JOUR 1

C’est alors que Volp s’était mis à courir. 
Il faut dire qu’il pleuvait.
Il avait pensé “comme vache qui pisse”. 
Et on court dans ces cas-là où la pluie nous fait croire
qu’une fois qu’on l’aura prise de la vitesse, 
elle nous mouillera moins. 
Mais la vitesse lui disait que son grand imper gris n’y pourrait rien. 
Le grand imper gris qui flottait, si j’ose dire, le ralentissait
et la pluie gagnait du terrain. 
Jamais assez de vitesse pour précéder la pluie, s’était-il dit.

Les gens qui courent nous étonnent toujours. 
Plus personne dans les villes ne court.
On marche vite, oui. 
Oh ça, pour marcher vite, on marche vite. 
Sans regarder ni ceci ni cela resté immobile sur le bord de la voie,
un homme qui pleure et se mouche pour faire mine de ne pleurer pas,
une femme qui en pleine rue finit de se maquiller,
la salle de bain était occupée,
ou alors un amant qu’on quitte
et on se reproche déjà de ne l’avoir fait que trop tard… Allez savoir.
On ne regarde pas.
Droit devant soi. On marche. Obstinément. Vite. 
Mais courir, on prend son automobile pour ça. 
Plus personne ne court hors son automobile. 
Enfin, n’exagérons pas.
Parfois, oui, on jogge en turquoise, orange et vert et jaune fluorescents,
et il faut que ça se voie,
sur le bitume et dans la pollution pour éviter le bitume et la pollution, mais bon. 

Parfois, aussi, c’est vrai, de manière plus classique,
plus sur son quant à soi,
costume trois pièces, valisette à la main,
on trotte, un peu ridicule,
en appuyant avant la pointe du pied le talon,
pour choper un tramway qui ne nous attendrait pas;
ça n’a aucun sens, ça n’attend jamais les tramways.
Vous imaginez, vous, un tramway qui vous attendrait ?
Du reste personne n’attend plus personne.
Sauf peut-être Volp, certains matins, quand il attend le tramway.
C’est en flânant qu’on attend. Ou immobile.
Alors, voir courir Volp, ce soir-là,
quand rien de rien ne rien,
ni plus ni moins, ni oui,
ça étonnait forcément.

Mais je bavarde, je bavarde. Venons-en au fait.

Si Volp courait, c’était pour rejoindre son chez lui,
ou son chez soi, c’est comme on voudra.
En tous cas, c’est rue Ramponneau dans le vingtième.
Arrondissement.
Et s’il fallait qu’il rejoigne son chez lui ou son chez soi c’est comme on voudra,
c’est parce que les autorités avaient soudain imposé à tous un confinement strict
qui prendrait son départ dans, voyons, trois petites minutes !
Une histoire d’épidémie au nom un peu barbare, aux trois quarts latin…
qui nous obligerait tous à rester cloîtrés jusqu’on ne savait pas encore quand.

Malgré l’urgence, Volp avait cessé de courir; il avait cessé de pleuvoir.
Ou alors c’était l’inverse.

Chez lui n’était plus très loin.

Il allait falloir se sécher,
sécher ce trop large futal avant de sans doute le jeter,
un peu trop long aussi, trempé jusqu’aux pieds,
essorer le grand imper gris qui n’en pouvait plus d’avoir trop couru.
Et puis ce chapeau qui s’était mis à ressembler à une méduse avec son ventre
qui lui coulait sur le front, le front de Volp, je veux dire.

D’ordinaire il aurait espéré un peu de jazz au Bœuf Indigo, le jazz club du quartier,
mais il était déjà fermé, le confinement venait de commencer.

Dernière ligne droite.
Rentrer chez soi, quatre étages d’escalier de pierre,
une tachycardie très momentanée n’allait pas outre mesure le bouleverser,
trouver la clé…
De la musique.
Négligence heureusement organisée, la radio chez Volp, reste allumée toute la journée.
Il aime, quand il rentre chez lui, la sensation d’y être attendu.
Il est un peu comme ça, un peu très seul, si vous me permettez.

S’affaler,
abandonner les flaques froides de ses grolles,
s’arracher le pantalon encore humide,
le reste, hors les chaussettes ruinées n’en parlons pas,
constater les dégâts du corps, s’affaler plus encore, tenter de dormir.
Se mettre sur le flanc gauche pour ne pas ronfler. 
C’est que Volp ronfle couché sur le dos. Un peu.
Mais un peu, c’est beaucoup trop.
Les voisins, ce n’était pas gagné.

Mais, avant de s’endormir,
sur France Musique, Volp entend encore quelques notes,
d’une mélodie dite du Bonheur.

 

[mp3j track= »https://usercontent.one/wp/leblog.baobabcreation.fr/wp-content/uploads/2020/04/Julie-Andrews-My-Favorite-Things.mp3″ title= »Julie Andrews » fontsize= »15px » flip= »y »]


My favorite things, Richard Rodgers, Oscar Hammerstein II, 1959.
Julie Andrews

Il trouve ça un peu crincrin.
Penser, demain, à retrouver la version de Coltrane.

Mais non, Coltrane n’attend pas !
Voilà :

 

[mp3j track= »https://usercontent.one/wp/leblog.baobabcreation.fr/wp-content/uploads/2020/04/John-Coltrane-My-Favorite-Things-.mp3″ title= »John Coltrane » fontsize= »15px » flip= »y »]

John Coltrane (soprano sax), McCoy Tyner (piano), Steve Davis (bass), Elvin Jones (drums).
Extase, étoiles.
Et plus, puisque affinités.

Puis, il se couche, s’endort.
Ronfle un peu, mais on ne va pas en faire un fromage.

Ça ressemblera à quoi, ce confinement ?



À demain ?