Un matin, on se lève,
pas très vaillant, j’en conviens.
C’est un peu souvent comme ça.
Non pas qu’on titube, n’exagérons pas, mais bon.
On quitte le lit et on se trimbale, rien de plus.
Il est tôt encore.
Le soleil à peine pointe le bout de son nez. Plein Est.

On vaque dans l’appartement qu’on tente d’habiter.
Il y a des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
comme aurait dit qui déjà ?
Et puis il y a un cœur qui ne sait plus pour quoi il bat,
dès lors que
les fruits, les fleurs, les feuilles et les branches…

La douche. 
De l’eau. 
Éviter la satiété. Trop précieuse.
On se dit que, d’une manière ou d’une autre,
il faut se limiter.
On regarde ce matin le jet d’eau autrement.
(on s’interroge sur le sens du mot trésor)
On se prend à accélérer le mouvement.
On fait vite, mais c’est plutôt bien.

Je dis on fait vite, mais non, on fait bref.
On prend son temps par ailleurs, mais c’est un autre temps,
fait d’autre chose, fait autrement.
L’urgence n’est plus la même,
qui bouleverse nos obsessions.
Des obsessions moins égoïstes ?
En tous cas, plus saines.
Économiser les biens qui nous sont donnés.
L’eau, tout ça.

Un ami me disait un soir où on n’avait plus rien à perdre
(on s’était dit déjà les mille choses qui ne servent à rien
sinon à un peu se réchauffer) :
un homme qui n’a plus faim ou soif devient crétin.
Je me suis brièvement demandé si ce ne serait pas bien
d’avoir soif et faim.
Ou s’il ne fallait pas devenir Africain.
Provocation ?
Tentation nihiliste ?
Envie, surtout, de ne pas me contenter.
Au risque de la honte ?
Pas de réponse. Silence.

Trouvé au hasard d’une lecture de Libé, l’autre jour

Donc, la douche.
Sortir de la douche.
Éviter le miroir.

On allume la radio
(j’écoute encore la radio, vous dire ma déliquescence !)
Des nouvelles qui ne servent à rien.
Plus personne ne croit ce qui est dit à la radio.
Aujourd’hui,
c’est la téloche qui prétendument dit les vérités à vingt heures.
Plus certainement (et plus fallacieusement encore),
les bibles hystériques des réseaux sots.
Les vérités, faut dire, ne sont pas très à la mode.
Réfléchir ?
Pas dans l’air du temps non plus.
Il nous est suggéré d’éviter.
On pense pour vous, merde !

Là, ce matin,
au sortir de la douche,
avant le p’tit déj, café équitable,
après l’annonce de la mort de Régine
(tremblement de terre culturel à la une quand même !)
on apprend (faits divers) que l’Inde, sous 50 degrés,
dégouline de la transpiration
de ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir la clim (devinez qui)
et qui souffrent, souffriront et mourront dans pas trop longtemps.
La radio n’est pas là pour nous faire réfléchir !
Elle ne nous dit pas que les femmes et les hommes
qui meurent là sont “distraitement” assassinés.
Son problème n’est pas là.
Elle veut qu’on sache, c’est tout. Point-barre.

On nous informe, on n’analyse pas, on cite, on répète, on déclare.
Vous comprenez ?
Elle est là pour sa petite musique de bonne conscience et d’ennui, la radio,
avec ses airs de vous à moi.

Régiiiiiine !

Je dis “la radio”, mais je pense “cette radio-là”.
On pourrait en imaginer une autre, mais non.
Régine est morte donc. Elle avait quatre-vingt-douze ans.
C’est un peu dans l’ordre des choses, non ?
Mais non ! c’est une info !
On pleure ?
On a le droit, bien sûr de pleurer.
Vous n’allez quand même pas nous empêcher de pleurer !

Mais ces Indiens qui seront sans doute encore de jeunes enfants
quand les canicules dont l’homme est responsable les étoufferont,
c’est l’ordre des choses ? dites-moi.
On aurait pu en faire un sujet à la radio.
Je me trompe ?
Le sujet n’est pas là. Il n’intéresse pas la radio.
Ça risquerait de nous révolter, tous ces indiens sacrifiés
sur l’autel d’un capitalisme qui, l’heure venue, saura se protéger.
La question ne se pose pas non plus de savoir si on les pleurera.

Car oui, les riches, et ceux qui veulent l’être à tout prix, s(er)ont à l’abri.
Ils pourront continuer à prétendre faire ruisseler sur les pauvres leurs richesses,
comme l’affirment de cyniques théories néo-capitalistes,
afin d’améliorer les conditions de vie des démunis.
Un mensonge permanent censé justifier toutes les inégalités du monde.
En polluant encore et encore ?
En engageant chaque jour plus d’esclaves à la mode nouveau monde ?

Les injustices ne manquent pas de ressources.
Tout va bien.

Et, merde ! a-t-on encore en nous les moyens de nous révolter pour d’autres ?

Régiiiiiine !

Un matin, on se lève,
on allume la radio.
Dans l’appartement,
il y a des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.
On croit que ça nous est dû.

Et puis il y a un cœur qui ne sait plus ni pourquoi ni pour quoi il bat,
dès lors que
les fruits,
les fleurs,
les feuilles
et les branches…

Bon, je vous laisse. Je suis fatigué.
Belle soirée à vous !

À bientôt ?