On se demande ce qui nous sépare de l’intelligence.
On gigote un peu, on fait les coquets.

On se demande – mais se demande-t-on vraiment ? –
ce que sont ces idées auxquelles on pense.
Auxquelles on prétend penser.

On croit, s’en posant la question, savoir de quoi nous parlons.

On grenouille un peu.
On se fait des illusions.
C’est pas toujours si bien que ça,
de se faire des illusions.
Ça « prétend ».
C’est superbe aussi, ça nous interdit de mourir.

Un peu prétentieusement,
parce qu’il nous en vient l’idée,
on se pose la question de savoir
de quand date notre dernière idée,
ce qu’elle était,
ce qu’elle voulait dire,
qui elle aimait,
ou pour qui elle voulait se dire
dans le but de l’aimer.

On croyait avoir des idées,
on les instrumentalisait,
avec pour objectif mâle et un peu fétide donc,
de s’en faire une intelligence.

On n’était pas peu fier parfois.

Malheureux, on l’était le plus souvent possible.
Il fallait que ça soit.
Au moment de s’aller dormir,
sans idée qui puisse nous ressembler,
on allait rêver à nous-même, sans idée.
Sans non plus se l’avouer.

On se disait que.

On se pensait intelligent, imaginatif.
Dès lors…

Mais une idée ne ressemble en rien à une idée.
En même temps, elle ne peut ressembler à rien d’autre qu’à elle-même.
Ou alors elle cesserait d’en être une.
C’est dire à quel point elle était peu probable.
C’est dire à quel point on n’en avait pas vraiment envie.

On s’en est fait pourtant des idées.
Géniales. Toutes.
Bien sûr.

Gilles Deleuze, mort il y a vingt-cinq ans, ne se leurre pas, ni ne nous leurre.
Ne nous a jamais leurrés.
C’est le propre de cet homme-là.

Philosophe de l’errance, du nomadisme, du désir, de l’éventualité.

Et puis, se taire.
Écouter l’homme, son humilité.
Son trajet de nomade d’une pensée qui,
sans cesse ailleurs,
a toujours pour point d’appui
une intransigence
sans aucun confort.

On l’écoute ?
Le sujet n’est pas banal.

Est-il possible de penser ?
Ou, plus exactement,
notre pensée nous appartient-elle ?

Ou encore,
(mais ceci m’appartient)
Avons-nous d’autre but,
quand nous pensons (ou croyons penser),
que celui de nous assimiler ?

Gilles Deleuze est mort par suicide en 1995, à l’âge de 70 ans.
La conférence dont cette vidéo est extraite a été donnée
dans le cadre des « Mardis de la Fondation » le 17 mars 1987.
Il y a trente-trois ans…


À bientôt ?