Dixième des treize étapes de ces lectures que je vous propose cet été.
Les illustrations, je le rappellerai à chaque édition, sont des créations originales de

Gaëlle Boissonnard dont on peut visiter le site ici, le blog ici.


X. Dans le flou blanc des brumes


Le Galhøpiggen avait fait deux victimes cette fois.

Il n’était pas rare qu’on descende des corps de là-haut, des blessés,
parfois des morts, des fous de montagne, mais le plus souvent,
pathétiquement, de simples randonneurs imprudents qui avaient cru
que ce serait simple de s’approcher de la lune.

Cette fois, ç’avait été un homme et une femme.

Toujours ces accidents suscitaient, au-delà de l’émotion que chacun
ressentait, des questions. Quand il s’agissait d’un mort, l’ombre de son
éventuel suicide planait. Alors, rendus plus mesurés par le doute,
bridés par une gêne qui confinait toujours à la honte de ce qu’on avait
ressenti de haine, on respectait.
On finissait par se soumettre, quelle qu’elle soit, à cette probable vérité.
Au village, chacun avait un avis dont il ne démordrait jamais.
Quand il s’agissait de blessés, c’était autre chose, on se méfiait. 
On était moins circonspects, plus railleurs, peut-être même cruels parfois.

Qu’étaient-ils venus faire ici ?
Le Galhøpiggen n’est pas une plaine de jeux qu’on vient salir pour son
plaisir ! On ne voyait pas d’un bon œil le viol des sommets.
La montagne, celle-là plus encore qu’aucune autre, c’était notre territoire.
Et on n’aimait pas trop qu’on vienne chez nous sans y être convié.

Entrer sans frapper, puis, comme ça, commencer à grimper sans rien
demander, ajouter des éclats de voix au silence et des taches de couleurs
fluos au blanc des altitudes, ça nous choquait.
C’était comme découvrir dans son lit des gens qu’on n’avait pas invités.

Faut comprendre. On ne s’embrasse pas sans raison ici. 
Quand on se tutoie ce n’est pas par négligence, ça signifie des choses.
Et rire aux éclats, on ne le fait pas devant des inconnus.

Ceux-là qui viennent là n’aiment pas la montagne,
il aiment les sensations, ils aiment prétendre aux risques pour pouvoir
en parler. Mais la montagne, est-ce qu’ils la regardent, la montagne ?

Alors, parfois elle se fâche, elle se venge.

Cette fois donc ç’avait été un homme et une femme. Jeunes encore.
Pas morts, mais amochés. C’est l’hélico qui a dû aller les chercher.

On en parle au bar entre nous. On râle un peu. Puis beaucoup.
Comme à chaque fois. Ensuite, très vite les colères s’apaisent avant
d’à nouveau et encore et encore se ré-enflammer parce que d’autres
irrespectueux sont venus fouler les neiges de notre sanctuaire.



1. Aïri

La chute avait d’abord été vertigineuse, puis lourde, soudain très lourde.
Vertigineuse, c’était quand Aïri était dans les airs en train de tomber et
qu’elle avait semblé ne peser plus rien. Le temps s’était arrêté.
Lourde, très lourde, impossible à même imaginer, c’était au moment incisif
du contact avec la roche, quand le corps n’avait plus été qu’un poids mort
explosé sur le sol.
On n’en dit pas la douleur.
Un bruit d’os broyés. Des esquilles qui vous ouvrent, tranchent, découpent
des plaies de l’intérieur. Une phénoménale certitude que des poignards ou
des rasoirs vous lardent, vous divisent, que des tessons vous dépouillent,
en même temps que de la viande et des poumons, de ce qui pourrait être
une mémoire de ce sanguinaire cataclysme-là.
Et, simultanément, sans hasard, un éclair rouge qui vous tue les yeux que
vous avez fermés pour voir mieux. Une violence telle qu’on sait que c’est
une mort – mais le mot est doux – ou quelque chose de cet ordre-là.
En même temps, fulgurante, la sensation d’exister enfin vraiment mais
pour une ultime et brève fois.
À ce point-là, avec cette intensité-là, c’est toujours aussi pour la première
fois.
Ça n’aura duré qu’une seconde, pas plus. Ou alors un dixième, un centième,
un millième.
Une micro-seconde.
C’est souvent ces mots-là que prononcent, quand ils survivent, les “chus”,
comme on appelait entre nous les malheureux qui, dans la montagne, ont
“dévissé”, chuté.

