Rentrer chez soi. 
On est allé acheter une baguette. Deux croissants aussi, peut-être.
Petit déjeuner en amoureux.
Imaginaire.

Se dire que tout va bien. 
Se sentir étrangement soulagé 
de n’avoir pas été interpellé (je devrais dire intercepté),
qu’on ne nous ait, cette fois encore, 
rien demandé d’où on vient, d’où on va, 
ni, si, en plus de nos papiers d’identité, 
on a une preuve du pourquoi on va là en venant d’ici 
et si on est bien celui qu’on prétend être.

Illustration : Roland Topor

Jusqu’ici tout va bien.
On est sorti de chez soi,
mais on s’est posé la question de savoir 
si on pourrait prouver que c’était bien chez soi.
On aimerait cesser d’être tendu, aux aguets.
On n’y arrive pas tout à fait.
Mais de quoi, nom de dieu, se sent-on coupable ?
Coupable de ce qu’on nous reprochera.
Parce qu’on en est là.

On est peut-être sorti d’ailleurs que de chez soi,
de chez une femme aimée, on peut rêver.
Et nous viendrait, calquée en gris, sur notre joie, 
la culpabilité de n’être pas où on en a le droit.
Le droit ?

Je n’avais donc pas le droit,
contrairement à ce qui était dit,
d’aller et venir à mon gré ?
Bien sûr que si !
Eh bien, non.

Liberté conditionnelle.
Seulement et seulement si.
Parce que, dorénavant, il y a des si.

Jusqu’ici tout va bien.
Mais il nous est dit que tout pourrait,
d’un jour à l’autre, basculer.
Alors, méfiez-vous !

On nous menace.
Mais qui donc nous menace ?
Sortir sans un sésame vérifiable est punissable. Et puni.
On nous infantilise.
Mais qui donc nous infantilise ?
A-t-on coché la bonne case sur notre attestation de déplacement dérogatoire (ces mots !) ?
On s’est trompé ? On a changé d’objectif ?
C’est punissable. Et puni.
On nous intimide. On nous humilie.
Mais qui donc ?
Ceux, sans doute, qui nous disent
que c’est pour notre bien !

Pour notre bien.
Leitmotiv prétendument irréfutable.

C’est pour leur bien qu’on sépare les amoureux ?
C’est pour leur bien qu’on isole même les plus fragiles ?
Les vieillards, les démunis, les addicts de toutes natures,
et j’en passe.
C’est pour son bien qu’on confine avec son bourreau la femme violentée ?

Jusqu’ici tout va bien.
On est sorti de chez soi,
mais on s’est posé la question de savoir 
si on pourrait prouver que c’était bien chez soi,
qu’on allait bien où on le prétendait,
que les achats de première nécessité en étaient.
Et si la laisse ne dépassait pas la longueur réglementaire.
Et si nous ne mettrons pas davantage de temps qu’il a été décidé.
Et si ce que nous faisons est autorisé ou interdit.
Par qui ?

On est inquiets.
C’est bien ce qu’ils voulaient.
Mais qui ?

Jusqu’ici tout va bien ?