C’est une fable, bien sûr ce n’est qu’une fable.
Simpliste et réductrice comme toutes les fables.

Et pourtant,
deux enfants cherchent le sommeil.
Alors, dans l’espoir qu’ils dorment, je raconte.

Voici.

C’est là-bas,
dans une zone de l’espace terre qu’on appellera l’Ailleurs
que tout se passe depuis le commencement, il y a longtemps.
Peu importent les dates.
Les fables, amoureuses d’indéfini, ne connaissent pas de dates.

Au départ, ce n’est pas vraiment un pays au sens où on l’entend ordinairement, l’Ailleurs.
C’est une langue de terre qui généreusement donne sur la mer.
On imagine qu’on y peut pêcher et vivre et échanger et s’aimer.
On y est commerçant, artisan, marin, poète, voyageur, maître d’école, comme ailleurs…

Les femmes y font ceci, sachant faire cela,
les hommes y font cela, sans toujours être capables de faire ceci.

La vie, quoi.

Un pays, l’Ailleurs ?
Ce n’est pas, au début de notre fable, le propos.
Du reste, il ne suffit pas d’une déclaration et de frontières pour être un pays,
il faut aussi une reconnaissance.
Et cette reconnaissance,
elle dépend de mille et une choses dont seuls, dans notre fable,
les Serre-Jean ont le secret.

On appelle les Serre-Jean ceux qui régissent le monde
et dictent aux Jean – l’ensemble des peuples du monde –
ce dont ils ont besoin
et comment ils doivent se soumettre pour y arriver.

Les Serre-Jean sont des Jean parvenus,
par quelques vilaines bricoles le plus souvent,
à s’imposer aux Jean,
à se dire plus importants.

Prétendre est leur langage.

Ainsi prétendent-ils, entre autres choses,
pouvoir régler les problèmes des Jean.
Des problèmes que les Jean ignorent avoir
ou, plus simplement, n’ont pas.
Ou, plus souvent encore des problèmes
qui leur viennent des Serre-Jean eux-mêmes.

Ce n’est pas simple tout ça.

Les Serre-Jean dont il est question ici
vivent partout dans le monde,
mais de préférence ailleurs qu’en Ailleurs.
Ils vivent dans une partie du monde qui s’appelle le Partout.
Plus exactement, c’est là où ils vivent qu’est le Partout.
Si bien que le Partout existe un peu partout.
Même ailleurs ? Même, oui. En Ailleurs aussi ? Oui.

Depuis longtemps ils se sont emparés des pouvoirs,
même des plus bénins,
des plus apparemment inoffensifs,
ceux qui sont à la source des autodéterminations.

Ils ont, prétendent-ils,
une vision précise de ce que doit être le monde,
un monde qui génère ce qu’il faut de richesses, de progrès, d’égoïsmes.
Parce qu’ils savent que les égoïsmes divisent et qu’il faut diviser pour régner.
Et que régner semble être chez eux plus qu’une philosophie, un objectif, leur Graal.

Et quand il n’y en a pas assez, d’égoïsmes,
on peut toujours en insuffler,
dans ce monde dont ils ont fait leur propriété,
par une petite guerre qu’on appelle discorde, désaccord ou conflit,
dont ils ne maîtrisent pas toujours les dérives,
mais bon,
on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs…

L’Ailleurs donc, je le disais, n’était pas vraiment un pays,
mais sans doute était-ce une Nation.
Appelons-la les Autres.

Une nation, ça se reconnait à des rites, à une langue, à une appartenance, à un désir commun, à des règles communes, à que sais-je d’autre encore. Des croyances, sans doute. Un sol, le plus souvent.
Mais pas toujours. Il existe des nations nomades.
Jusque-là, les Autres sont sédentaires.

Mais une nation se doit aussi de ne pas être excluante.
Une nation sait qu’elle ne peut pas se fossiliser,
qu’elle ne trouve de vie que dans l’échange avec les différences.
Elle a son identité, c’est vrai,
mais elle est faite, cette identité,
de tellement d’autres.

Et donc, sur l’Ailleurs, cette langue de terre qui donne sur la mer,
vit aussi une minorité qui ne partage pas avec les Autres les mêmes traditions,
le même passé, la même Histoire, la même langue.

Ce sont les Uns.
On dit qu’ils viennent d’ailleurs, mais ce n’est pas sûr.
Les caresses chez eux sont-elles différentes ?
Dans leur langue disent-ils autre chose ?
Les Autres ne savent pas.

On se refuse ? On s’accepte ?
Que disent les Jean ?
Qu’ordonnent les Serre-Jean ?

Pour les Uns, les Autres sont « autres ».
Ça tombe bien, pour les Autres, les Uns le sont aussi.

Au départ, ça se passe comme ça.
Pas toujours confortablement, non,
mais globalement ça va.

On tente de se comprendre, on se caresse parfois, on s’aime.
On s’engueule aussi.

Il y a donc, à ce stade-là,
les Uns, les Autres, les Jean, les Serre-Jean.
Et une langue de terre qui généreusement donne sur la mer.

Les enfants se sont endormis.

On continue ?

On continuera plus tard.

Épisode 2 ici