Il ne sait pas s’il regarde ce qui semble le regarder
ou s’il ne fait que voir, apercevoir, deviner,
tant tout lui semble étranger.

En même temps, il y a,
lors de ses pérégrinations (très locales, de petites routines),
de ce qu’il entr’aperçoit,
une matérialité
qui ne fait aucun doute.

Dommage,
ce qui le touche, lui, c’est précisément le doute.
C’est ce qu’il croit voir derrière les choses
dont il se dit souvent
qu’il ne les voit pas.

C’est pareil avec la pensée.
Il pense par préférence ce qu’il ne pense pas,
pas vraiment en tous cas.
Par ricochet.
Mais, même ça, il ne le pense pas.
Il se sent si désespérément seul avec ses pensées.
Je ne sais pas si vous voyez.

Réfléchir, se dit-il, est l’affaire des miroirs.
Mais ça, c’est une boutade qu’il s’autorise
face précisément au miroir.
Même lui ne fait que semblant d’y croire.
Ça le fait sourire quelques secondes,
et puis.

Mais je m’égare.

Il y a ce mot “nébuleux”,
qu’il prononce plutôt au féminin “nébuleuse”,
il ne sait pas pourquoi,
mais qui, à ses yeux, explique mieux.
Peut-être parce que, homme,
il ne sait pas penser au féminin,
et qu’il a besoin de cette incongruité.

Il ne sait pas que c’est une incongruité.

Là, il se promène dans la ville
qu’il n‘est jamais parvenu à faire sienne.
Il n’a jamais maîtrisé aucune résidence dans aucune ville.
C’est un trou errant qui s’est fixé à un endroit.

La ville, s‘était-il dit, c’est les gens qui y vivent.
Mais les gens ne l’entendent pas comme ça.
La ville, c’est un territoire qui impose ses lois,
d’indifférence parfois.
À moins de t’y délayer tu en es ou tu n’en es pas.

Il se promène donc, étranger.
Les fenêtres le regardent
comme disait qui vous savez.

Il ne sait pas pourquoi elles le regardent
si méchamment que ça.

Il se sent,
non, il ne se sent pas.
Nébuleuse, se dit-il, sensation
de n’être pas légitime là.

Et il s’en va
sans larmes.
Parfois, il a l’étrange faiblesse
de se prendre dans ses bras.
Pas une faiblesse…
Une douceur. C’est plus rare.

Une vieille femme courbée à angle droit,
passe sur le trottoir d’en face.
Il est du bon côté,
il rentre chez lui,
retrouver une solitude
qui n’appartient qu’à lui.
Ça ne se partage pas.

Ce soir il dormira.

D’autres,
moins bien que lui.