…
(Ce serait tellement con que les autres ne sachent pas… C’est vrai, quoi.)
Cette convalescence des hommes
qui consiste à vouloir guérir
sans passer par le chemin
d’un appel à l’aide,
tu me prends pour quoi,
tu me prends pour qui ?
Cette permanente hagiographie de soi par soi
(oulala !),
photos à l’appui (je veux dire selfies)
c’est pas beau, ça ?
Parce que, quoi ? il faut bien vivre,
et que vivre, aime-t-on à se prétendre, c’est ça : exister;
mais aux yeux des autres.
Coûte que coûte.
Exister, c’est quoi ?
si ce n’est reproduire qui on prétend être,
se montrer dans le regard vide des autres ?
C’est vrai quoi.
Mais vivre ?
Fatigue.
On était arrivé à fréquenter à peu près sans trop le redouter
le miroir le matin, au moment du réveil, dans la salle de bain.
Mais là…
Basta.
On passe à un autre mode. On peut ?
Dites-moi que c’est (encore) possible !
Selfies inversés,
alors que jamais je n’en ai pris le moindre
(ni n’ai participé au carnaval des réseaux sociaux),
pourquoi ne pas regarder les autres,
que je ne connais pas,
qui ont de leur vie un mouvement étrange,
qui portent un surprenant chapeau,
qui semblent sortis d’ailleurs,
mauves, jeunes, ou transparents,
qui boitent, baillent, regardent le ciel, la terre, ou leurs semelles,
ou simplement ailleurs,
qui sortent de l’enfer
ou, acculés ou non, y entrent,
pourquoi ne pas leur adresser
le baiser d’un œil maladroit
au moment où je les regarde,
où parfois ils me voient ?
J’en ai pris l’un ou l’autre en photo.
Sans talent, sans objectif
(des clichés dans tous les sens du terme).
Pas comme un rapace, comme un complice.
Avec le vent des choses qui ne les favorisent pas,
ils pourraient se trouver beaux.
Moi je les ai trouvés beaux.
Selfies inversés, vous disais-je…
des quelques-uns que je croise ou rencontre
parfois.
À quel titre donc ? demandais-je en titre.
Au titre de la vie.
Diverse, difficile, ennuyeuse, révoltante, impassible,
émeri le plus souvent, parfois chantilly mais rarement,
sur le point de s’épuiser,
de parfois se terminer,
et puis quand même, on reprend, ça nous reprend.
Au titre d’on ne peut pas s’en empêcher, se l’interdire.
Pourtant,
manquent à ce billet les femmes.
Peut-être meurent-elles moins à force de vivre plus ?
Peut-être cachent-elles plus leur détresse,
sont-elles plus dignes, moins pathétiques ?
Peut-être ne se font-elles d’illusions qu’ailleurs ?
Manque une fleur, quelque chose en couleur,
je vous l’accorde.
Non que l’une et l’autre obligatoirement s’accordent.
Ça viendra.
En même temps que la trace de femmes,
là où aujourd’hui
ce ne furent que des hommes.
Mais la détresse n’a pas de sexe.
Ce serait si simple.
Je reprends :
Mais la détresse n’aurait pas de sexe ?
Réfléchir.
Et puis.
Lire, regarder, écouter, entendre, écrire,
donner à voir, aboyer peut-être.
Pour être un peu moins con.
Lire ce qui remue et bouffe
les certitudes qui nous bouffent.
Tenter de dire.
Profaner l’à quoi bon.
Sauf erreur, le billet « Glissement de terrain », publié « récemment », est et reste introuvable quand on demande à le lire. Jehan, navré
Très belle démarche, aller vers l’autre de cette manière ! Avec visiblement son accord pour certaines de ces photos-ci. Accord, pourquoi ?… Car, souvent, je m’interroge sur la cohabitation possible entre les si nombreux selfies (y compris sur des lieux de catastrophes de tous ordres) et ce droit à l’image qui parfois (ou si souvent ?) fait se méfier et réagir violemment même qui (elle, lui) est le point de mire de l’appareil « intrusif », outil d’un « viol » que l’on s’accorde si facilement pourtant à soi-même, plus soucieux alors de mise en scène que d’empathie. Jehan