(Lire ou relire l’épisode 1)

Les deux petits se sont réveillés.
Il veulent connaître la suite de la fable.
Comment leur en vouloir ?
C’est la petite qui a beaucoup insisté.
Plus jeune elle est aussi plus curieuse.Vous la verriez, à coup sûr, elle vous ferait craquer.
Mais je m’égare.

Il faut reprendre.

Où en étais-je ?

Ah, oui,
les Uns, les Autres, les Jean, les Serre-Jean…
Et cette langue de terre qui donne sur la mer. Généreusement.

Au début, je le disais,
les choses entre les Uns et les Autres,
tant bien que mal,
de temps à autre bousculées, c’est vrai,
s’épousaient.
On s’interrogeait, mais c’était bien de s’interroger.
On n’était ni dans l’indifférence ni dans l’animosité.
On était dans la découverte.
C’est une fable.

Vint le moment pourtant où
les Uns, minoritaires, se sentirent à l’étroit,
entourés de tous ces Autres
dont ils ne partageaient pas la cuisine,
pas la religion,
pas la langue,
et dieu sait encore quoi.

Lentement, ils se replièrent, firent groupe.
Entre eux.
Les Uns sans les Autres.

Que ce soit chez les Uns ou chez les Autres,
les efforts d’apprendre la langue de l’autre s’étiolèrent,
sauf quand il s’agissait de faire commerce.
Mais, même dans le commerce, on commençait à se méfier.

C’est une tentation qu’à l’homme souvent
de n’aller que vers ce qui lui ressemble,
de n’échanger qu’avec ce qu’il connaît déjà,
de se garder de ce qu’il ne connaît pas.

Les Uns, autant que les autres,
avaient, dans un premier temps,
voulu ignorer cette triste réalité-là.
Les Uns pas plus que les Autres,
aujourd’hui, n’y échappaient.

Et pour ce qui était du commerce entre eux,
on eut vite fait de décréter les Uns si habiles
que ça ne pouvait être que malhonnêteté
qui obligatoirement nuirait aux Autres
et, plus généralement aux Jean.
On disait ça.
Très vite les Jean
voulant obéir aux Serre-Jean,
le prétendirent.
L’idée, partout fut colportée.
C’était facile et, à y bien réfléchir, tellement grotesque.

On n’est jamais aussi bien que chez soi, entend-on dire
quand on oublie ce que nous a apporté l’Étranger.

Voilà, ça devenait ça.
Les Uns, pour les Autres, devenaient Étrangers.
Et les Autres pour les Uns.

Il se trouve que, ailleurs dans le monde,
un peu partout,
suite à des horreurs dont cette fable ne saurait être le sujet,
des millions d’Uns,
de ceux qui n’avaient pas été massacrés,
avaient été disséminés.
Afin de survivre à ces horreurs sans nom,
ils s’étaient éparpillés,
l’avaient parfois été par ordre de Serre-Jean mal intentionnés
qui voulaient non pas les protéger comme ils auraient dû,
mais les chasser, s’en débarrasser, voire les éradiquer,
appuyés,
lâchement appuyés,
par des Jean, complices,
qui, ma foi, n’en avaient que faire,
de ces Uns qui n’étaient décidément pas
comme on aurait voulu qu’ils soient…

En Ailleurs,
les Uns,
isolés au milieu des Autres,
se crispèrent.
Et les Autres firent de même.
Comment ne pas ?

Ils étaient de plus en plus nombreux,
ces Uns, venus du monde entier,
à vouloir rejoindre la communauté installée en Ailleurs,
s’y réfugier,
rassembler leur nation dispersée,
et se reconstruire un pays, depuis très longtemps perdu.
Mais où ?
Ça prend de la place un pays.
Où ?
Pourquoi pas là, en Ailleurs ?
N’y avaient-ils pas de très ancestrales racines ?

Des Serre-Jean d’au-delà des mers et des océans
qui se sentaient vaguement coupables
de ne les avoir pas protégés
lors des horreurs
dont cette fable ne parlera pas,
se regroupèrent sous diverses bannières
pour leur venir en aide,
au mépris parfois, et de plus en plus souvent,
des attentes souvent légitimes des Autres
qui avaient fait de l’Ailleurs leur pays
et qui ne comprenaient pas qu’on les spolie
(c’est le sentiment qu’ils avaient)
d’une partie de leur langue de terre qui donnait sur la mer
aux fins d’y accueillir ces Uns
qui avaient échappé à l’horreur.

La situation devenait de plus en plus difficile.
Les Autres vouaient aux Uns une détestation chaque jour grandissante.
Les Uns rendaient coup pour coup.

Le bruit des armes ne sauraient tarder.

Ailleurs donnait toujours sur la mer,
mais quelque chose s’était brisé.

C’est étonnant,
malgré la fureur et les bruits de discorde,
Gaspard et Brune
se sont rendormis.

On les laisse dormir ?

Vous voulez bien ?

(Épisode 3 Ici)