JOUR 3

Ça y est, voilà qu’elle lui revient.
Comme si elle était née de ce confinement.
Ça fait trois jours qu’elle le hante.
Avec sa complicité, sans doute, mais elle le hante,
la musiquette des Favorite things.
À force d’en être privé par les circonstances,
Volp rumine ces choses préférées auxquelles il ne songeait jamais.
On ne pense pas assez aux petits bonheurs dont on ne se prive pas, se dit-il.
Jusqu’au moment où on en est privé.
Volp n’est jamais, quand il pense, avare de ces banalités.
Il est comme ça.
Il prend pour de la philosophie la moindre de ses ratiocinations.

Alors, il la réécoute en boucle, la musiquette My favorites things.



[mp3j track= »https://usercontent.one/wp/leblog.baobabcreation.fr/wp-content/uploads/2020/04/Elise-Caron-Sylvaine-Helary.mp3″ title= »Elise Caron & Sylvaine Helary » fontsize= »15px » flip= »y »]


Une voix, une flûte.
Ben non, pas une voix une flûte.
Une voix, des flûtes.
Ben non pas une voix, des flûtes.
Des voix, des flûtes.
Mais deux musiciennes.
Il s’emmêle un peu les pinceaux, Volp.
Une chanteuse, une flutiste, ça vous va ?
Faut tout vous dire !
On n’en dit pas plus.

Affaissé sur son sofa rouge,
dans les oreilles la musiquette par Caron et Helary,
(ça vous caresse gentiment les tympans, sans agressivité, sans génie non plus),
Volp essaie de se sentir bien.
Embrocation de petits pois surgelés dégoulinant sur la cheville…
Oups ! j’ai oublié de vous parler de l’incident Dahlem.

C’est qu’il ne supportait plus, hier soir, de rester assigné à résidence.
Alors, il est un peu sorti, le Volp.
Une petite virée en catimini chez son ami Simon Dalhem,
le vieux bouquiniste qui fait aussi office d’épicier de nuit,
de caviste,
et de toutes sortes d’autres choses,
dont on ne parlera pas ici,
sait-on jamais.
Ouvert jusqu’à pas d’heure.
Je vous filerai l’adresse, si vous voulez.
Mais discrétion, hein !

Volp ne sait jamais trop s’il y vient pour acheter ou pour vendre.
Il n’a jamais saisi la nuance. 
Pour lui un type vendu est toujours un type acheté.
Ou alors inversement, se dit-il quand il se dit.
Volp, dès lors, ne sait jamais, disais-je.
Tellement à acheter et presque jamais rien à vendre.
Quand il lui arrive de s’en rendre compte, il achète en rêve,
ou alors, parfois un peu vraiment, des broutilles pour des étagères,
parfois trois fois rien de plus, parfois pour un cadeau,
jamais ce qu’il aurait aimé.
Ou alors, c’est une partition, la dernière, il se jure que ce sera la dernière,
de Benny Goodman, comme ça.
Mais le plus souvent, il se contente de boire une petite boukha avec le vieux Simon.
Comme hier soir.

Ils n’avaient pas vu grand monde de la journée. Les circonstances…
Alors, ils ont parlé, parlé.
De ce qui n’existe pas, de la santé de Simon, de musique,
de ce qui ne va pas.
Ils sont intarissables quand ça part par là.
Ils ont tapé sans modération dans le flacon de boukha, l’ont tué.
Puis Volp s’en va, Salut Simon.
Et là, ça claudique ferme.
On s’en fout, bien sûr qu’on s’en fout, mais ça craint un peu quand même.

Et il entre dans la nuit flottante qui le sépare de Ramponeau.
Et du troisième étage.
Si on y prête attention, on le découvre un peu pathétique là, Volp.
C’est le dernier verre qui lui ravage la tête
et l’idée du clavier de Mehldau qui la lui mange.
My favorite things. Au piano.



[mp3j track= »https://usercontent.one/wp/leblog.baobabcreation.fr/wp-content/uploads/2020/04/Brad-Mehldau.mp3″ title= »Brad Mehldau » fontsize= »15px » flip= »y »]



Trois étages.
Bon, on y va ? Pas un peu qu’on y va.
Un, puis deux, puis trois.
On y est. Presque.
C’est alors que, sans crier gare,
le fait couiner puis chuter une sorte de coup de couteau en bas à gauche,
aux environs immédiats du pied, et le feulement d’une déchirure…
Volp affalé dans un imper gris au sommet de l’escalier a la cheville en feu.
Dans un gémissement de cric, il se redresse.
Tant bien que mal, et c’est pas du gâteau.
La boukha.

C’était hier soir. Ça ressemblait à cette nuit.

Et donc :
Volp essaie de se sentir bien.
Embrocation de petits pois surgelés dégoulinant sur la cheville…


Et Brad Mehldau.
Et c’est un gouffre qui monte.
Un gouffre ascendant.

À demain ?