Peut-être se sont-ils demandés comment faire de la langue leur plus sûr allié.
Quitte à la soumettre aux caprices de leur ironie,
quitte à lui faire dire n’importe quoi pourvu que ce n’importe quoi les agrée.
Peut-être se sont-ils posés la question de comment faire dire à un mot
tout ce qu’ils méprisent de ce qu’il signifie, de ce qu’il contient de sens. 

Peut-être est-ce dans ce but-là qu’ils ont créé
ces “éléments de langage”,
ces chapelets de mots vidés de tout leur sens
– mais qu’il est bon de répéter à la manière vide des slogans –
et qui sont ceux de la langue de bois faite de copeaux de vérité,
des cendres précoces, rien de plus.

Ça a donné de ces rodomontades qu’on ose à peine rappeler.
Il en est une, emblématique, mais elle n’est que la tête d’un troupeau.
Le 7 mars 2019, Macron, plus sûr de lui que jamais, clame :
Ne parlez pas de répression ou de violences policières,
ces mots sont inacceptables dans un État de droit”

(Des violences policières, de la répression, il y en a à la pelle
sous cette macronienne république.
Et je n’en rappellerai ici ni la récurrence des témoignages ni leur nombre…
Seulement, voilà, les témoignages n’ont, face à la langue de bois,
que si peu de poids…
)

Peut-être que, effectivement, ces mots-là,
dès lors qu’ils témoignent d’une vérité,
sont inacceptables dans un État de droit.
Mais ce ne sont pas eux qui choquent,
ce sont les méfaits qu’ils dévoilent et montrent du doigt
– on leur en sait gré.
Parce que, quoi ? il suffirait de les taire pour que s’en trouve renforcé cet État de droit ?
Et suffirait-il de les prononcer pour qu’on en soit exclu ?
Si oui, c’est qu’il a des pieds d’argile, cet État de droit.

Il y a cette espèce de bouche en cul-de-poule qui prétend ne jamais mentir
et qui a quelque chose du scorpion.
Nos “dirigeants” s’affublent volontiers de ces hypocrites atours-là
quand ils nous assènent ceci ou cela
et que ni cela ni ceci n’est la vérité…

À l’heure où les violences policières sont
– par le biais d’un mensonge déconcertant*,
aussi bien que par une autiste tautologie –
niées
(il ne saurait y avoir de violences policières dans une État de droit.
Nous sommes dans un État de droit.
Donc, les violences policières n’existent pas),
on ne peut que constater que la vérité officielle n’est qu’un enfant
fait dans le dos de la réalité
et qu’il s’appelle mensonge d’État.

La force du pouvoir aujourd’hui
– mais la chose n’est pas si nouvelle que ça, hélas –
est sa cynique organisation.
Il sait qu’il suffit de tourner en dérision ce qui est l’âme des idées
qu’il s’était pourtant engagé, aux seules fins de se faire élire, et qui l’ont fait élire,
à mettre en place. 

Peut-être hélas, la vulgarité aidant, ont-ils (ces gens-là, de pouvoir)
réussi à faire dire à une cohorte de mots
à la fois ce qu’il sont et le mépris dans lequel ils les tiennent.

Et, pour ce faire, ils ont déployé un petit, tout petit arsenal
fait de condescendance, d’indifférence, de cynisme.
Un de ces cocktails dans lesquels ils sont passés maîtres.

Ce faisant, ils ont consciencieusement passé au laminoir de leur arrogance
les plus belles idées, les plus généreuses – les plus irréalistes sans doute aussi
(mais n’est-ce pas la gloire en même temps que la contradiction de l’homme
que de pouvoir s’offrir des idées farfelues ?)



(à suivre)

* Le mensonge en question, c’est celui qui est asséné de manière tellement péremptoire – et fallacieuse – qu’il en vient à déconcerter celui qui l’entend. L’auditeur, en effet, a du mal à concevoir comment on peut proférer des faussetés aussi évidentes et massives en piétinant les règles élémentaires de la logique et du respect des faits – sans lesquelles il n’y a plus de discussion possible – en comptant sur la crédulité du public non-informé.

(merci à Laurent Joffrin du journal Libération pour cette information)