Jour après jour. Le troisième…



J’ai conservé, sans le vouloir, cette naïveté : quand j’ouvre un livre, j’aime que ce soit un livre. Je m’attends à de la littérature. La vie, c’est-à-dire les autres et moi, la vie me suffit pour le reste. Mais lire, si c’est pour s’y retrouver, autant vaut téléphoner à son voisin et passer une soirée baliverneuse. Nous avons tous une idée de ce qu’est, de ce que devrait être, la littérature. Les uns lisent pour s’évader. (De quelles prisons ?) Les autres pour s’instruire. (À quelles fins ?) D’autres encore lisent parce qu’il vaut mieux fréquenter le langage écrit d’un homme que le langage parlé. D’où je ne déteste pas ma concierge; mais j’aime bien Mallarmé. Les deux, ma concierge et Mallarmé, me paraissent faire leur métier, avec les inconvénients d’usage.



Comment écrire des choses intéressantes à quelqu’un qui ne manquera pas de les trouver intéressantes ?



Si j’étais celui que croient que je suis les gens qui m’aiment en pensant me connaître, je ne les fréquenterais pas.



Non seulement je n’ai pas besoin de voir les gens que j’aime pour les aimer : j’ai besoin de ne pas les voir. Mais continuent-ils à m’aimer, eux ? Alors on se revoit.



Je veux bien me charger, me dire du mal de moi, relever comme un maniaque tous mes défauts. Ça ne me dérange pas. Impossible de me fâcher avec moi. Je veux bien tenter d’être vrai, de voir atrocement clair en moi-même. En conclure que la nature humaine est décidément peu recommandable. Mais cette sincérité, cette franchise – qui vont toujours vers le mal – ne me servent de rien. J’en profite aussi peu que de celles dont mes amis sont prodigues, quand j’ai le dos tourné.



N’avoir rien à cacher, sinon qu’on n’a rien à cacher.



Mon rêve – très réalisable – ce serait d’écrire ce qui me vient sur de petites cartes, comme de visite, en m’interdisant d’en utiliser plus d’une par occasion de penser. Je les jetterais dans une caisse, et tous les cinquante ans, ferais le tri. Je les numéroterais.



Trop vieux pour se marier, il prit une jeune maîtresse.



Je ne crois pas que l’amour soit nécessaire – c’est plutôt le contraire – pour former un monde ou l’amour soit possible.


Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire


À demain ?