Seconde des treize étapes de ces lectures que je vous propose cet été.
Les illustrations, je le rappellerai à chaque édition sont des créations originales de

Gaëlle Boissonnard dont on peut visiter le site ici.



II. Obi


C’est aujourd’hui ? se demande Obi. 
C’est aujourd’hui ?
Mais Obi ne sait pas pourquoi il se demande ça.
Obi ne vit pas dans le moment du jour,
ni dans celui de ceux qui se succèdent.
Si on lui demande son âge, il ne sait pas.
Du reste, Obi n’a pas d’âge, il ne vit pas.

En tout cas pas vraiment.
Pas comme il aimerait pouvoir vivre.

Obi aimerait être grand et que grand soit le temps. 
Comme il est petit, il se dit que le temps est petit. 
Et il n’aime pas qu’il le soit.

Il rêve de pouvoir vivre dix mille ans.
Mais il se dit qu’il est trop petit pour vivre si longtemps.
Il ignore même ce que c’est, un an.
Un an, c’est tout petit, pense-t-il, mais dix mille, 
ça doit être fait pour les hommes grands.

Voilà pourquoi Obi a cessé de compter les jours.

Les vieux, au village, se rappellent l’avoir vu naître 
il y a au moins cinq ou six fois dix ans. 
Nous dirons donc qu’Obi à plus de cinquante ans.
Il en paraît vingt de moins pourtant.
À force de ne pas compter le temps…

C’est aujourd’hui? se demande Obi. 
C’est aujourd’hui?
Mais on ne saura jamais ce qu’il semble craindre 
ou espérer qu’apporte le vieux fleuve kaki 
au bord duquel il est depuis des jours accroupi.

Une cargaison de centimètres pour s’offrir 
le bonheur de faire reculer le temps?
Une femme qui n’existe pas qui le ferait devenir grand ? 
On lui a dit que l’amour était un morceau d’éternité, alors…

La mort ? 

Il aurait voulu grandir un peu avant la mort.
Obi pense que ça l’aurait fait reculer.