JOUR 5

Et là, hop ! Volp se met à danser.
Il fait ça parfois. Comme il peut. 
Aujourd’hui, c’est cahin-caha, la cheville couine un peu, mais ça va.
Alors, prudemment, il danse.
Et chante aussi.
Pas très juste, mais ça ne le préoccupe pas, on n’est pas à l’Opéra.
Du reste, Volp n’aime pas trop l’Opéra. Sauf une fois.
C’était d’un compositeur tchèque. Il ne se souvient pas.
Il demandera à Simon. Simon, lui, connaît bien ces choses-là, il se rappellera, Simon.

Là, rue Ramponeau, c’est encore l’aube,
ou quelque chose comme ça, et il danse et chante donc. 

On est chez lui entre cuisine et salon,
c’est pas très grand, on vous l’a dit peut-être déjà, je ne me souviens pas,
mais, dès lors qu’on écoute, qu’on prend la peine de rêver,
c’est aussi vaste que le Village Vanguard de New-York, ou peu s’en faut,
même si le Village Vanguard est petit, cent-vingt places à tout casser…

Volp imagine et rêve ça, en tous cas.
Et quand il rêve, Volp, tout devient réalité.
Il est comme ça.
Une voix, une guitare,
ça lui prend des allures de big band à la Thad Jones & Mel Lewis,
et on est projeté au Blue Note, 131 W 3rd St, New York,
ou à la Zorra y el Cuervo Jazz Club, à La Habana, Cuba,
rythmes lassés, guitares lascives, trompettes,
et le joyeux bordel de Cuba,
et les femmes qui fument des Habanos effilochés pour faire la nique aux soumissions. 
C’est dire l’imagination de Volp…

Là, c’est Melissa Laveaux, guitare et voix.

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Et Volp pousse plus encore, sans respect de la paix des autres, le volume de la hi-fi,
ondule un peu plus ostensiblement malgré la patte qui fout le camp.
Les voisins, confinés, n’apprécient, on s’en doute, que modérément.
Les gens tout de même !

Dans la cuisine, dans un wok à deux balles rapporté d’on ne saura où,
au cœur d’un filet d’huile de sésame grillé,
trois quatre sardines en ont fini de s’inquiéter. 
Reliquats de repas.

Et s’obstine la musique.
Suffit parfois d’une poignée de décibels pour vous chanter une vie, s’est dit Volp.
Alors il danse,
jette de temps à autre un regard au grand miroir qu’il déteste (je voudrais vous y voir),
posé vertical à même le sol du hall d’entrée faute d’avoir pu y être accroché,
mais où voudriez-vous ? la place manque, étagères et livres un peu partout. Il y jette parfois un regard et c’est sa silhouette un peu lourde qui lui adresse un clin d’œil.
Ça lui permet de ne vouloir pas être là, ça lui permet de danser, quoi.
Seul chez lui. De s’oublier ?
Mais on s’égare.

C’est pas tout ça.
En réalité, Volp, s’il écoute l’éternelle musiquette “Favorite things”,
c’est en enfilant une ultime veste qui indolemment pendait
sur un cintre dans le ventre d’une garde-robe improvisée
(tissu à fleurs et structure en bambou),
qu’il ondule et passe à la cuisine piquer
un peu de la chair d’une froide sardine. 

C’est que le rêve s’épuise et qu’il va falloir se bouger
si on veut payer ce loyer déjà très en retard.
Chercher de quoi.
Même si Simon, le vieux bouquiniste-épicier-caviste-trafics-en-tous-genres,
propriétaire du lieu Ramponeau, ne manque pas de patience.
Ça fait partie de ces choses que Volp aime chez Simon.
On a beau dire, ça facilite. 

Mais un samedi ? Trouver du turbin un samedi ?
Et puis, Caramba, on est confinés, tout est fermé !
Autant dire, zéro chance d’en trouver.

Alors, laser ! Musique !
Chauffe, Bobby !

Bobby McFerrin, voix (et c’est tout).

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Alors ? À demain ?