Je ne sais pas vous, mais moi, jour après jour,
je crois entrevoir que ce qui se révèle au cœur de ce confinement,
– censé nous avoir été imposé pour notre bien et le bien de tous
c’est ce certain glissement du sens des mots
en même temps que de celui de ce qui nous est
peut-être davantage infligé que, disons, salutairement imposé.

Ainsi, il aurait pu sembler intéressant, voire normal, naturel,
pour tout dire humain, en tous cas bienvenu,
que, confinés, nous ayons été consultés, accompagnés, aidés
et non pas surveillés, réprimés, infantilisés, menacés.

Un sentiment de solidarité sans doute, mais pas seulement,
nous aurait comme liés à la difficile décision prise par le Pouvoir
(car, ne nous leurrons pas, il ne s’agit ici que de pouvoir et non de gouvernance),
et nous aurions peut-être pu alors,
n’étant pas traités comme des gamins,
mettre dans la balance du confinement le poids de notre bienveillance.
Une espèce d’Union Sacrée, d’entente, de pacte, de Paix des Braves, en quelque sorte…

Il se trouve qu’il n’en a pas été, qu’il n’en est pas ainsi.
Le Pouvoir ne sait pas parler aux enfants. C’est définitif.
Moins encore aux adultes qu’il infantilise.
Sans doute cesserait-il, s’il y parvenait, d’être ce pouvoir arrogant
dont, à ses yeux, la nature même est d’avoir en tout raison.
Et de pouvoir dès lors imposer à tous cette raison.

Le confinement pour le bien de tous s’est tôt mué en assignation à résidence,
et nos allées et venues d’emblée confondues avec les principes de la liberté surveillée

Bientôt, nous est-il dit, un début de « déconfinement ».
Comprenne qui pourra ce mot qui doit sans doute être au confinement
ce qu’est la déconfiture à la confiture.

De quel déconfinement (progressif, comme il est dit) s’agira-t-il ?
D’un rabotage acquis de certaines de nos libertés,
mises à mal au cours de ces dernières semaines,
ou d’une restitution totale de tous nos droits ?
La mise en place pour le bien de tous de surveillances numériques
nous fait craindre le pire.
Comment le Pouvoir (ce Pouvoir-là !) pourrait-il demain se priver des privilèges
obtenus sans le moindre vote sous prétexte d’urgence ?
Comment pourrait-il opter pour une humilité qui ne lui ressemble pas
au détriment d’un autoritarisme qui,
même s’il aime à le cacher,
est sa vraie identité ?

Je ne sais pas vous, mais moi je trouve que ça ne sent pas bon la confiture.

À suivre.
Avec vigilance.



Un appel intéressant et qui concerne peu ou prou le même sujet, ICI



Autre chose.
Je vous donne à lire là ceci.
Qui nous interroge, j’imagine.

(…)
« Mais si c’était l’exil, dans la majorité des cas c’était l’exil chez soi. Et quoique le narrateur n’ait connu que l’exil de tout le monde, il ne doit pas oublier ceux, comme le journaliste Rambert ou d’autres, pour qui, au contraire, les peines de la séparation s’amplifièrent du fait que, voyageurs surpris par la peste et retenus dans la ville, ils se trouvaient éloignés à la fois de l’être qu’ils ne pouvaient rejoindre et du pays qui était le leur. Dans l’exil général, ils étaient les plus exilés, car si le temps suscitait chez eux, comme chez tous, l’angoisse qui lui est propre, ils étaient attachés aussi à l’espace et se heurtaient sans cesse aux murs qui séparaient leur refuge empesté de leur patrie perdue. C’étaient eux sans doute qu’on voyait errer à toute heure du jour dans la ville poussiéreuse, appelant en silence des soirs qu’ils étaient seuls à connaître, et les matins de leur pays. Ils nourrissaient alors leur mal de signes impondérables et de messages déconcertants comme un vol d’hirondelles, une rosée de couchant, ou ces rayons bizarres que le soleil abandonne parfois dans les rues désertes. Ce monde extérieur qui peut toujours sauver de tout, ils fermaient les yeux sur lui, entêtés qu’ils étaient à caresser leurs chimères trop réelles et à poursuivre de toutes leurs forces les images d’une terre où une certaine lumière, deux ou trois collines, l’arbre favori et des visages de femmes composaient un climat pour eux irremplaçable. » (…)


Ça date de 1947.
C’est un court extrait de La Peste de Camus.


À bientôt ?