Aïri ne se souvenait de rien. Un détail seulement. Comme un éclair. Puis,
plus rien.
Elle se rappelait avoir eu tout juste le temps de se demander si elle aurait
pu voler, planer et se sauver plutôt que, comme elle le faisait là, tomber.
Voler et non pas chuter. Retomber, atterrir en quelque sorte, et non pas
bêtement tomber.
La neige l’avait réceptionnée. Puis un roc. Choc du corps, puis de la tête sur
le roc. Rupture.
Noir.

Et là, maintenant, tout blanc. Les murs, les draps, les blouses, les regards
qu’elle croisait. Des voix blanches lui posaient des questions. Savez-vous
comment vous vous appelez ? En quelle année sommes-nous ? Et le mois ?
Vous m’entendez? 
Clignez des yeux si vous me comprenez.

De son corps, elle ne sentait plus rien, pas même ce faible mouvement
qu’elle avait ordonné à sa main. Avait-elle seulement obéi, sa main ?
Aïri n’en sut rien.
Elle s’était évanouie.

Un petit peu plus tard. Ou beaucoup.
Elle n’a jamais su.
Elle se réveille, croit se réveiller, mais elle ne sait plus comment on sait
qu’on est réveillé ou qu’on ne l’est pas. Elle flotte comme dans un flou
blanc, comme dans une brume.
Comme dans le flou blanc des brumes, s’est-elle peut-être dit.

Son corps s’est abîmé dans ce qui lui a été infligé de morphine. Et sa
conscience.
Sa bouche est sèche comme un copeau.
Un goût métallique et mauve vient lui poncer la langue et le palais à chaque
déglutition.
Mais surtout, elle ne se souvient de rien. 
Rien d’autre que l’envol, la neige, la chute, la réception sur le dos, la tête,
lui semble-t-il, la douleur, la perte de connaissance, le lit, l’hôpital. 
Le blanc.
Ici.
Rien d’autre que maintenant.

Maintenant. Rien, quasi rien d’avant.
Ou alors d’un avant très lointain. De quand elle était enfant.
De quand elle étudiait. De quelques autres choses peut-être aussi sans
rapports les unes avec les autres. Des moments. Sans doute plus récents.
Par bribes. Mais elle ne sait pas.
C’est si embrouillé tout ça.

La musique.
Elle se souvient des gammes, des trilles, d’un piano.
Cadences, bémols, bécarres, soupirs, syncopes.

Mais après?
Un passé avalé par le vide sans qu’aucune bonde n’ait pu en juguler la fuite. 

Elle se demande si demain, aujourd’hui lui servira de passé. Ou si elle
l’aura, lui aussi, oublié.
Une image de fuite, de sablier.
Elle attend de voir, se dit-elle. 
Elle pense à son corps dont elle ne sent rien, pas même le frottement des
draps, se demande s’il vit encore. Puis, à nouveau, se rendort.

Au réveil, on est penchés sur elle. Deux hommes. En blanc. Et une femme.
En blanc aussi.
Échanges mezzo-voce entre professionnels, presque inaudibles.
Les mots de la médecine sont des énigmes qu’on garde entre soi.
Et à nouveau, mais à voix haute, Sait-elle qui elle est ? Son nom ? Son âge ?
Eux, les tabliers blancs, ils ont retrouvé ses papiers d’identité. Ils savent.
Mais elle ? Elle sait qui elle est.
Mais qu’ils puissent savoir d’elle des choses qu’elle aurait, elle, oubliées,
l’exaspère.
Elle ne dit rien.

Puis, silence. Long silence.

Un matin, elle se réveille et sent le bout du lit du bout de ses pieds.
Des larmes lui coulent sur les joues. Elle en sent la chaleur. Puis un frisson.
Elle se demande si elle a souri.


