Troisième des treize étapes de ces lectures que je vous propose cet été.
Les illustrations, je le rappellerai à chaque édition, sont des créations originales de

Gaëlle Boissonnard dont on peut visiter le site ici.


III. Le cahier rejeté par l’océan


Ásgerður avait passé un long temps de sa soirée au bord de l’océan.
Presque la nuit. 
À cette époque des cycles il n’était pas gelé. 

L’eau, quand elle retrouvait sa liquidité,
avait souvent troublé la jeune femme rousse.
Elle lui prêtait des voyages toujours interrompus
qu’elle entrevoyait comme de vénéneuses sexualités.

Ásgerður aimait ces moments où le froid quittait l’île
pour aller se réfugier “plus au nord encore”.
Parce que, oui, il y avait “plus au nord encore”, 
les marins en revenant lui en avaient parlé.

Ce soir, sans la neige on pouvait voir le ciel. 

Et Ásgerður s’était sentie renaître.
Une chaleur dans le ventre. Ne lui manquait qu’une histoire.
Elle avait toujours rêvé d’histoires.
Mais elle n’avait jamais eu que celles qu’elle se racontait. 
On a besoin d’ailleurs parfois. 
On sait rarement où les trouver.

Les pensées d’Ásgerður s’étaient adonnées
aux mystères inavouables des rêves 
qu’elle entretenait avec le soin méticuleux 
de quand on fait couver le feu dans la cheminée.

L’océan, comme un désespoir cesse de vivre, 
gentiment grognait encore un peu. 
Arrivé, fatigué, en fin de vaguelettes, 
il se contentait de tintinnabuler sur un zeste de sol glacé. 

Ásgerður, toute à ses pensées, 
faillit marcher sur le cahier par l’océan rejeté. 
Ç’aurait été un comble. Mais non.

Elle se pencha, le prit, ne comprit pas d’où il venait, 
ne sut pas s’il y avait quelque chose à déduire de cette irruption-là
– un cahier mouillé ! 
Elle ne sut jamais non plus pourquoi elle le serra d’abord là et puis là.
Comme un fétiche.
Les histoires ne s’avouent pas.

Précautionneusement Ásgerður l’ouvrit.

Elle picora dans le cahier par l’océan rejeté, 
dans l’espoir d’y trouver quelques-uns des secrets
qu’elle ne pouvait s’offrir
et qu’elle aurait depuis toujours voulu voler… 

Elle espérait une histoire, 
mais le cahier ne parlait pas sa langue. 
C’étaient des étrangetés qui lui racontaient 
des histoires qu’il lui restait à inventer.



Parfois, quand les glaces se retirent, 
de plus en plus longtemps, 
Ásgerður se promène au bord de l’océan. 
Elle n’y trouve pas de cahiers rejetés. 
Elle retrouve sa mélancolie d’avant.