On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
On l’entend sans cesse, cette ritournelle-là,
pas toujours chez les gens bien intentionnés.
Elle nous autorise, semblerait-il, à ne pas réfléchir.

Comme si les pires mensonges,
les pires égoïsmes,
les cyniques calculs,
à force d’être répétés,
pouvaient nous servir de vérité(s), de Bible quasiment.

Notre bonne conscience aurait-elle un tel besoin
d’être en permanence nourrie de certitudes, même fausses ?

Un très éclairant – en même temps qu’important – petit livre,
édité ces jours-ci aux éditions Anamosa*,
nous rappelle, sans confort ni condescendance,
et avec une rigueur intellectuelle qui donne envie de vivre,
nos trop faciles acceptations, suscitées, il est vrai,
par des Pouvoirs qui ne se privent pas de nous manipuler…

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
Comme le bilan d’un chef d’entreprise
qui compte et recompte ce qui lui reste de stock,
et qui se demande de quoi demain sera fait,
s’il ne va pas falloir, pour préserver son train de vie,
se séparer de l’un ou l’autre de ces travailleurs
auxquels il doit pourtant de n’avoir pas crevé…

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
Cette sentence de mort avec laquelle il faut en finir,
nous expliquent, à la fois savamment et didactiquement,
Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens
(respectivement philosophe et expert juriste),
nous la faisons nôtre à chaque fois que nous plaçons notre confort
au-dessus de nos capacités de questionnement,
quand en tous cas, il nous en reste.
Il est question d’oubli, organisé par soi-même peut-être,
de la plus élémentaire humanité.
Il est vrai que l’Humanité apprend petit à petit,
mais immensément vite,
à se passer d’humanité.
Il semble en tous les cas que la chose ne lui manque pas,
ne lui manquera que quand elle pourra s’acheter, être consommée,
avec, de préférence, une promo à la clé.

La misère du monde entier.
Nous en faisons très largement partie.
Mais ça – telle est notre arrogance – nous avons voulu l’oublier.

*Anamosa signifie en sauk, une langue amérindienne, “Tu marches avec moi”.
Un très beau programme.





À bientôt ?