Une autre fois, elle quitte enfin le lit.
On la prend en charge.
Et le temps passe.
Brancard, déambulateur, béquilles.
Rééducation en vue de réhabilitation.
Son corps lentement reprend le dessus. 
Et les douleurs physiques reviennent par wagons, sans aucune précaution.

Puis, à nouveau, silence.
Sauf son visage enfin aperçu dans un miroir. 
Elle ne sait pas si elle s’y reconnait, trouve belle la femme qu’elle y voit.
Mais fatiguée.

Dans le cerveau, un point d’interrogation.
Mémoire toujours évaporée.
À peine une condensation.

Un jour, on lui souffle un mot, difficile à entendre.
Amnésie.
Un autre, difficile à interpréter. 
Rétrograde.
Amnésie rétrograde.
Des mots qu’elle n’est pas près d’oublier.
Un comble.

Puis, encore et encore, silence.

Elle pose des questions.
On lui dit qu’il va falloir attendre,
qu’on lui dira, comme on l’a toujours fait.
Laissez faire le temps, lui répond-on
après lui avoir posé d’autres questions.

Alors elle attend.
Et, pour tuer un peu le temps d’attendre elle essaie de reconnaître
cette voix qu’elle a.
Une fois seule, elle se parle, tente de faire de la voix de cette autre
qui lui parle, une voix qui serait la sienne dont elle se souviendrait.
Mais non. 

Un soir, on lui demande si, demain, quelqu’un pourrait venir la chercher.
On ne peut plus rien pour elle ici. Elle va bien. Vous vous sentez bien ?
Elle entend sa voix répondre que oui.
Mais que non, personne ne pourra venir me chercher, enfin, je ne sais pas,
ne me rappelle pas.
On est désolé. 

Et pour la première fois elle demande de cette voix qu’elle tente de
reconnaître, je suis où ici ?
Et pour la première fois, on lui dit Vous avez fait une longue et lourde
chute dans le Galhøpiggen. Vous vous souvenez ?
Elle entend sa voix répondre Amnésie rétrograde.
Comme si c’était son nom.



2. Aki

Printemps sur Oulu ! Printemps ! se fredonne Aki.
Et ça lui a des airs d’Alléluias.

Mais, sans savoir pourquoi, malgré la légèreté et la joie,
un mot maudit s’empare de son esprit.
Le mot maudit.
Ça fait des années maintenant que, sans qu’Aki y puisse rien faire,
il surgit, le mot maudit.
Alors, pour le faire taire, il ruse, s’invente les dédains censés
le protéger de sa réalité.
Et il se remet à chantonner.
Mais à sa voix colle la brume d’un déni.
Aki est toujours rattrapé.

En vérité, il sait pourquoi le mot, chaque jour, à chaque heure,
à chaque minute presque, vient le narguer, mais il veut se le cacher
et pour cela l’étouffer, le nier. Comme on veut cacher un chagrin
qui nous brise parce qu’il nous devance.

Quitte à se mentir.

Depuis l’accident, depuis sa soudaine profonde surdité, il prend acte,
en les prononçant à voix haute, des mots, des verbes, des phrases qui lui
viennent. Que ce soient ceux de la réflexion ou ceux que la lecture fait
jaillir en lui. Où qu’il soit, sans cesse, il formule les mots qu’il lit, ceux qui
organisent ses pensées, ceux aussi qu’il écrit.

Sa voix est devenue l’ultime preuve qu’il peut encore parler, parce que,
pour en être sûr, il lui faut profaner le silence, ce silence auquel le sourd
est condamné et qu’il vit d’autant plus tragiquement que cette surdité
lui est par l’accident imposée. On est sourd, mais, par-dessus tout, on est
devenu sourd. On a entendu Mozart, Ravel, Debussy, tous les autres, on ne
les entend soudain plus.
Aki se raccroche aux vibrations, dans la gorge, dans le crâne, dans les dents
pour faire mine de s’entendre. Il y arrive le plus souvent.
Il aurait suffi de si peu, se dit-il..

