Regarder les listes écrites ou non
de choses à faire,
de ces choses qu’on s’est résolu,
forcé par soi, par la fatigue ou, peut-être, la peur de soi,
à ne pas faire.

Je dis regarder, je ne dis pas lire ou relire, non.
Regarder. 
En avoir seulement la conscience.
À peine. Filigrane.
Et trouver ça énorme.
Trouver vertigineux le vide qui suit le n’avoir pas fait.

C’est comme relire un Journal qu’on aurait écrit il y a mille ans.
Fait de regrets (le temps fait son ouvrage).

Je n’écris pas de journal.
Je garde pour moi mes regrets.
Si bien que ne restent bientôt que peu de choses à dire
ici, ailleurs, ou même nulle part,
encore moins à écrire.

Et pourtant.
On s’obstine à faire que bouge encore un tant soit peu la pensée.
Non pas qu’on en espère qu’elle s’agite
comme un jeune gardon au bout d’une canne,
mais qu’elle continue de frémir, 
avec ce qu’on pourrait lui offrir de lucidité,
avec ce qu’on pourrait lui livrer de cœur aussi,
de révolte.
C’est si absolument nécessaire, la révolte.
Ça aide à chérir.

Nous vient le souci de savoir,
avant même que de commencer à penser,
si on ne se trompe pas sur tout,
si on ne s’est pas toujours trompé.
On se demande.

Le sourire, par exemple,
que j’adresse à un vieillard, à une vieillarde,
à un enfant, à une jeunesse qui passe,
est-il mon sourire,
je veux dire le mien,
celui que vraiment j’adresse ?

Et ce sourire, s’il ne l’est pas seulement,
qu’emballe-t-il d’autre que lui
qui mériterait d’être dit ?
Comment est-il compris et qu’exprime-t-il ?
Que suppose-t-il ?

Qu’on a un inimaginable besoin de rescousse, peut-être.
Qu’on a un inimaginable besoin de rescousse, sans doute.
Qu’on a un inimaginable besoin de rescousse, et puis on s’en va.

Comment savoir ?

Ce sourire que j’adresse
à une vieillarde donc, ou, ou, ou 
à ceci, à cela,
à un trois fois rien qui me ferait sourire,
à un bourgeon, que sais-je ? à une feuille tombée
et qui vole mieux que la plupart des autres,
à un cri d’alarme qui me ferait un signe,
à une vague qui meurt,
parce qu’on sait un jour qu’elles meurent, les vagues,
à une note de jazz devenue bleue,
au minerai d’un Chardonnay,
à la buée sur la cafetière qui n’en fait qu’à sa tête,
à la lecture
qui me le rendra,
et ce n’est pas si rare,

ce sourire,
je ne parviens pas à savoir s’il est vraiment le mien.

Alors, je me tourne vers le non-journal que je n’ai pas écrit,
que je n’écrirai pas.

Je lui demande mon avis.

Et comme il est mon miroir,
il me dit je ne sais pas.

Je lui souris une dernière fois.
Mais il s’est détourné.
Je ne saurai pas.