C’est Volp.
Il vient de grimper quatre à quatre – ou alors il se vante –
le bringuebalant colimaçon qui mène au troisième étage, rue Ramponeau,
de son petit appartement.
On l’a évoqué déjà.
Il est vingt heures cinquante-huit.
Et merde, se dit Volp,
c’est à peine le jour et c’est déjà la nuit.

Couvre-feu.
Merde, merde, merde, merde !

Elle est où la vie sans la nuit ? fait-il mine de se demander.
Sans la nuit, c’est l’ennui.
Volp ne résiste jamais à un mauvais jeu de mots, qu’il regrette toujours.

C’est peu dire qu’il maugrée, Volp.
Vous le connaissez,
il est un peu comme ça,
à s’énerver pour des trois fois rien qui sont tant et tant de choses.

Pas de Bœuf Indigo ce soir.
Pas plus que les soirs dont on nous dit qu’ils viendront
aussi noirs que celui-ci.
Pas de Boukha avec le vieux bouquiniste Dahlem,
pas d’espoir d’accidentellement croiser Sarah née Dielman,
pas de resto indo-pakistanais, champion de l’inhygiène
où trottent quelques innocentes souris.
Pas de, pas de, pas de…

Merde ! répète Volp deux ou trois ou quatre fois.
Couvre-feu, comme en temps de guerre,
menace plus que réconfort.
Ne pas sortir de chez soi.
D’un éventuel chez soi.

En même temps (oups !),
c’est l’occasion de réfléchir un peu à cette interdiction
qui nous est faite de vivre comme on veut, se dit-il.
Pas sûr qu’une fois qu’on aura réfléchi,
ceux qui nous imposent d’oublier de respirer comme on voudrait,
s’en trouveront bien.

Mais ce n’est pas à ça que pense Volp.
Même si quand même, oui, un peu.

Pour dire vrai, sous ses airs distraits,
Volp ne pense à rien qu’à beaucoup d’autres choses à la fois.
Ça se bouscule dans la caboche, toutes ces frustrations.
On s’étonne. Mais non.
Rien de tout ça pour nous n’est clair,
mais pour Volp oui.

Voilà, le glas a fait son ouvrage : vingt et une heures zéro trois.
Couvre-feu sur la ville.
On passe en direct
de la fin d’aprèm
à la nuit
sans la vie de la nuit.

Et Volp s’avachit dans le trop grand canapé rouge,
tous deux défraîchis (Volp et le canapé).

Un souvenir de quand il était gamin :
21 heures. Les dents, pipi, au lit.
Infantilisé donc.

Volp tourne en rond dans le petit appartement sous les toits.

Ni Miles ni Bird ni Duke n’ont de saveur
quand on coupe les ailes à la nuit, pense-t-il.

Il se trouve qu’il n’y a de vraie nuit que dehors.
Les cd sur la laser, ça remplace un tout petit peu,
mais les étoiles ne sont pas des étoiles
quand on les regarde de prison.

Dehors, sortir.
Ben non.

Se retrancher.
C’est ce qu’on veut de nous, pense Volp.
Et lui vient l’idée d’une perte d’innocence :
il se méfie.
Pas sûr que le jésuite manitou de la République,
ne soit pas un salaud.
On en a connu beaucoup des sincères dans les politiques sphères ?

Et Volp se demande ce qui est le plus masqué, de nous ou de la réalité.
Non qu’il imagine je ne sais quel complot, non !
C’est plutôt que la maladie va dans un certain bon sens quand elle interdit de respirer.

Il pense aussi : “Pourquoi ?
Pourquoi, ce matin, en quête de boulot,
je pouvais me frotter à d’autres, converser, rire (oui !)

dans des rames de métro bondées,
avec des centaines d’autres collés ?
Pourquoi, ce soir, je ne peux pas aller boire un pot, deviser, rêver ?

À ces pourquoi-là, Volp n’aime pas qu’il lui soit répondu “Parce que c’est comme ça”…

Il sent comme un glissement progressif vers un déplaisir auquel il ne peut rien.
Sensation d’être sur tout grugé.

Alors, il sort.
On verra bien.
Je l’accompagne.