Au saut du lit, nous nous savons capables de dire et nous nous taisons donc
volontiers. Pas besoin de preuve. Face au miroir de la salle de bain, une
grimace suffit. Parfois une chansonnette, mais bon.
Au saut du lit, Aki veut briser le silence. Il s’écrie. N’importe quoi.
Non, pas n’importe quoi. Un cri ne l’apaiserait pas.
Il faut des mots à Aki pour se prouver que,
malgré cette maudite surdité qui l’a frappé il y a quelques années,
il peut encore parler.
Alors face au miroir de la salle de bain,
sachant qu’une grimace ne suffirait pas, Aki s’invente,
à haute et souvent trop forte voix, des bulletins du temps
imaginaires qu’il lit sur ses propres lèvres.
Et il les termine en se souhaitant une belle journée.
Une journée qu’il
aimerait sonore.
C’est fou ce qu’on peut devenir bavard quand on craint de ne pouvoir parler, se dit-il parfois.

Aki a tellement peur de perdre après l’ouïe le parler,
qu’il veut obstinément repousser la possible échéance du silence.
Ainsi donc, prononce-t-il tous les mots qui lui sont donnés. 
Tous, exceptés celui-là qui est maudit et ceux qui en sont famille. 
Quand il écrit aussi. 
Pour lui, tous les mots de la langue devraient se liguer pour en avaler un
seul, trop douloureux. Définitivement. Qu’on ne l’entende plus, qu’on ne
l’écrive plus, qu’on ne le prononce plus, qu’on ne le pense plus ! Et que la
réalité qu’il exprime, ce mot maudit, n’en soit plus une !
Ce n’est pas simple,
Pour tout dire, il n’y arrive pas.

Après deux ouvrages, des essais philosophiques
dont l’un a rencontré un succès d’estime comme on dit,
l’autre rien,
aujourd’hui, il écrit pour la première fois un récit. 
Celui de la subite disparition du son, du bruit, de l’ouïe après l’accident.
Dans le Galhøpiggen.
Il y a sept ans. Il en avait trente.

Mais Aki ment. Il triche, finasse, tergiverse.
Il ne parvient pas à faire autrement.
Ce dont il veut parler est tout entier contenu dans le mot maudit qu’il ne
veut ni écrire ni prononcer.
Et quand il y pense le mot se confond avec une infinité d’autres.
Ou plutôt, non, ne se confond pas, mais en charrie beaucoup qui semblent
le constituer. Un mot, il le sait, n’est jamais seul dans la compréhension
qu’on en a, il en trimbale des kyrielles nées des confluences dont il se
nourrit.

Comme on camoufle une antisèche, Aki a écrit et dissimulé le mot. Mutilation.
Parce que c’est de mutilation qu’il s’agit. Et, entre parenthèses,
ceux qu’il accole à sa famille. Il y a là, cachés donc dans une chemise orange
et mauve, Amputation, Retrait, Sectionnement, Ablation, Suppression et, trois
fois soulignés, Appauvrissement, Diminution. Puis, comme s’il s’agissait
d’une signature, au crayon gras, Galhøpiggen. Aïri. Et une date.

Il n’arrivera à écrire son récit qu’en oubliant cet interdit de dire. 
Comme toujours quand on tente d’écrire.



3. Aïri, Aki, Aki, Aïri

C’est une soirée sur invitation à Oulu.
Un vernis sage, a très vite, prononcé Aki.
Il ne saura jamais pourquoi cette invitation lui a été adressée.
Les fichiers mal mis à jour couvent des secrets que personne ne connaît.

Aux murs il y a des œuvres, comme on dit, des toiles, des dessins, quelques aquarelles;
sur des socles raides en faux marbre quelques sculptures offrent au visiteur
leur arrogance figée;
au sol, une installation aussi, comme on doit faire pour être d’aujourd’hui,
faite de sable – c’est bien, le sable – et de la singularité proclamée de
pigments rouges, ocre, anthracite et cobalt.

Plus loin, un buffet comme on les fait.
Un piano joue des airs. Personne n’écoute,
mais ça permet d’ouater le brouhaha.
Voix feutrées, tintements de champagne et gloutonneries bien éduquées.
Du monde paresseusement se presse.
Du monde dans le monde du comme.
On ne sait pas trop ce qu’on vient voir, mais on sait tellement déjà que
ce sera comme ceci ou comme cela. Et qu’il faut qu’on y soit.
Voilà.

