On n’y avait plus pensé depuis longtemps,
et puis là, un matin,
le voilà qui déboule dans notre esprit.
Et s’y installe
comme s’il était chez lui.
On ne l’avait pas oublié, non.
Sa lecture nous était restée là, dans l’âme plus que dans la tête,
voilà tout.

Ne pas savoir pourquoi est sans doute la meilleure des raisons.

Pourquoi ai-je aujourd’hui envie de partager ici, sur ce blog,
quelques-uns des bonheurs qui me sont ce matin revenus
des lectures de Georges Perros ?
De ses Papiers collés, surtout.

Re-lire, ici, les donner à lire
quelques-uns de ses aphorismes,
quelques-unes de ses réflexions,
de ses pensées qui, parfois nous apparaissent sans queue ni tête
avant de s’imposer par leur tactile, charnelle, vérité.

S’attacher aussi à son lyrisme lucide, celui qu’on évoque rarement pour
parler de tendresse.
Et pourtant, c’est bien de tendresse qu’il s’agit.
Pas de minauderie, non, de tendresse.

Alors, voilà, je consacrerai ces trente prochains jours,
à raison d’un “billet” par jour,
à m’effacer derrière les mots du poète,
les laissant parler sans les interrompre.
Parfois des extraits courts, parfois de plus longs.
Parfois un seul, parfois plusieurs.
En fonction de ce que les jours et la relecture donneront.
Ma seule intervention : les avoir sélectionnés,
ce n’est pas innocent.

À vous de découvrir ou de redécouvrir.

Georges Perros est mort en 1978.
Il avait 55 ans.
Celui qui fut contraint au silence après une opération des cordes vocales,
consécutive à un cancer du larynx,
et qui ne s’exprimait plus qu’à l’aide d’une ardoise magique
(comme on en utilisait quand on était enfants, à peine écrit déjà effacé)
m’a laissé dès la première lecture sans voix.

Subjectivité totale dans le choix des extraits que je vous livre.
La seule règle a été de ne jamais interrompre ni abréger une pensée.
En aucun cas.

On commence ?
Je me tais.


On ne se fait pas à la mort. Elle prend toujours l’homme au dépourvu. On s’étonne. La mort est incroyable. Devant la mort, la vie baisse les yeux, a comme honte. Rien de plus sot, de plus désemparé, que la vie devant la mort et la nature. La vie, c’est-à-dire bouger, choisir, aimer, haïr, souffrir, écrire, parler, faire le singe. Il faut avoir le cœur solide pour passer outre. L’obsession de la mort, du temps, est un poison, dirais-je mortel, qui minerait toute possibilité de bonheur, si le bonheur était en ce monde autre chose qu’un vœu.



Ce qu’on entend : “Vous êtes trop compliqué. Soyez simple. Cessez de couper les cheveux en quatre…” Ils rendent volontaire – ça les arrange – ce qui est consubstantiel, comme la beauté ou la laideur. Un homme laid, auquel on ne cesserait de répéter qu’il a tort d’être laid, finirait par se demander s’il ne l’a pas fait exprès.



Il est bien rare qu’un homme qui dit qu’il refuse (femmes, honneurs, etc) dise vrai. Cela arrive cependant. Alors il ne le dit pas.



L’impossibilité d’aimer sans avoir envie d’être aimé soi-même retire toute grâce à ce sentiment.



Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.



Depuis mon plus jeune âge conscient, je parle tout seul. Je me tiens d’interminables discours. Je ne m’en aperçois pas, sinon quand on me parle. J’attends la séparation pour reprendre mon propos. Car même quand je ne “roule” pas – quand je ne suis pas seul – le moteur ronfle. Je ne m’arrête, je ne me laisse jamais arrêter au point de couper les gaz. On devine pourquoi. D’où mon air tendu. Je ne sais pas ce qu’on entend par repos. Je n’ai jamais su, pu, me reposer. J’ai toujours quelque chose à faire, si important, si définitif, si dangereux, que je ne le fais pas. La vie, soudain, dès que j’interromps cette musique d’ameublement, ma vie n’y suffirait pas. Mon désir empiète sur ma mort. Alors à quoi bon planter ma tente, ici plutôt que là. La chose à trouver est en moi, et bouger me retarde. Mieux, me retire du lieu de la trouvaille, de la mine. Je suis sûr que toute relation avec autrui m’est, me doit finalement être néfaste, puisqu’elle m’éloigne de ce lieu, de ce trou, de ce volcan. L’amour a ici quelque chose à se rendre. Car je suis un homme normalement constitué.



Le comble du pessimisme : croire en Dieu.



Le vain pur monte à la tête.



Il faisait d’elle ce qu’elle voulait.



Cours d’éducation moderne. Dites trois fois : Dieu est mort. La vie est absurde. Il faut une révolution, etc. C’est bien. Maintenant, allez jouer aux billes.



Extraits de Papiers collés (1)
Éditions Gallimard – L’Imaginaire




À demain ?