C’est une colère, une colère immense, quasi sismique.
Un texte bref mais sans qu’un seul mot y puisse être ajouté;
je parle de Contre ! de Henri Michaux.

Loin de moi l’envie de jouer aux critiques littéraires.
Le voudrais-je que mon usurpation sauterait aux yeux, même des plus profanes,
tant il est vrai que ce n’est que l’émotion
– et non pas une quelconque science des lettres et des mots –
qui me mène à évoquer ici ce texte, je devrais dire ce refus.

C’est qu’il y a là, me semble-il, dans cette colère de Michaux,
toute rassemblée dans la chair même de chaque mot,
qui jamais n’est que du verbe,
arrachée aux poumons, à la voix qui voudrait vivre,
une révolte qui ne peut que me faire penser – et avec quelle acuité ! –
aux mouvements désespérés qui ébranlent, un peu partout dans le monde,
les arrogantes certitudes des systèmes liberticides imposés aux peuples…

Ce n’est certes pas l’objectif que poursuivait Michaux,
bien plus métaphysique,
mais ma pensée, ici, fonctionne par analogie,
pas par souci d’analyse littéraire.

Qu’on veuille bien me pardonner.

Henri Michaux
Le Silence du monde


Contre ! (*)

Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu’une espèce d’évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings.
 

Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison.
Glas ! Glas ! Glas sur vous tous, néant sur les vivants !
Oui ! Je crois en Dieu ! Certes, il n’en sait rien !
Foi, semelle inusable pour qui n’avance pas.
Oh ! Monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole, mais néant, je contre, je contre,
Je contre et te gave de chiens crevés,
En tonnes, vous m’entendez, en tonnes, je vous arracherai ce que vous m’avez refusé en grammes.

 
Le venin du serpent est son fidèle compagnon,
Fidèle, et il l’estime à sa juste valeur.
Frères, mes frères damnés, suivez-moi avec confiance.
Les dents du loup ne lâchent pas le loup.
C’est la chair du mouton qui lâche.

 
Dans le noir nous verrons clair, mes frères.
Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
Comme je vais t’écarteler !


(*) Henri Michaux, « Contre ! », La Nuit remue (1935)

Henri Michaux
La paresse


Henri Michaux
1899 – 1985
photo David Bueno



À bientôt ?