Aki déambule, ne connaît personne.

S’il pouvait l’entendre, l’air joué là le ramènerait quelques années en
arrière.
Picture 6. C’est le titre du morceau.
Une composition brève d’un pianiste américain plus connu aujourd’hui
pour être un batteur de jazz de génie.
C’est un air qu’il a écouté mille fois, interprété par son amie de l’époque.
S’il pouvait l’entendre. Mais non, silence. Coton. Flou blanc de brumes.

Silence et inconnus qu’Aki croise comme on croise des fantômes.
On ne connaît plus personne quand on n’entend plus depuis des années.
Ce que veulent les gens qui sont dans ces soirées, se dit-il, c’est être
entendus, qu’on opine, qu’on dise bravo, mais opiner à quoi ?
On n’opine pas quand on n’entend pas.
Ou alors à ce point sourdement que.

Il promène une omission, une réticence d’il y a sept ans,
une indolence un peu inquiète à la recherche à la fois de sa douleur
et de sa consolation. On fait ça.

À la recherche de l’oubli, il trouve le souvenir.

Ses yeux s’égarent sur des toiles qui ne disent rien. 
Ses yeux ont du prendre le relais des oreilles,
mais rien encore n’est au point.

Pas plus que la musique au piano, il n’entend le frivole frétillement des
exclamations, des bonsoir, des félicitations, des soumissions mondaines.

Et soudain, de dessous la neige, “Mutilation”.

Et il plonge dans ce passé de la montagne.
L’accident. Aïri. La vertigineuse dislocation.
La sienne. 
Celle de l’autre, il n’en sait rien.

Puis ce plus rien.
Une lourdeur du corps cassé et immobile, c’est vrai, il s’en souvient, mais
avant de s’en rendre même compte, n’entendre plus que le silence est la
blessure.
Comme un flou de brumes blanches qu’on scrute.
Mais rien.

Et Aïri ?

Aïri, elle est là. À l’insu d’elle-même. 
À l’insu d’Aki dont elle est séparée sans le savoir. Depuis des années.
Le souvenir manque.

Elle joue ce qu’elle joue sur un quart queue de pacotille blanc, celui de la
galerie où se tient le superficiel pince-fesses.
Picture 6.
Pourtant, les organisateurs du vernissage lui ont demandé de privilégier les
impressionnistes français.
Ce serait bien, avaient-ils décrété, qu’elle joue Fauré, Ravel, puis Debussy.
C’est comme ça qu’on la connaît.
Mais Picture 6, quand même.

Elle rêve.

Dans sa bulle d’oubli, elle joue essentiellement au présent.
Les noires sont des noires, les blanches, des blanches, les soupirs des oublis.
Elle aimerait un passé, vous comprenez?

Il y a de la neige sous ses doigts quand elle joue, mais ce n’est pas celle du
Galhøpiggen dont elle ne se souvient pas. Ou alors si peu. Vraiment.
Un envol ? Une chute ? Le silence ?
Le silence qu’Aki n’arrive pas à dépasser.

Il se promène, Aki.
Des robes en bougeant frôlent,
des gestes valsent,
des costumes militairent un peu, toujours trop. 
C’est l’heure où les guinderies s’aimeraient souples.
Mais non.

Un moment, il s’approche. Il y a là un piano.
Souvenir.
Mais trop de monde s’y presse. À quoi bon ?

Il fait demi-tour. Il va piocher au bar quelques pistaches et une tranche de
saucisson français.
Puis s’en va.
Il n’a rencontré personne. Parlé à personne.
Il sort et dit à voix haute “Personne”.

À l’intérieur, Aïri joue.
Dans les brumes de Léos Janacek.
Se demande ce qui s’est vraiment passé dans le Galhøpiggen il y a sept ans.
Et avant.
Elle entame Picture 6 pour la énième fois.

C’était une soirée sur invitation à Oulu.
Un vernis sage, a très vite, prononcé Aki.