C’est une rue qui n‘existe pas, qui n’est qu’une éventualité.
Imaginaire. Encore que. Comme condensée.
Nécessaire pour relier les quartiers comme ci aux quartiers comme ça.
Pas davantage.
Vous voyez un peu ?
Un goulet, une erreur, une travée
où on ne fait le plus souvent que passer
pour aller de là à là qui n’existent pas, ou si peu.

C’est une rue en déshérence. Sauf les rez-de-chaussée.
Une déroute qui flaire les kebabs majoritairement.
On n’y vit pas. On n’y fait que commercer.

À deux pas, au-delà de la place,
la petite boutique italienne vient de fermer.
C’est dommage.
Sur la place, la pharmacie fait des affaires de pharmacie.
C’est dans l’air du temps,
on a créé des maladies, puis les malades qui vont avec.
Plus loin, revendu, racheté,
le petit resto viet est devenu une mangeoire sans âme,
personne n’y mange, c’est un investissement.

C’est un boyau où on ne se promène pas, qu’on traverse.
À grandes enjambées.
Des enfants pleurent parfois. Preuve qu’il y a des parents.
Ou qu’il n’y en a pas vraiment. Ou qu’ils sont trop occupés.
Ou que la douleur ça existe aussi beaucoup chez les enfants.

C’est une rue un peu méchante qui en veut au soleil de ne pas y entrer.
Ou alors un quart d’heure, et encore, par beau temps. Évidemment.
C’est bourré de ces restos rapides
qui n’ont jamais qu’un temps.
On y est afghan, thaï, libanais, italien momentanément.
On y est livreur Uber exploité plus que client choyé généralement.

C‘est une rue aux trottoirs rognés d’automobiles,
faute d’espace, on y marche en file indienne.
À gauche, on va vers; à droite on vient de.
Obéissance marquée. Servitude codée.

J’y passe quotidiennement. Pour aller à, en venant du petit appartement.
Je dis bonjour à des inconnus que je connais de vue.
On me dit bonjour en retour.
On m’y demande trois sous, j’y donne trois sous.
Rituel solidaire. Bonne conscience peut-être.

L’autre jour même, on m’y a demandé des nouvelles de toi.
J’ai cru qu’on se trompait de moi.
Mais non, c’était bien de toi qu’il s’agissait.
La description en tous cas te ressemblait.
C’était bien.
Un être humain parlait d’un être humain à un autre être humain.
C’était si simple.
Pourtant, j’ai oublié de sourire.
On s’use.

Je m’en veux.